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Le président Andry Rajoelina, VRP sur le marché africain de l’Artemisia

[Africa Diligence] Le chef de l’Etat malgache a lancé un remède à base d’Artemisia pour lutter contre le nouveau coronavirus. Malgré les mises en garde de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), la plante anti-malarienne monte en puissance sur le marché africain. Elle intéresse de plus en plus d’investisseurs internationaux.

Dans la crise sanitaire qui secoue le monde depuis des mois, un prétendu remède contre la Covid-19 a surgi en Afrique, là où nul ne l’attendait. Le président malgache, Andry Rajoelina, convaincu de détenir la solution contre le nouveau coronavirus, a pris de court scientifiques et instances internationales. Et créé le buzz grâce à une opération de communication en trois temps. D’abord quelques annonces mystérieuses, début avril, au sujet d’un remède anti-Covid. Une allocution télévisée, dix jours plus tard, où il dévoile le nom du traitement : « Covid-Organics » (CVO), un « remède traditionnel amélioré » à base d’Artemisia et de plantes médicinales de Madagascar. Enfin, le lancement officiel des petites bouteilles de liquide ambré devant un parterre de ministres, d’ambassadeurs, et de journalistes conviés le 20 avril, à l’Institut malgache de recherches appliquées (IMRA), où le breuvage a été conçu. En décoction à boire, en infusettes, ou en vrac de plantes brutes, le Covid-Organics est préconisé comme traitement préventif et curatif, et vanté par le président comme l’arme absolue contre la Covid-19.

A la veille du lancement commercial, seuls trois patients volontaires avaient testé le remède. Contacté fin avril, Charles Andrianjara, directeur de l’IMRA, nous expliquait : « Nous avons constaté une amélioration de leur état de santé. Les symptômes de fièvre et de difficultés respiratoires se sont atténués. Au bout de 7 à 10 jours, les patients étaient négatifs. L’étude est en cours pour confirmer cette tendance positive. » Balayant les réserves de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui a rappelé qu’il n’existait pour l’heure « aucune preuve » que des plantes médicinales puissent « prévenir ou guérir » la Covid-19, le président Rajoelina annonce que sa tisane sera offerte aux enfants des écoles et aux populations démunies. « Cette potion est notre gilet pare-balles dans la guerre contre le coronavirus », affirme-t-il. Depuis le 22 avril, les petites bouteilles au packaging coloré sont vendues à un prix modique, dans les pharmacies et stations-service de la Grande Île, grâce à une autorisation temporaire du ministère de la Santé. Les bénéfices des ventes sont reversés à l’IMRA pour « financer la recherche scientifique ». La tisane n’a pour l’heure pas d’Autorisation de mise sur le marché (AMM). Car la composition du breuvage est un secret bien gardé. Les scientifiques malgaches souhaitent d’abord faire breveter leur produit afin de pouvoir le vendre à l’étranger, s’ils obtiennent le feu vert de l’administration en charge du contrôle des médicaments.

Après un communiqué où elle s’est inquiétée de la distribution massive de la décoction « dont les preuves scientifiques n’ont pas encore été établies », l’Académie de médecine malgache est finalement revenue sur sa position, réclamant « la mise en place d’un système de suivi des personnes ayant consommé le CVO ». Le président de l’institution, à travers une tribune parue le 30 avril dans « Jeune Afrique », rappelle les fondamentaux de l’IMRA. Un institut dont la légitimité est respectée dans le monde, et dont le « credo » est de prôner « la recherche associant les médecines moderne et traditionnelle », compte tenu de la biodiversité exceptionnelle sur la Grande Île. « L’Artemisia annua a déjà fait l’objet de plus d’une vingtaine d’études à Madagascar, où elle a été introduite en 1975 pour lutter contre le paludisme. Sa forme médicinale est déjà commercialisée en pharmacie », souligne le président de l’Académie de médecine, au sujet de l’ingrédient principal du Covid-Organics.

