Les jeunes chercheurs Africains face à l’émergence totale de leur continent

[Africa Diligence] Le colloque 2015 du CERDOTOLA a offert une occasion exceptionnelle aux universitaires de traiter de l’émergence sous des angles très divers. Présidé par Ama MAZAMA, professeur d’études africaines à Temple University l’Atelier « Jeunes chercheurs » avait pour rapporteur Guy GWETH de Knowdys Consulting Group.

Les présentations délivrées ont tour à tour interrogé l’émergence en contexte pluriculturel ; les liens entre religions, traditions et performance au Cameroun ; l’association entre tradition, sexualité et développement durable ; le développement culturel soutenable, le développement terminologique dans la modernisation des langues africaines ; ainsi que les oralités, art et économie : une contribution à la valorisation des dynamiques orales en Afrique contemporaine.

« REPENSER ÉMERGENCE EN CONTEXTE PLURICULTUREL. QUEL DÉCLOISONNEMENT ENTRE TRADITION ET DÉVELOPPEMENT DU CAMEROUN ? » Par Alphonse ZOZIME TAMEKAMTA

L’intervenant a développé son argumentaire en trois parties : (i) le portrait culturel du Cameroun, (ii) les similarités objectives et (iii) la soutenabilité.

Basés sur une méthodologie à quatre temps: observation – Enquête de terrain – bibliographie (basée sur la sagesse africaine) et déduction, ces travaux ont sondé les liens possibles entre l’interdépendance des traditions locales africaines et le développement du continent noir.

A titre de recommandation, l’intervenant a préconisé la déconstruction des préjugés négatifs sur les traditions locales, et milité pour la protection des dépositaires de ces dernières ainsi que la capitalisation des contenus culturels.

« RELIGION, TRADITION ET PERFORMANCE DES ENTREPRISES AU CAMEROUN », par André Damas TSAMBOU

En introduction à sa présentation, l’intervenant a rappelé l’importance des PME dans le tissu économique africain (jusqu’à 99% au Cameroun d’après ses statistiques) et souligné l’apport marginal de ces dernières au PIB (7% contre 20% dans les pays dans les pays européens).

Le conférencier a ensuite interrogé l’implication culturelle et précisément l’impact des traditions et croyances dans la performance des entreprises camerounaises.

Basés sur la théorie de la contingence et documentés par l’analyse quantitative d’un échantillon de 640 entreprises de trois villes camerounaises, ces travaux sont arrivés à la conclusion que les croyances religieuses (cas de l’islam) ont un impact sur les performances des entreprises.

« TRADITION, SEXUALITÉ ET DÉVELOPPEMENT DURABLE EN AFRIQUE : QUELLES PERSPECTIVES ? Par GANKEM Jules Bernard

L’intervenant a démarré son intervention par une définition étymologique des traditions et considéré qu’elles pouvaient être entendues comme « la parole du passé ».

La confrontation de l’observation avec la dense bibliographe mobilisée a permis à l’intervenant de conclure à une tendance contemporaine à la marginalisation des traditions. Pour lui, « les rites traditionnels qui précédaient l’acte sexuel dans Égypte pharaonique ont disparu ».

A titre de recommandation, l’intervenant a mobilisé Cheik Anta Diop pour en appeler à un retour aux sources des Africains, gage – selon lui – d’une meilleure connaissance de soi.

« MISE EN TOURISME DU PATRIMOINE CULTUREL CAMEROUNAIS ET DÉVELOPPEMENT DU CAMEROUN – Par Jean Marie MONOK

L’intervenant a développé son argumentaire autour de trois questions : (i) que peut vendre l’Afrique en terme de patrimoine culturel ? (ii) Quelles stratégies mobiliser pour y parvenir ? (iii) Quel impact économique faut-il en espérer.

A la première interrogation, l’orateur a préconisé la commercialisation de groupes spécifiques à l’instar des pygmées, peuple à forte valeur ajoutée touristique selon lui ; les arts culinaires et funéraires, ainsi que les principaux festivals locaux. A la seconde question, le conférencier a préconisé la création de pôles culturels régionaux, la formation des guides touristiques et la création de musées spécifiques à chaque région. L’orateur a calculé que l’impact économique positif proviendrait d’une création de la valeur par l’endogénéisation des contenus culturels.

