La sécurisation des investissements en Afrique francophone

(Africa Diligence) L’Afrique subsaharienne francophone se positionne sur l’échiquier mondial et affiche sa volonté de séduire les investisseurs. Le continent franchit une nouvelle étape dans la sécurisation des investissements sous le prisme de l’intelligence économique et stratégique.

À l’afropessimisme des dernières décennies, qui a pu nourrir une vision fataliste du continent noir voué à rester en marge des échanges économiques mondiaux, se dressent d’autres réalités africaines. Celles d’une population jeune, d’une démographie dynamique, de taux de croissance élevés ; une terre d’afflux de capitaux, riche en ressources naturelle et minière qui constituent des atouts considérables au soutien de son développement.

Pour se convaincre de son attrait, il suffit de constater la concurrence sévère que se livrent les grandes puissances mondiales, BRICS en tête, désireuses de pénétrer les marchés africains dynamiques. L’Afrique est ainsi l’une des rares régions à avoir enregistré une hausse des entrées d’investissements directs étrangers (IDE) entre 2011 et 2012. Dans ce contexte, le Conseil des ministres de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA) a adopté un nouvel Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et au groupement d’intérêt économique, entré en vigueur le 5 mai dernier.

Depuis plus de vingt ans, l’organisation panafricaine s’est donnée pour mission la création d’un droit moderne, simple et adapté à l’environnement économique et social africain, avec pour principale ambition de garantir la sécurité juridique de ses activités économiques. Les règles de droit matériel communes aux États membres ont ainsi pris corps depuis vingt ans au travers de neuf Actes uniformes, adoptés par le Conseil des ministres. L’évolution des exigences des investisseurs internationaux a conduit à moderniser certains des Actes afin de les adapter aux pratiques internationales.

Si le droit des sûretés avait alors fait l’objet d’une réforme majeure en 2011 avec notamment l’introduction de l’agent des sûretés et de la cession de créances professionnelles à titre de garantie, les dispositions relatives au droit des affaires restaient par trop lacunaires.

Ainsi, faute d’instruments juridiques réellement adéquats, les acteurs économiques étaient souvent contraints de soumettre leurs contrats à des droits étrangers. Un nouveau pas a été franchi avec l’entrée en vigueur, en janvier 2014, du nouvel Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et au groupement d’intérêt économique. Très attendu des investisseurs, ce texte est porteur d’innovations majeures.

Inspirée du droit français, l’économie générale du nouveau dispositif témoigne d’une grande souplesse qui s’illustre tant dans une modernisation largo sensu du droit des affaires (formalité de création des sociétés en ligne, dématérialisation des valeurs mobilières, participation aux conseils d’administration à distance, etc.) que dans la consécration de nouveaux outils analogues à ceux existant déjà sur d’autres marchés plus matures (société par actions simplifiée, pactes d’actionnaires, actions de préférence, etc.).

Un des points clés de la réforme est sans conteste l’arrivée de la société par actions simplifiée. Cette forme sociale bien connue des investisseurs a pour principal avantage de laisser une liberté contractuelle aux associés dans l’organisation des règles de fonctionnement, notamment en permettant de séparer le pouvoir du contrôle du capital.

Dans ce même esprit de flexibilité, le législateur OHADA a accordé la faculté de stipuler la variabilité du capital des sociétés par actions ne faisant pas publiquement appel à l’épargne, de convoquer les associés par courrier électronique enfin, de faire délibérer leurs actionnaires et les membres de leur conseil d’administration par « visioconférence », ce qui n’est pas dénué d’intérêt pour des investisseurs étrangers.

Cette flexibilité se retrouve en outre dans la confirmation de la validité des pactes d’actionnaires, particulièrement utiles pour organiser le pouvoir en présence d’un actionnariat aux intérêts parfois différents (entité étatique, sponsors, fonds d’investissement, etc.). Ces conventions extra-statutaires sont souvent utilisées dans la structuration des joint-ventures pour organiser la sortie des actionnaires (clause de tag along ou drag along).

Souplesse qui transparaît également dans la création des actions de préférence, lesquelles permettent d’accorder à certaines catégories d’actionnaires des  » droits particuliers de toute nature ». Dans la pratique, ces droits peuvent consister en des avantages financiers (droit à un dividende préciputaire, cumulatif, forfaitaire, droit préférentiel sur le prix de cession d’un actif identifié, etc.), politiques (droits de vote double, etc.), voire des droits dans une filiale (actions traçantes ou tracking shares).

De nouvelles dispositions sont également consacrées aux valeurs mobilières composées donnant accès au capital ou donnant droit à l’attribution de titres de créances (obligations convertibles, obligations avec bons de souscription d’actions ou encore obligations remboursables en actions).

Les discussions ayant donné naissance à l’adoption de cet Acte révisé soulignent l’intérêt des investisseurs internationaux et démontrent que la tradition civiliste a encore le vent en poupe ! Mais aussi moderne soit-il, le droit OHADA ne restera vivant qu’à la condition de quitter le champ du supranational pour s’incarner au niveau des États membres. L’édiction de règles pertinentes ne saurait en effet suffire pour assurer l’attractivité du droit des affaires africain.

Désormais, il semble que ce ne soit plus tant le contenu de ce droit – résolument moderne – qui pose problème, mais bien les conditions qui entourent sa mise en œuvre. Le défi concerne donc sa réception effective par les États membres et suppose la mise en place d’un appareil judiciaire adapté, c’est-à-dire moderne et fiable.

L’application du droit communautaire par les juges nationaux associés aux fonctions consultatives et juridictionnelles de la Cour commune de justice et d’arbitrage de l’OHADA (CCJA) sera seule à même de garantir la réceptivité des règles communes dans une zone théoriquement homogène, mais qui en pratique révèle des disparités économiques pouvant faire obstacle à sa diffusion.

D’autre part, l’attractivité d’un système juridique ne repose pas uniquement sur l’intention prescriptive des textes, mais doit s’appuyer sur un dispositif répressif efficace de lutte contre la délinquance économique et financière. Or, le Traité fondateur de Port-Louis fait du législateur national le principal acteur dans la sanction des infractions d’affaires consécutives à l’application des Actes uniformes. Le principal danger est de voir aboutir une hétérogénéité des sanctions entre les États membres avec pour corollaire le développement d’un forum shopping pénal.

L’Afrique pèse aujourd’hui de manière croissante sur la scène internationale. À l’avenir, il faudra sans doute compter encore plus sur ce continent présenté comme le dernier eldorado et qui stimule une véritable course aux marchés engagée par des pays de plus en plus nombreux. En financement de projets, les 72 milliards de dollars d’investissements annuels annoncés dans les infrastructures témoignent d’un avenir prometteur.

Consciente de cette magnifique opportunité, la France vient de publier récemment un rapport intitulé « Un partenariat pour l’avenir : 15 propositions pour une nouvelle dynamique économique entre l’Afrique et la France », à la demande de Pierre Moscovici, ministre de l’Économie et des Finances, et sous la direction conjointe de cinq personnalités françaises et franco-africaines du monde politique et économique, Hubert Védrine, Lionel Zinsou, Tidjane Thiam, Jean-Michel Severino et Hakim El Karoui.

Hugues Martin-Sisteron