Lansana Gagny Sakho : “La victimisation de l’Afrique ne marche plus face à la concurrence”

[Africa Diligence] Après une vingtaine d’années passées chez Coca-Cola, Philips Morris, Colgate Palmolive et Sc Johnson Ltd Co, le Sénégalais Lansana Gagny Sackho créé le cabinet “Experts Visions” en 2008 pour changer de trajectoire. Mais le 1er octobre 2014, le Président Macky Sall le nomme Directeur Général de l’Office des Forages Ruraux (OFOR). Objectif : régler les problèmes d’accès à l’eau de 8 millions de Sénégalais. Plus que jamais, il rêve d’une émergence potable pour son pays et son continent.

“Je commencerai par remercier Allah… je suis conscient que j’ai eu la chance de faire partie de ces 4% d’Africains dont les parents avaient les moyens de leur donner une bonne éducation. J’ai eu de la chance. Oui! Je dis bien de la chance parce que je ne suis pas plus méritant que les autres. De la chance parce qu’on ne choisit pas ses parents. Je remercierai toujours mes parents qui m’ont forgé et inculqué certaines valeurs. Des parents qui, à un certain moment de la vie, m’ont permis de prendre les bonnes décisions” entame le Sénégalais Lansana Gagny Sakho.

Ses domaines de compétences recoupent l’ingénierie, la finance, le marketing, le management et la gestion de projets, une polyvalence qu’il explique par l’importance des défis que génère la construction d’un continent africain prospère. En termes de carrière, l’homme a passé près d’une vingtaine d’années d’expérience dans des multinationales (Coca-Cola, Philips Morris, Colgate Palmolive, Sc Johnson Ltd Co). “Ce fut des moments fabuleux dans ma carrière qui m’ont permis de développer de fortes aptitudes managériales et d’impacter positivement sur le cours des affaires en Afrique, explique-t-il.

À partir de l’année 2008, il décide de se mettre à son propre compte pour changer de système de valeur en créant le cabinet Experts Visions. “Nous travaillions essentiellement dans la sous-région et avions des alliances dans la plupart des pays clefs d’Afrique (Cote d’Ivoire, Ghana, Cameroun, Gabon, RDC). Notre ambition était d’arriver à créer un réseau de cabinets performants dans tous les pays d’Afrique, précisément ceux au Sud du Sahara” confie-t-il.

Le 01 octobre 2014, c’est le tournant dans sa carrière, “l’aboutissement d’un rêve”, reconnait-il : servir le pays qui lui a tout donné. Il est nommé Directeur Général de l’Office des Forages Ruraux (OFOR) par son Excellence le Président Macky Sall. Objectif principal : régler les problèmes d’accès à l’eau des populations du monde rural, soit 8 000 000 de Sénégalais. C’est donc un leader humble, pointu et reconnaissant qui a accepté de répondre à nos questions.

Africa Diligence : Croyez-vous en l’émergence économique du continent africain ?

Lansana Gagny Sakho : Qu’est-ce l’émergence ? Si vous parlez de développement économique du continent je vous demanderai si nous avons vraiment le choix ? Nous sommes confrontés depuis nos indépendances à la problématique du développement économique et social du continent.

Émergence oui, mais la priorité sera d’arriver à l’impérieuse nécessité de bâtir une vision sur le long terme pour repenser le mode de création de richesses de nos pays. Les pistes de solution devraient s’articuler autour de la redéfinition du cadre institutionnel de l’appui au secteur privé. Nos états devraient réaffirmer, sans équivoque, leur volonté politique de faire du secteur privé, le moteur du développement économique du continent.

Sans travail, avec un avenir incertain, l’angoisse et le désespoir, la jeunesse africaine risque de développer, avec le goût des armes et de la drogue, une culture de pillage, de gangstérisme et de barbarie. C’est toute la dynamique du renouveau du continent qui se joue. Pour paraphraser Theophile Obenga “On disparaît quand on n’arrive pas à relever les défis”. En réalité nous n’avons même pas le choix.

Émergence ou développement économique nous devons y arriver. Émergence oui, mais personne ne fera le job à notre place. Nous devons retrousser les manches, arrêter d’accuser systématiquement les autres. La victimisation ne peut pas prospérer dans un monde de compétition internationale où les plus faibles sont appelés à disparaître.

S’il fallait vous aider à contribuer au développement rapide de l’Afrique, quels leviers pourrait-on activer?

Le développement ne peut pas être rapide. Il faut plusieurs décennies de travail sans relâche. Cela est d’autant plus complexe que les défis sont énormes pour le continent. Si développement il doit y avoir, il me semble que nous devons agir sur deux leviers.

C’est un lieu commun de dire que notre continent est riche. La plupart des États affichent depuis une dizaine d’années, une croissance supérieure au taux mondial. Cependant de vastes pans de sa population, en particulier les jeunes, se sont retrouvés laissés-pour-compte et frustrés.

Deux décennies d’expansion économique sur le continent ont généré des attentes d’emplois décents pour la jeunesse, sans réellement augmenter considérablement la capacité de les fournir. Nous devrons nous orienter vers une augmentation des taux de transformation structurelle de nos économies. La planification économique du continent ne doit pas continuer à être fondée sur de simples extrapolations de la croissance. Ce qui manque à nos pays, ce sont des industries commerciales modernes qui peuvent transformer le potentiel en réalité, en agissant comme le moteur interne de croissance de la productivité. Il faut obligatoirement réorienter l’agenda des pays africains vers une stratégie de croissance inclusive, créatrice d’emplois et durable.

Le second levier concernera le développement de l’entreprenariat à travers l’innovation. Ce levier pourra permettre de régler en filigrane le problème du chômage des jeunes. Il existe une relation positive et statistiquement significative entre l’entrepreneuriat et l’innovation. L’innovation est faible en Afrique, non pas parce que les personnes capables d’innover n’existent pas, mais plutôt parce que l’on ne permet pas à l’esprit d’entreprise d’éclore.

La question de l’innovation sur le continent ne peut être abordée sans poser le problème de son financement. La structuration de l’offre de financement en Afrique n’est simplement pas adaptée au développement de l’innovation. Les aspects de rentabilité et de maîtrise des risques restent prépondérants dans l’appréciation des requêtes de financement des projets. Ce qui amène les institutions financières à souvent privilégier des financements à court terme au détriment des ceux à moyen et long terme. Si du point de vue bancaire, cela a un sens, il n’en est rien pour les innovations.

Nos États ont besoin d’un cocktail de politiques et de stratégies qui améliorent la productivité, traitent la question des compétences indispensables et des problèmes d’infrastructures, favorisent l’innovation. Nos gouvernements doivent assumer un rôle de chef de file dans l’élaboration de stratégies de compétitivité et de politique d’innovation.

Propos recueillis par la Rédaction

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