Manipulations: les confessions d’un assassin financier

Le livre autobiographique de John Perkins raconte comment il a fait exploser des économies pour maintenir des servitudes envers Washington. Il s’en repent. A distance, il y a prescription. Mais le procédé court toujours…

A la fin d’un cursus universitaire moyen, John Perkins est engagé pour faire des fiches de conjoncture économique en Equateur. Rien d’étonnant, il est diplômé en commerce. Mais voilà que quelques uns de ses talents cachés et beaucoup de ses frustrations passées l’amènent dans le giron de Main, une entreprise spécialisée dans le conseil. En fait d’entreprise conseil, un partenaire honorable des agences américaines, CIA et NSA… Les initiations « sans limites » par Claudine, elle-même agent de la « corporatocratie », rend notre « héros » opérationnel pour sa première mission : l’Indonésie. Nous sommes dans les années 60 et la lutte contre le communisme bat son plein à Washington. Cela va justifier les coups les plus tordus, les servitudes les plus viles, les inféodations les plus inavouables. De quoi s’agit il ? De recommander aux décideurs des pays cibles des politiques de « développement » qui produisent de la dépendance financière. Mais cela peut prendre du temps. Pour aller plus vite encore, ce sont les gouvernants eux-même qui sont ferrés : dette, luxure, chantage. Les opinions subodoraient le procédé. Le livre de Perkins le met à nu. C’est son histoire qu’il raconte. Cela donne un genre littéraire insoupçonnable, enrobé dans des CV « Stinger », des commandos avec des QI appréciables, assistés de chacals, qui agissent dans l’exotisme des Iles Vierges et de Java pour mettre le monde en coupe réglée. Cette «corporatocratie» s’appuie sur des chevaliers modernes: les EHM, « Economic Hit Man ». Perkins était un assassin financier.

Témoin à charge et pièces convaincantes
Si Eva Joly, la juge d’instruction qui a démantelé le système ELF en France, dénonce, dans un lancinant aveu d’impuissance, « ceux qui ont perdu l’habitude d’être contredits » en parlant des puissants faiseurs de destin, John Perkins fournit dans son livre le mode opératoire, côté cuisine, de la machine à asservir, souvent à appauvrir. Il explique le protocole implémenté par une poignée de cabinets qui utilisent les institutions internationales telles que l’ONU, l’OMC et le FMI ; en poussant à l’extrême la dérèglementation qui a mis le reste du monde dans une situation de vertiges permanents dont les réactions anaphylactiques sont des guerres civiles et des émeutes populaires permanentes. Ses accessoires étant la corruption, le chantage et l’exploitation des « déviants ». Le noyau de ce cataclysmique protocole est d’une banale composition : le taux de croissance et le produit national brut. John Perkins explique comment ces deux indices sont sciemment manipulés pour créer une hiérarchie orientée entre pays amis et pays hostiles, « grâce aux sciences  biaisées de la prévision, de l’économétrie et de la statistique ». Et pour justifier plus de prêts accordés par le FMI, la BIRD, les grandes banques. En réalité, Les confessions d’un assassin financier suggère que le capitalisme avait perdu son âme, si tant est qu’il en avait une, bien avant de perdre la tête, comme le décrit dans son livre le prix Nobel Joseph E. Stiglitz. Le livre de John Perkins est d’ailleurs une illustration spectaculaire des dégâts de « l’information asymétrique », chantier théorique connu de Stiglitz l’universitaire.

Résister est possible

La main invisible de la corporatocratie, le gouvernement du monde par l’intérêt des grandes firmes américaines, n’est finalement jamais très loin : et lorsque les évènements la dépassent (attentats du 11 septembre), la riposte porte sa marque (invasion de l’Irak). John Perkins plaide coupable. Il avoue sa « contribution » dans la fabrication d’identités meurtrières. Par la manipulation d’acteurs économiques et sociaux. Il jure aussi que la rédemption est possible. Son livre est aussi l’occasion de rappeler que jamais rien n’est écrit à l’avance. Ceux qui résistent détournent souvent le cours du crime. Comme Omar Torrijos, qui s’est battu pour le « droit des pauvres » au Panama et qui avait compris la duperie des aides internationales. Le président Jimmy Carter est décrit comme « une anomalie » à la tête de la Maison-Blanche: « Sa vision du monde était incompatible avec celle des assassins financiers».

AO: Chérif Aissat In LesAfriques

John Perkins. Les confessions d’un assassin financier, Révélations sur la manipulation des économies du monde par les Etats-Unis. 280 pages. Editions alTerre, 2004. Titre original anglais : confession of an economic hit man.