De son côté, le directeur de l’IMRA explique que « 70% des Malgaches utilisent des plantes pour se soigner car les médicaments sont trop chers pour eux. Y compris le remède du Pr Raoult. Ce n’est pas le cas du Covid-Organics ». Depuis son retour en 2010 à Madagascar, après un parcours professionnel à l’international, Charles Andrianjara a mis sur le marché quatre phytomédicaments aujourd’hui intégrés dans le système national de santé. « Pendant toutes ces années où j’ai travaillé dans l’industrie pharmaceutique, j’étais convaincu que le seul moyen d’obtenir un bon médicament était la recherche sur les principes actifs. Ma vision a complètement changé au moment où j’ai travaillé à l’élaboration d’un antidiabétique à l’IMRA. L’extrait de plantes fonctionnait très bien chez l’homme alors que le principe actif isolé de la plante ne donnait aucun résultat. Pourquoi? La plante contient un cocktail de molécules dont les effets synergiques peuvent présenter un effet biologique puissant. »

D’où est venue l’impulsion présidentielle d’orienter les recherches de l’IMRA sur un remède à base d’Artemisia? D’une lettre venue… de France ! La Maison de l’Artemisia, une association humanitaire qui promeut l’étude scientifique et l’utilisation de cette plante contre le paludisme, est à l’origine de ce courrier. Après avoir découvert qu’en Chine, qui utilise l’Artemisia annua depuis plus de 2000 ans, les médecins avaient administré les décoctions pendant l’épidémie de SARS de 2003 et contre la Covid-19, dès le mois de décembre. Associée aux thérapeutiques conventionnelles, les tisanes auraient atténué les symptômes respiratoires, et réduit de 10% les entrées en réanimation. Des molécules de l’Artemisia annua seraient capables de bloquer les deux récepteurs principaux (protéase sérique, récepteur ACE2) de la membrane cellulaire, c’est-à-dire les deux principales clés d’accès au virus dans la cellule.

«Au départ, nous avions envoyé ce courrier au gouvernement français. Il s’agissait d’une proposition de pré-étude clinique à destination du personnel soignant des services de réanimation, pour les protéger du virus. Nous pouvions mettre à disposition rapidement et gratuitement l’Artemisia annua », précise Lucile Cornet-Vernet, fondatrice de l’association qui compte aujourd’hui 80 « Maisons » dans 23 pays du Sud. Autant de pôles de compétences (médecins, pharmaciens, agronomes) qui travaillent avec les autorités locales et aident les agriculteurs à produire. « Non seulement ils ont beaucoup moins de frais de santé car les enfants ne font plus de paludisme, mais en plus ils gagnent de l’argent, et ça remet du business dans les campagnes », ajoute Lucile dont l’association promeut les tisanes d’Artemisia annua (variété chinoise) et afra (cousine africaine) pour les populations qui n’ont pas accès aux médicaments. Mais la lutte est âpre car l’OMS ne recommande pas l’usage de la plante.

Le gouvernement français n’ayant pas répondu, l’association a décidé de passer l’information à l’Afrique. « Le 20 mars, nous avons envoyé notre documentation aux ministères de la Santé africains. Il fallait qu’ils sachent que potentiellement, ça pouvait marcher. » Plus gros producteur d’Artemisia au monde, Madagascar a saisi la balle au bond. « Ils ont été les premiers à nous appeler », confie Lucile. Dès l’annonce du remède anti-Covid par le président malgache, le téléphone de Lucile ne cessera de sonner. D’autres pays emboîtent le pas.

Dans la communauté médicale et scientifique, la « potion magique » du jeune président au ton messianique suscite interrogations et suspicions. Le Centre pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) de l’Union africaine émet des réserves. Toutefois, des dirigeants africains sont séduits par la performance de leur homologue. Macky Sall au Sénégal, et Félix Tshisekedi en République démocratique du Congo (RDC), sont les premiers à s’entretenir avec lui. Quelques jours plus tard, ils sont neufs chefs d’Etat réunis en visioconférence, devant un président transformé en VRP. Rajoelina vante les vertus préventive et curative de son remède, « plus efficace et moins invasif que la chloroquine ». Son enthousiasme est contagieux. «Nous sommes en guerre, mais cette fois-ci, ce ne sont pas des bombes ni les balles qui seront nos munitions, mais l’intelligence de nos scientifiques, l’audace des leaders et la solidarité », a-t-il déclaré. La petite bouteille de liquide ambré devient le symbole « d’une Afrique fière et déterminée ». Sénégal, République démocratique du Congo, Niger, Guinée-Bissau et Guinée équatoriale, Tanzanie, Comores, Tchad… Des commandes sont passées. Depuis le début du mois de mai, les autorités malgaches ont livré dans une vingtaine de pays leur remède à base d’Artemisia. « Exclusivement des dons », précise la communication du président.

