Pétrole: bras de fer musclé entre le Gabon et Sinopec

(Africa Diligence) Libreville a engagé un bras de fer économique et judiciaire avec Addax Petroleum, filiale du géant pétrolier chinois Sinopec, en lui retirant l’exploitation d’un gisement de brut, faisant craindre à certains acteurs du secteur une dégradation du climat des affaires au Gabon.

Au coeur du conflit, le gisement d’Obangue (sud-ouest, production d’environ 9.000 barils/jour) dont l’exploitation a été retirée à Addax en décembre puis confiée à la nouvelle compagnie publique gabonaise, Gabon Oil Company (GOC), créée en 2011. Officiellement, Addax est sanctionnée pour avoir manqué à différentes «obligations contractuelles».

«Après plusieurs mois de négociations infructueuses (…) nous avons pris la décision de retirer de manière définitive le champ d’Obangue à Addax Petroleum», a expliqué le ministre gabonais du Pétrole, Etienne Ngoubou, dans un entretien à l’AFP.

Une telle décision à l’encontre une société aussi bien établie qu’Addax, 4e producteur du Gabon où elle opère depuis 1996, est peu fréquente dans le monde du pétrole. C’est en tout cas une première au Gabon. Depuis son rachat par Sinopec en 2009, Addax exploite cinq gisements sous forme de contrats partage de production avec l’Etat, soit environ 23.000 barils produits par jour.

Les griefs de l’Etat envers la société sont nombreux: «mauvaise gestion», «cas de corruption», «défauts sur le respect de l’environnement», ou encore exportation de pétrole «sans (le) fiscaliser», pour échapper aux impôts.

Le ministre reproche en outre à Addax d’avoir «fermé unilatéralement» le champ d’Obangue suite à ce retrait, obligeant l’Etat à «reprendre la production». Depuis le 1er janvier, GOC assure son exploitation.

Mais la filiale de Sinopec, qui a porté le contentieux devant la cour arbitrale de la Chambre internationale de commerce de Paris, parle elle d’«acharnement». La date de la décision de la cour n’est pas encore connue.

«Nous contestons la réquisition et rejetons toutes les accusations à notre égard. Addax Petroleum n’a jamais fait l’objet d’une condamnation pour un quelconque manquement à ses obligations fiscales, techniques, ou environnementales», soutient Hugues-Gastien Matsahanga, directeur de la communication d’Addax Gabon, interrogé par l’AFP.

Contrôler les ressources pétrolières

Addax affirme vouloir «rester au Gabon», qui représente 15 à 20% de sa production, bien que le ministre du Pétrole menace de lui retirer un deuxième permis sur le champ de Tsiengui (sud-ouest), «exploité dans les mêmes conditions» qu’Obangue, s’«ils ne font pas d’efforts» d’ici 15 mois.

Cette position inflexible de l’Etat fait craindre à certains acteurs de la filière une dégradation du climat des affaires au Gabon, où les recettes du pétrole représentent officiellement 60% du budget de l’Etat.

«On n’aurait jamais dû en arriver là, surtout avec un opérateur comme la Chine qui investit tellement ici, qui construit des routes,…», estime sous couvert d’anonymat un expert des questions pétrolières au Gabon: «quel message envoie-t-on aux investisseurs?».

Le différend sur Obangue coïncide avec une réforme du secteur pétrolier au Gabon visant notamment à donner à la nouvelle compagnie nationale un contrôle plus étroit des ressources et à renforcer le rôle des sous-traitants gabonais.

Le président Ali Bongo Ondimba lui-même avait annoncé au début de son mandat que la GOC devait permettre «d’avoir une maîtrise de toute la chaîne de l’industrie pétrolière de la recherche à la production, jusqu’à la commercialisation».

«A travers la GOC, l’Etat entend s’impliquer davantage dans le secteur pétrolier. Et il est certain qu’il entend faire passer un certain nombre de messages en rupture avec le passé», analyse un cadre d’une compagnie pétrolière en allusion à l’époque où l’Etat avait la réputation de fermer les yeux sur des pratiques fiscales et environnementales peu orthodoxes de certaines compagnies.

«Nous ne disons pas que ces contrats sont trop favorables aux opérateurs, mais que malheureusement les retombées pour l’économie gabonaise sont trop faibles et qu’ils ont rarement été appliqués», explique le ministre Ngoubou.

En juillet, l’Etat doit attribuer une série de licences d’exploration en offshore profond et très profond et mise sur d’importantes découvertes.

Depuis le pic de 1997 et faute de découvertes majeures, la production gabonaise a chuté d’environ 30% et oscille de 220.000 à 240.000 barils/jour.

(Avec AFP)