L’Afrique fait les yeux doux au capital-investissement

[Africa Diligence] Les monceaux d’argent levés par les fonds de private equity spécialisés sur les marchés émergents peinent à s’investir. Et ce, faute de marchés de capitaux assez liquides et de gouvernance d’entreprise suffisamment aboutie. Ou parce que les acteurs locaux du capital-investissement sont eux-mêmes déjà très présents. Objectif: Afrique ?

Comme les entreprises, les fonds de capital-investissement ont pris le train des pays émergents, depuis quelques années. Avec l’espoir d’engranger des taux de retour sur investissement (TRI) sinon mirifiques, du moins autrement plus élevés que ceux grappillés dans une zone euro en pleine crise économique et financière. Plus exactement, ce sont les « LPs » (Limited Partners), c’est-à-dire les fonds de pension et autres investisseurs institutionnels clients des fonds de private equity, qui ont poussé ces derniers à se lancer à l’assaut de la Chine, de l’Inde, ou bien encore du Brésil.

Les investissements et les sorties ne suivent pas

A tel point que les fonds de capital-investissement spécialisés sur les marchés émergents reçoivent aujourd’hui le quart des capitaux alloués par les « zinzins » à l’ensemble du private equity mondial, selon le Global Private Equity Report 2012 de Bain & Company. Le hic, c’est que les investissements et les sorties et, par conséquent, les TRI, ne suivent pas. Les acquisitions d’entreprises réalisées par les fonds de capital-investissement axés sur les pays émergents représentent à peine plus de 10% du total des investissements du private equity mondial. Et la proportion est identique sur le front des cessions de participations.

La taille de l’économie ne suffit pas

Pourquoi les fonds peinent-ils à investir sur des marchés pourtant réputés très porteurs, au vu de leur croissance économique ? Difficile d’imaginer qu’ils soient en mal d’opportunités, quand on sait que les principaux pays émergents représentaient déjà un tiers du PIB (produit intérieur brut) mondial, en 2011, et que cette proportion devrait grimper à près de 50% d’ici à 2020, selon le FMI (Fonds monétaire international). Et pourtant ! « La taille d’une économie n’est pas un critère pertinent pour évaluer sa capacité à absorber l’argent des fonds de private equity », explique Bain & Company.

C’est le nombre de grandes entreprises qui importe

Pour le cabinet, ce qui importe, c’est le nombre de grandes entreprises que compte le pays en question. Tout simplement parce que cela donne une bonne idée de la présence – ou non – de facteurs essentiels pour les fonds de capital-investissement. Comme, par exemple, la profondeur et la liquidité du marché boursier, indispensables pour que les fonds puissent céder leurs participations dans de bonnes conditions. Ou, autre exemple, la taille du marché de la dette, cruciale pour les fonds de LBO (Leverage Buy-Out), qui rachètent des entreprises en jouant, précisément, sur l’effet de levier de la dette. Le nombre de grandes entreprises que compte un pays témoigne également de son évolution en matière de gouvernance, de transparence, de protection des intérêts des actionnaires. Autant d’éléments de première importance pour les actionnaires que sont les fonds de capital-investissement.

Un taux de pénétration du private equity quasi nul en Russie

Or, bien que le PIB russe soit près de quatre fois supérieur à celui de l’Afrique du Sud, cette dernière compte quasiment autant d’entreprises réalisant un chiffre d’affaires annuel de plus de 250 millions de dollars que la Russie. Ceci s’explique par un environnement plus favorable pour les entreprises, notamment en matière de gouvernance. Résultat, le taux de pénétration du private equity, mesuré par les investissements des fonds rapportés au PIB, est de 0,3% en Afrique du Sud, alors qu’il est quasi nul en Russie.

Des acteurs locaux importants en Chine

Si les pays émergents ne sont pas l’eldorado espéré par les fonds de capital-investissement étrangers, c’est également parce que certains de ces marchés sont déjà saturés. Ainsi, en Chine des acteurs locaux ou des fonds « du cru », comme CDH, SAIF, New Horizon, Hony Capital ou Fosun gèrent déjà chacun entre 3,5 et 6,8 milliards de dollars d’actifs, alors qu’ils ont été créés il y a une dizaine d’années, au plus. Sur les marchés du private equity brésilien et indien, il y a foule également. Si bien que les valorisations des entreprises y sont très élevées, réduisant de facto les TRI espérés par les fonds. Et le Brésil présente l’inconvénient supplémentaire d’être un marché de petites et moyennes entreprises, souvent familiales, qui ne voient pas toujours l’intérêt d’ouvrir leur capital à un fonds.

L’Afrique offre de belles perspectives

« Il est encore difficile, dans nombre de pays émergents, d’avoir la possibilité de réaliser des transactions de qualité, en raison d’un environnement institutionnel relativement immature », reconnaît Andrea Vogel, responsable des marchés de croissance pour l’Europe, le Moyen-Orient, l’Inde et l’Afrique, chez Ernst & Young. Qui loue en revanche le développement des marchés de capitaux en Tunisie et en Egypte, deux pays où la gouvernance des entreprises s’est également améliorée. Au Maroc aussi, la liquidité du marché de la dette a progressé, tout comme celle du marché des fusions-acquisitions. Deux ingrédients qui, ajoutés à des perspectives de croissance économique favorables, font de ce pays un marché intéressant pour le capital-investissement. Felix Haldner, associé au sein du fonds de private equity Partners Group, en est convaincu : l’Afrique deviendra un nouveau « spot » de choix pour le capital-investissement. Tout comme la Turquie, le Moyen-Orient et, plus inattendu, la Mongolie, affirme l’expert.

(Avec Christine LEJOUX)