Le dernier virage de l’intelligence économique en Afrique

[Africa Diligence] En apprenant l’annonce de la création du Centre Africain de Veille et d’Intelligence Economique (CAVIE), en plein été 2015, seuls quelques spécialistes avaient compris l’enjeu stratégique. Alors que certains s’attendaient à y retrouver une caisse de résonance des écoles de pensée dominantes, le Centre s’est émancipé en dessinant une trajectoire africaine. Cet entretien exclusif à l’Agence Ecofin raconte son dernier virage. 

Fondateur de Knowdys Consulting Group (KCG) et président du Centre Africain de Veille et d’Intelligence Economique (CAVIE), Guy Gweth est en charge du programme “Doing Business in Africa” à Centrale Supelec depuis 2012 et professeur de due diligence à l’Ecole Supérieure de Gestion (ESG) de Paris depuis 2013. Responsable pédagogique du MBA “Intelligence économique et marchés africains” à l’ESG et à l’Université Centrale de Tunis, il est (ou a été) enseignant à l’Ecole de guerre économique de Paris, à l’Institut des hautes études de défense nationale, à l’Université de Reims et à la BGFI Business School de Libreville. Régulièrement interrogé par les médias internationaux, c’est l’un des experts opérationnels les plus suivis par la communauté des investisseurs internationaux intéressés par le continent africain. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont “70 chroniques de guerre économique”.

Agence Ecofin : Vous venez de dévoiler 35 formations courtes et spécialisées, juste après le lancement du MBA “Intelligence économique et marchés africains” en France et en Tunisie. Pourquoi autant de formations en autant de formats?

Guy Gweth: L’intelligence économique (IE) permet de défendre, attaquer, influencer. Bien qu’il y ait des fondamentaux, sorte de dénominateur commun, en matière de sûreté, nul guerrier ne s’attèle à défendre Rome ou Athènes comme on défend Abuja ou Bamako. Il en va de même pour les secteurs d’activités. Quel que soit le talent, il n’est pas aisé, loin s’en faut, pour le meilleur des généralistes en IE de faire entendre le même message, au même moment, à un public de douaniers, à un groupe de la grande distribution ou de l’industrie pharmaceutique. Leurs réalités et leurs contraintes sont trop différentes pour être confondues.  Forts de Knowdys Database, il nous a fallu 10 ans pour veiller, collecter, analyser, extraire méthodiquement les besoins de chacune de nos cibles, et tester les solutions proposées, pour y répondre de manière chirurgicale, en 35 capsules. Je rappelle, à toutes fins utiles, que depuis 2007, Knowdys Database permet de surveiller, 24h/24, et 7j/7, douze secteurs économiques clés du continent: agroalimentaire, assurance, aéronautique, automobile, énergies, banques, BTP, défense, éducation, industrie pharmaceutique, matières premières, télécoms.

On sent, en Afrique, comme une urgence, chez les cadres dirigeants et chez les professionnels indépendants à participer à des formations et à se préparer au combat économique. A ce titre, quelle est la principale valeur ajoutée des programmes KCG?

Nous sentons la même urgence et le même soulagement au sein des administrations publiques et privées les plus exposées à la concurrence internationale. Vous savez sans doute qu’en Asie, aux Etats-Unis, comme en Europe, les pionniers de l’intelligence économique avaient conçu des programmes longs pour former des experts en intelligence économique adaptés à ces environnements-là et capables d’influencer le reste du monde. Sortis de ces écoles, nous avons pris le courage nécessaire d’en tirer le meilleur, de l’adapter aux contextes africains, d’établir nos priorités et de fixer nos propres objectifs en écoutant attentivement nos Etats, nos entreprises et les groupes d’intérêts que nous accompagnons depuis 10 ans. Dans nos programmes, les candidats reçoivent d’abord une doctrine de l’affrontement asymétrique du faible au fort; ensuite des méthodes et outils les plus performants; enfin un réseau d’experts et des retours d’expérience documentés. Adossées au référentiel africain de veille et d’intelligence économique, suivant les normes de qualité les plus strictes, les formations certifiantes que nous délivrons sont reconnues par la communauté de l’IE. En plus des compétences, chacune donne droit à des credits dont la somme peut permettre, in fine, d’obtenir le diplôme correspondant.

Outre le MBA et les formations courtes, vous avez récemment instauré la Journée africaine de l’intelligence économique et nommé un Coordonnateur en charge des Club CAVIE au sein des lycées et collèges. L’IE n’est donc pas une affaire de discrets spécialistes ?

C’est Richter qui rappela un jour  que « la discrétion, cette vertu héroïque, demande, pour être exercée, la force d’une raison plus mûre. » C’est précisément ce à quoi nous nous attelons. Je rêve du jour où la veille et l’IE seront enseignées, du Primaire à l’Université, au même titre que la géographie ou les mathématiques. C’est dans cette perspective que nous avons instauré la Journée africaine de l’intelligence économique, le 3 août de chaque année, à compter de 2018. Loin des discours et autres déclarations d’intention si courants à notre époque, nous tenons-là le moyen le plus sûr, le plus rapide, et le plus discret tout à la fois, de rattraper le gigantesque retard que nous accusons en matière de développement économique, industriel et scientifique. Connaissant assez bien le terrain, nous savons – d’expérience – qu’il est plus facile de passer par les enfants pour atteindre les adultes et changer les mentalités. C’est dire si notre approche est stratégique. Nous avons choisi le Togolais Beaugrain Doumongue pour dynamiser cette action en direction des lycées et collèges. Nous estimons, au vu de la réalité du marché, que ce serait une erreur monumentale de tout attendre des décideurs politiques; ils rejoindront le train le moment venu… Dans l’intervalle, je l’espère vivement, les jeunes Africains, entrepreneurs ou non, auront compris que l’ignorance n’est pas une excuse, et que la découverte nous affranchit.

Propos recueillis par Dominique Flaux (Agence Ecofin)