Au grand dam de l’OMS. « Même lorsque des traitements sont issus de la pratique traditionnelle et de la nature, il est primordial d’établir leur efficacité et leur innocuité grâce à des essais cliniques rigoureux. (…) Des plantes médicinales telles que l’Artemisia annua sont considérées comme des traitements possibles de la Covid-19, mais des essais devraient être réalisés pour évaluer leur efficacité et déterminer leurs effets indésirables. », avertit l’institution le 4 mai. Trois jours plus tard, elle mettra une nouvelle fois en garde les dirigeants africains contre la tentation de promouvoir et d’utiliser la potion malgache sans tests scientifiques.

 « Nous avons respecté les normes éthiques reconnues universellement en matière d’études et de recherches cliniques », maintient le président malgache, le 11 mai. Lors d’un entretien accordé aux journalistes de RFI, il précise que « le système de validation d’un remède traditionnel amélioré est différent de celui d’un médicament », et qu’un essai clinique sera réalisé pour « un médicament sous forme d’injection, dans le cadre d’une coopération scientifique ». Il ajoute que sur 171 cas, 105 sont guéris, en précisant que « les patients guéris ont pris uniquement le remède CVO. Une nette amélioration de leur état de santé a été observée 24 heures après la première prise. La guérison a été constatée après 7 voire 10 jours de traitement ». Le président n’entend pas se laisser «freiner » par les mises en garde de l’OMS, qu’il tâcle en rappelant aux journalistes le scandale du Mediator, un médicament qui avait reçu les « autorisations ». Et de conclure : « C’est quoi le problème du Covid Organics? Le problème est qu’il vient d’Afrique. »

Sur les réseaux sociaux, l’opinion africaine s’emballe pour ce président « courageux », ce « Superman de l’Afrique ». L’espoir du panafricanisme renaît. Sa voix trouve d’autant plus d’écho que l’officialisation du remède africain est arrivée juste après une énorme polémique. Début avril, le Pr Muyembe, éminent virologue, déclarait que la RDC était prête à accueillir les essais d’un futur vaccin contre la Covid-19. Au même moment en France, le chef de service d’un hôpital parisien et un chercheur de l’Inserm évoquaient l’opportunité de réaliser, en Afrique, des essais cliniques sur l’utilisation de la vaccination du BCG pour prévenir des infections au Covid-19. « Nous ne serons plus les cobayes de personne »… La Toile africaine s’est enflammée.

Le 12 mai, le président de la RDC a reçu le Dr Jérôme Munyangi. Rentré au pays par avion privé, le 5 mai, le médecin-chercheur, spécialiste de l’Artemisia, était réfugié en France depuis un an. Empoisonné au cours de l’essai clinique qu’il pilotait, emprisonné à deux reprises à Kinshasa, la tête de Jérôme Munyangi est mise à prix par la mafia des faux médicaments. « L’efficacité de l’Artemisia contre le paludisme pose problème aux trafiquants car les gens achètent moins de médicaments », nous confiait-il huit jours avant son départ. A Kinshasa, sa sécurité est assurée par la présidence. « J’espère vraiment que les chercheurs africains vont se mettre ensemble pour constituer une task-force africaine contre la Covid-19. Avec ou sans Artemisia, il faut une réponse adaptée au continent », nous confiait-il encore. Il ne cache pas que l’objectif de son combat, quand l’épidémie sera passée, est de reprendre ses travaux sur l’Artemisia contre le paludisme et de lutter contre le trafic des faux médicaments : « les vrais problèmes de santé en Afrique. »

Pour l’heure, son protocole « Artemisia Covid-19 » vient d’être accepté par le CDC de l’Union africaine. Un essai clinique multicentrique devrait voir le jour en RDC – qui testera l’efficacité et la sécurité de la plante – « avec le Sénégal et d’autres pays africains intéressés ». L’Artemisia revient sur le devant de la scène. Pour combien de temps?

La Rédaction (avec François de Labarre)