[Africa Diligence] Selon une enquête publiée fin mars 2015 par Havas Paris et l’Institut Choiseul, les investisseurs institutionnels internationaux affichent un intérêt sans faille pour l’Afrique. Mais leur seul engagement ne suffira pas à combler le financement du déficit abyssal d’équipement du continent, estime Alfred Mignot dans la Tribune.
D’après l’enquête coproduite par Havas Paris et l’Institut Choiseul et portant sur un panel de 43 des plus grandes institutions financières et bancaires exerçant une activité en Afrique, 100 % des personnes interrogées en janvier et février sont optimistes quant à l’avenir à court et moyen termes de l’économie africaine, 53 % des sondés se déclarant même « très optimistes » pour 2020, contre 9 % pour 2015.
Avec le secteur agricole, les infrastructures et les réseaux – transports, énergie, eau, distribution… – concentrent la majorité des investissements directs étrangers (IDE), ce qui paraît logique, vu l’état considérable de sous-équipement du continent : 600 millions de personnes – soit deux Africains sur trois – vivent aujourd’hui sans accès à l’électricité en Afrique subsaharienne ; 65 % des écoles n’y disposent pas de l’électricité ; plus
de 60 % des citadins subsahariens vivent dans des bidonvilles dont la plupart
ne bénéficient d’aucune prestation.
Par ailleurs, les secteurs de la santé, de l’industrie et des technologies de l’information et de la communication (TIC) bénéficient également d’une marge de progression importante, estiment les sondés, tandis que la reprise des projets d’investissements internationaux depuis 2012 (+ 16 %, selon l’étude Havas Paris) et l’accroissement de l’investissement intra-africain (+ 33 % environ depuis 2007) attestent de la confiance générale des acteurs du marché dans l’avenir du continent.
Ces fortes hausses tendancielles mises en exergue par l’étude ne sauraient cependant masquer une réalité bien moins positive. En fait, selon les estimations concordantes des institutions internationales, l’Afrique a besoin d’environ 95 milliards de dollars par an pour combler son déficit en infrastructures et réseaux, tandis que l’investissement actuel tourne autour de 55 milliards de dollars, dont 43 milliards proviennent des IDE, et 12 milliards environ de l’investissement intra-africain.
Le déficit de financement annuel se situe donc à minima autour de 40 milliards de dollars. Pour relever le défi du financement, les pays africains doivent donc à la fois attirer plus d’IDE et optimiser leur potentiel endogène.
Comment faire ? De colloques en conférences, de forums en rapports, des pistes de réponses sont esquissées. Ainsi, pour l’ancien ministre tunisien de l’Économie, diverses solutions méritent d’être mises en oeuvre. Jaloul Ayed, qui considère que le déficit énergétique constitue « l’obstacle majeur au développement économique », préconise plusieurs réformes. Par exemple, faciliter l’accès au capital-risque et encourager les compagnies d’assurances, sous certaines conditions, à investir dans ces fonds.
Minorer les flux financiers illicites originaires d’Afrique et à destination des paradis fiscaux serait une autre voie pour optimiser les ressources du continent. Cette problématique a été pointée du doigt lors du IXe Forum pour le développement de l’Afrique, qui s’est tenu en octobre 2014 à Marrakech, en présence de 700 délégués et de plusieurs chefs d’État. L’enjeu est de taille, car d’après un rapport élaboré en 2013 par la Commission économique pour l’Afrique (CEA) de l’ONU, le continent perd entre 50 et 148 milliards de dollars chaque année dans ces flux financiers illicites. Donc, en moyenne, les 100 milliards de dollars annuels nécessaires au financement de ses infrastructures.
À l’occasion de cette conférence de Marrakech, Carlos Lopes, secrétaire exécutif de la CEA, a lui aussi plaidé pour « la mobilisation des ressources intérieures » – une allusion directe à l’évasion fiscale et à la faiblesse des investissements intra-africains – et pour l’investissement privé.
Fait encourageant : alors que, selon la CEA, le financement par capital-investissement était une pratique méconnue il y a encore dix ans en Afrique, en 2013 le continent a capté quelque 4 milliards de dollars dans ce secteur, soit presque quatre fois le montant de 2012, selon une étude menée par Preqin et Private Equity Africa.
Le recours aux fonds des caisses de retraite, particulièrement propices aux investissements à long terme, pourrait s’avérer une voie encore plus prometteuse. En effet, le stock d’actifs des six plus grands fonds de pension en Afrique subsaharienne pourrait atteindre la somme de 630 milliards de dollars d’ici à 2020, selon Jaloul Ayed. Mais ils représentent un potentiel de financement en jachère, car à ce jour rares sont les pays qui, à l’exemple de l’Afrique du Sud, disposent de régimes de retraite véritablement transparents et garantissant les droits des bénéficiaires.
Pour tirer le maximum du potentiel de ce secteur comme de tous les autres, des réformes de gouvernance sont donc nécessaires. C’est une évidence largement partagée : 84 % des sondés de l’enquête Havas Worldwide considèrent que la mauvaise gouvernance est aujourd’hui l’un des principaux freins au développement de l’investissement en Afrique.
(Avec La Tribune)