L’intelligence économique a son Routard – Par François DANGLIN

A l’initiative de la Délégation interministérielle à l’Intelligence économique (D2IE), du Conseil supérieur de l’Ordre des Experts-Comptables (CSOEC), des Chambres de Commerce et d’Industrie, de la société Groupama, du Groupement des Industries Françaises Aéronautiques et Spatiales (GIFAS) et du cabinet Thomas Legrain Conseil, Hachette vient d’éditer un Guide du Routard bien original.

Diffusé en version papier à près de 20 000 exemplaires et en accès gratuit sur les sites Internet de ses initiateurs, il a été lancé très officiellement lors du 67ème Congrès de l’Ordre des Experts Comptables qui s’est déroulé du 3 au 5 octobre 2012 au Palais des Congrès de Paris. Il offre avec le même design que le guide touristique bien connu des vacanciers un voyage initiatique vers une terra incognita d’un grand nombre de décideurs publics et privés français : l’Intelligence économique (IE).

Politique publique et/ou entrepreneuriale, l’IE n’est pas l’acronyme d’un néologisme pudique pour faire référence à des actions d’espionnage. Il s’agit de collecter, analyser, valoriser, diffuser et protéger l’information économique, afin de renforcer la compétitivité de l’Etat, d’une entreprise ou d’un établissement de recherche. L’IE doit donc se pratiquer par le recueil et l’exploitation d’informations en milieux ouverts. Une règle à laquelle certains semblent régulièrement déroger comme en témoigne une chronique judiciaire bien fournie ces dernières années (cf. surveillance d’un animateur de Canal + par un ex-agent de la DGSE, espionnage informatique d’un membre de Greenpeace par une société privée au profit d’EDF, implication d’anciens cadres de la DPSD dans une affaire d’espionnage chez Renault imputée au Chinois, surveillance du leader Nouveau Parti anticapitaliste par un ex-policier pour le compte d’un industriel de la sécurité,…).

L’IE ne peut être exempte du droit commun, bien au contraire . Elle s’inscrit d’ailleurs dans un corpus juridique très strict. S’y imposent les règles régissant la protection de l’entreprise et de ses patrimoines, celles encadrant l’acquisition d’information et réglementant les pratiques de désinformation et de contre-influence. Un écheveau normatif qui a justifié la création, en 1993, d’une Académie de l’IE puis des comités de l’intelligence économique à l’Ordre des Avocats et au barreau de Paris. Le sujet est d’ailleurs devenu si académiquement attrayant qu’il suscite, en moyenne chaque année, la soutenance de quatre thèses de doctorat.

Une fois défini le concept et dressé les bonnes pratiques, reste à savoir comment bâtir une politique de veille, d’influence et de sécurité économique. Autant d’objectifs stratégiques pour les grands groupes industriels transnationaux mais aussi les petites et moyennes entreprises. C’est pourquoi, outre une présentation synthétique de l’IE, le Guide du Routard propose un carnet d’adresses, une liste des formations liées à ce domaine, et surtout des témoignages qui permettent de mesurer l’intérêt de l’intelligence économique y compris pour les TPE-PME.

Ce Guide du Routard se révèle une entreprise très pédagogique. Cette dernière est par ailleurs relayée par les publications régulières de la D2IE (cf. édition d’un bimestriel depuis juillet 2012, Seco : la lettre de la sécurité économique), des brochures spécialisées (ex. Guide de l’intelligence économique pour la recherche, 64 p.) et une politique éducative, tournée vers les milieux professionnels (ex. formation de conférenciers en sécurité économique (label « Euclès »)) mais aussi les étudiants .

Si pour les entreprises, l’IE se révèle une démarche innovante en combinant la veille stratégique, la sécurité économique et l’influence, pour l’Etat les impératifs sont de nature quelques peu différents. Ils apparaissent en filagrammes dans le texte coordonné par Thomas Legrain mais ils n’en sont pas moins cruciaux pour notre économie. En effet, une entreprise dispose de son propre objectif de compétitivité et la partie dite « offensive » de l’IE correspond à l’influence qu’elle doit avoir pour décrocher des marchés. En ce qui concerne l’Etat, le caractère offensif de l’action s’appelle le renseignement économique et financier mais son périmètre ne saurait se restreindre au soutien aux entreprises stratégiques et de souveraineté. Au-delà des enjeux mercantiles, le renseignement économique et financier permet d’apprécier les moyens financiers d’un satrape, les circuits de financement du terrorisme ou encore les effets d’un embargo de la communauté internationale.

Plus « modestement », l’intelligence économique de l’Etat permet de construire une politique d’influence dans un monde globalisé, ce qui impose une connaissance réglementaire, normative, juridique, sociologique, politique (au sens des politiques scientifiques, industrielles et d’influence) des concurrents internationaux et des marchés potentiels. Toutefois, l’aide de l’Etat devient efficiente si elle est fondée sur une connaissance intime des potentiels des tissus industriels, universitaires et scientifiques, des bassins d’emplois et les difficultés auxquelles ses entreprises sont confrontées. Elle doit prendre en compte les objectifs propres des entreprises y compris pour veiller à ce que ceux-ci ne se fassent pas au détriment d’un bassin d’emplois ou d’une filière par la perte de savoir-faire. C’est pourquoi, l’Etat doit définir une politique publique d’IE, en soutien de sa politique économique et scientifique. Il s’agit non seulement d’orchestrer l’action des ministères en charge du commerce extérieur, de l’emploi, de la recherche, des investissements étrangers en France, des industries et des services, sans oublier les industries agroalimentaires, de santé, de défense ou de l’énergie mais également de mobiliser les territoires. Les collectivités territoriales doivent décliner une politique nationale et non pas développer des politiques engendrant une concurrence entre les territoires, qui risquerait d’être plus destructrice que motrice.

L’IE est une responsabilité de tous les acteurs de l’économie. Encore faut-il qu’il y ait un pilotage à haut niveau. Cela est vrai de l’Etat central comme des territoires. A ce dernier stade, comme le rappelle le Guide du Routard, le dispositif privilégie, un pilotage par les Préfets de région. Il semble d’ailleurs donner, pour l’essentiel, satisfaction. Les Préfets de région ont écrit des schémas régionaux de développement économique et des schémas régionaux d’IE. Reste à savoir, si cette mise en synergie ne doit pas se décliner aussi au niveau des départements.

Le guide de l’intelligence économique est un outil synthétique de management. Il est donc appelé à être régulièrement actualisé dans des versions papier et/ou Internet. Hachette a su le faire par le passé pour Le guide du routard des associations et des fondations réalisé voici quelques années par le Conseil Supérieur de l’Ordre des Experts-Comptables, la Compagnie Nationale des Commissaires aux Comptes, La Banque Postale et Groupama ou encore pour le Guide de la création d’entreprise, désormais en vente chez les libraires pour sa 3ème édition.

François DANGLIN

Titre original: L’intelligence économique a (aussi) son Routard

Source : Nonfiction.fr