Maroc-France : ils ont voulu s’en prendre à la fortune du roi

[Africa Diligence] Soupçonnés d’avoir réclamé de l’argent afin de ne pas publier un livre à charge contre Sa Majesté le roi Mohammed VI, deux journalistes français ont été mis en examen dans la nuit du 30 août 2015 à Paris. Pour Guy Gweth, auteur de Maroc-Afrique : ils ont trahi le roi, il n’y a plus grand-chose à publier sur la fortune du Souverain que l’on ne sache déjà. Pour lui, « les piégeurs du roi avaient tout pour être piégés ».

Dans une déclaration, le journaliste Éric Laurent a concédé avoir cherché un « accord financier » avec le Maroc autour de son livre, mais a réfuté tout chantage ou extorsion de fonds : « Éric Laurent reconnaît et assume, pour des raisons qui tiennent à un contexte personnel difficile, avoir consenti à rechercher un accord financier, dans des conditions totalement étrangères à un chantage ou une extorsion de fonds », a déclaré son avocat, Maître Bourdon.

« Rien dans le dossier n’établit (…) que l’un ou l’autre des journalistes aurait initié une discussion de nature financière et pas plus n’aurait exigé un paiement en contrepartie de la renonciation à publier le livre », a-t-il ajouté.

Mise en examen

Jeudi, Rabat a déposé une plainte à Paris, et les deux journalistes ont été arrêtés à la sortie d’un rendez-vous avec un représentant du Maroc au cours duquel il y aurait eu remise et acceptation d’une somme d’argent.

Puis dans la nuit de vendredi à samedi, Éric Laurent et sa consoeur Catherine Graciet, ont été mis en examen pour chantage et extorsion de fonds. Tous deux sont soupçonnés d’avoir exigé trois, puis deux millions d’euros du Maroc, en échange de l’abandon de leur projet de livre et d’informations compromettantes sur la royauté.

« Un non-lieu sera demandé en temps et en heure », a annoncé Maître Bourdon, qui compte également mettre au jour (…) « comment a été conçu, élaboré et avec quels appuis ce coup monté ».

Un passif à solder

« On a voulu aussi diaboliser, discréditer les seuls journalistes qui aujourd’hui dénoncent les dérives de la monarchie chérifienne et dont l’enquête est de nature à révéler de lourds secrets », poursuit Maître Bourdon.

« Le royaume du Maroc a des comptes extrêmement lourds et un passif à solder avec Catherine Graciet. Ce dossier démarre, il y a des propos imprudents surtout dans le contexte de risques d’attentats, parler de terrorisme dans une affaire comme celle-là parait un petit peu avancé. Complot ou pas complot, je n’en sais rien. Il est clair qu’ils ont été attirés dans un traquenard », a dénoncé Maître Moutet sur BFM-TV.

« Le zèle » des agents français

L’avocat dénonce « l’opération de désinformation ahurissante menée depuis 48 heures par l’avocat de Rabat », une « tentative de manipulation de l’opinion publique (qui) n’est que le prolongement d’une première manipulation, soit le traquenard ourdi par Maître Naciri, émissaire du roi, pour piéger les journalistes ».

« Ce dossier apparaît aujourd’hui comme une opération politique de Rabat pour mettre en scène de façon opportuniste sa victimisation, dans des conditions de complaisance qui ne laissent pas à poser question », a ajouté l’avocat. Selon lui, « le zèle des agents français apparaît hors normes, illustré par la désignation de trois juges d’instruction, d’évidence hors de proportion avec les faits ».

L’affaire commence le 23 juillet…

Le parquet, qui s’était déjà saisi en enquête préliminaire, avait ouvert mercredi une information judiciaire. Selon le récit de l’avocat du Maroc, Maître Dupond-Moretti, l’affaire commence le 23 juillet quand Éric Laurent contacte le cabinet royal et sollicite une rencontre en disant qu’il prépare un livre.

Le journaliste de 68 ans n’est pas un inconnu au Maroc. Il a publié en 1993 un livre d’entretiens avec l’ancien monarque Hassan II, père de l’actuel roi Mohammed VI. Début 2012, il publie, avec Catherine Graciet cette fois, un livre accusateur contre Mohammed VI, « Le roi prédateur ». L’édition du journal espagnol El Pais avait été interdite sur le territoire marocain le jour où le quotidien avait publié les bonnes feuilles du livre.

Après l’appel d’Éric Laurent, un représentant du cabinet du roi, un avocat marocain, a rencontré le journaliste. « Et là, surprise, énorme », raconte Maître Dupond-Moretti, « Éric Laurent dit “écoutez, je prépare un livre avec Madame Graciet, co-auteure, et moyennant trois millions d’euros, il n’y a pas de polémique, on retire notre bouquin” ».

(Avec AFP et Knowdys Database)