Le conférencier a conclu son propos en soulignant le rôle primordial de l’école dans la perspective d’une touristification optimale du patrimoine culturel camerounais.

« OUVERTURE COMMERCIALE ET DÉVELOPPEMENT CULTUREL SOUTENABLE EN AFRIQUE CENTRALE – Par Mouhamed MBOUANDI NJIKAM

Le conférencier a démarré son intervention par une définition du « développement durable » dont le but est de permettre aux générations actuelles de vivre sans compromettre la vie des générations possibles. Le « développement durable », estime-t-il, doit intégrer l’aspect culturel si souvent minoré dans les définitions des institutions internationales.

L’intervenant a ensuite déploré les effets de l’acculturation actuelle sur les générations futures et relevé la disparition progressive des biens culturels locaux face à la concurrence étrangère.

A titre de recommandation, le conférencier a préconisé la réduction des charges fiscales sur les biens culturels, le renforcement des capacités des préposés à la commercialisation de ces derniers et l’octroi, par les pouvoirs publics, d’appuis financiers adaptés au contexte.

« DÉVELOPPEMENT TERMINOLOGIQUE DANS LA MODERNISATION DES LANGUES AFRICAINES : CAS DE LA SENSIBILISATION MÉDICALE EN LANGUE GHOMALA A L’OUEST CAMEROUN » – Par Epiphanie MOTIO SIMO

L’oratrice a démarré son intervention en soulignant le rôle des langues dans la citoyenneté et le développement économique avant d’interroger la contribution des langues locales à la santé. La littérature mobilisée pose qu’il n’y a pas de développement dans une langue étrangère.

La conférencière s’est appuyée sur l’ouvrage de biologie inscrit au programme des classes de troisièmes de l’enseignement secondaire camerounais et passé les perceptions des usagers locaux au crible d’un outil élaboré par ses soins.

Au final, l’intervenante en est arrivée à des résultats positifs sur quatre aspects : l’innovation lexicale, l’innovation sémantique, la symbiose phonétique, la dérivation et la prescription. Le passage de la théorie à la pratique, conclut-elle, passe par une traduction progressive de la terminologie spécialisée dans les langues locales.

« ORALITÉS, ART ET ÉCONOMIE : CONTRIBUTION A LA VALORISATION DES DYNAMIQUES ORALES EN AFRIQUE CONTEMPORAINE » – Par Gabriel MBA

Cette intervention a d’emblée posé la question des indicateurs culturels dans le cadre d’une démarche action.

L’intervenant s’est ensuite attelé à développer une nouvelle approche culturelle mettant en exergue la place de l’oralité, ainsi qu’une grille d’analyse sur l’oralité dans un contexte mondialisé.

Au final, l’auteur a recommandé de revoir la notion de culture orale en vue d’en établir les liens avec l’économie.

CONTENU DES DISCUSSIONS

Les échanges entre le panel des intervenants et les participants ont principalement porté sur la question centrale du développement : réalité africaine ou importation d’un progrès à l’occidentale basé sur l’accumulation des biens matériels ?

S’il est apparu, d’un point linguistique, que le « développement » a des synonymes en langues locales africaines, il est en revanche ressorti des échanges que le contenu de ce terme est loin d’être partagé par les développementalistes occidentaux et l’intelligentsia africaine. Les échanges souvent vifs et passionnés sont quelques fois allés au-delà de la simple déconstruction préconisée par l’endogénéisation pour atteindre le stade du rejet de l’influence étrangère dans la détermination des critères du « développement. »

Au sortir de cet atelier, il se dégage un fort désir de réappropriation et de ré-enracinement de la question du développement et singulièrement de l’émergence par l’Afrique aussi bien chez les intervenants que chez la majorité des participants.

La Rédaction (avec le CERDOTOLA)