IE | Les rivalités des puissances en Afrique

L’analyse ci-après recueillie par Guy Gweth, conseil en intelligence économique chez GwethMarshall Consulting, révèle quelques positions et questionnements de la France et plus généralement des grandes puissances mondiales qui sont à l’assaut des richesses stratégiques dont regorge le continent.

« Un mouvement est en marche en Afrique. Ce mouvement échappe à la France. » par Patrick Sevaistre -directeur général, Afrique Initiatives SA, Conseiller auprès du président du Conseil des Investisseurs Français en Afrique.

« Un rapport récent sur l’action extérieure de l’état de l’aide au développement dans le cadre de la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) vient de dresser un bilan sans complaisance de toutes « les insuffisances » de la présence française en Afrique: budget de l’aide gonflé par les annulations de dettes (en dix ans, l’aide bilatérale française a diminué de moitié et est équivalente à celle du Danemark), saupoudrage des moyens (90 pays se partagent moins de 10% de l’enveloppe bilatérale), influence limitée à Bruxelles alors que Paris finance près de 25% du FED (Fonds Européen de développement), engagements financiers énormes dans la gestion des crises (850 millions d’euros pour l’opération Licorne) et quasiment rien pour la phase de restructuration…

« Pendant ce temps, la Chine devient la puissance du continent, s’intéresse à tous les gisements pétroliers et uranifères de l’hinterland boudés par les majors occidentaux et réanime -en rivalité avec les Indiens(Mittal et Tata Steel)- tous les gisements de fer. Tandis que les Etats-Unis « réinvestissent » en Afrique pour sécuriser leurs approvisionnements énergétiques (25% en 2025) et contrer la menace terroriste dans la bande sahélienne. Les fonds souverains, arabes et chinois, qui placent les réserves de change de leurs banques centrales, déferlent sur l’Afrique.

« Que faire pour défendre nos intérêts (français) ? De quels outils disposons-nous pour les défendre sans pour autant, du moins dans l’immédiat, entrer en conflit ouvert avec les Chinois? Il est clair que s’opposer directement à la déferlante chinoise en Afrique n’est déjà plus réaliste. A nous d’en tirer les conséquences quant à notre propre politique vis-à-vis du continent.
« En effet, nous devons, à l’instar des Chinois et des Américains, clairement affirmer nos intérêts vis-à-vis de l’Afrique, nous avons besoin d’une nouvelle politique française, plus ambitieuse et s’inscrivant dans la durée, accompagnée enfin, et comme c’est le cas de la Chine et aussi des Etats-Unis, d’un vrai dispositif d’intelligence économique qui, placé au sommet de l’Etat, soit pleinement opérationnel dans ses deux dimensions traditionnelles: renseignement – influence. Force est de constater qu’on en est encore loin aujourd’hui.

« ce dispositif est indispensable pour dénoncer le dumping chinois, les dérives, les manquements, les menaces sur l’environnement et le non-respect par la Chine de ses engagements internationaux (prolifération)… et alimenter les ONG pour lancer des mouvements de polémique auprès de la société civile africaine. Il l’est également pour trouver , au cas par cas, des terrains de coopération commune sino-européenne (Cf. pétrole).
« Notre intérêt premier est de promouvoir la prospérité et la stabilité du continent noir… et si l’Afrique connaît aujourd’hui son plus fort taux de croissance depuis trente ans (6%), c’est en partie grâce à l’expansion économique chinoise…
« Il nous faut continuer à examiner de près les approches chinoises en Afrique et en tirer des leçons pour définir une nouvelle politique vis-à-vis du continent. Cette politique passe par un lobbying fort des entreprises françaises, et des stratégies novatrices en matière de pénétration et d’enracinement en Afrique; elle passe aussi par une action pragmatique et ciblée de la France à l’égard des élites de la nouvelle génération. Celle-ci est plus que jamais nécessaire pour rebâtir l’image d’une France partenaire ‘naturel’ du continent africain, avec l’idée sous-jacente de bâtir un réseau capable de concurrencer l’influence anglo-saxonne et maintenant chinoise! Ce réseau est devenu prioritaire au moment où, vu d’Afrique, notre pays donne une impression d’immobilisme, voire de désengagement et où la nécessaire banalisation des relations entre la France et les Etats africains est considérée paradoxalement comme un signe d’abandon et de désintérêt vis-à-vis de l’Afrique.

« L’Afrique est à la croisée des chemins. Les changements qu’elle connaît portent en eux la nécessité d’un profond renouvèlement de notre conception des relations entre la France et l’Afrique. A nous de nous adapter: un mouvement est en marche en Afrique qui commence à échapper à la France et qui pourrait continuer de lui échapper encore au fur et à mesure d’un déficit de communication avec les nouveaux décideurs africains qui va s’accroissant, tandis que la concurrence anglo-saxonne et chinoise se fait de plus en plus présente. »