Services financiers: l’autre bras armé de la Chine-Afrique

(Africa Diligence) La coopération entre la Chine et l’Afrique s’étant renforcée ces dernières années, la demande en services financiers à destination des entreprises sorties du pays s’est accrue sur le continent africain. Pour éviter les écueils, ces sociétés sont incités s’informer du contexte local de leur pays d’implantation. Vu de Pékin.

Du fait de l’abondance des ressources naturelles en Afrique, du potentiel de développement sur ce continent et de la promotion des mécanismes de coopération multilatérale par les gouvernements locaux, un nombre croissant d’entreprises chinoises se sont lancées à la conquête du marché africain ces deux dernières décennies.

Selon les statistiques publiées par les douanes chinoises, le volume des échanges sino-africains a atteint 198,5 milliards de dollars, le montant total de l’ensemble des investissements s’élevant à 40 milliards de dollars, dont 14,7 milliards d’investissements directs. Depuis dix ans, la Chine conserve son rang de premier partenaire commercial de l’Afrique.

Le commerce sino-africain fait naître de nombreuses opportunités dans le secteur des services financiers

Après la fondation de la Chine nouvelle, et plus encore suite à l’accession à l’indépendance des pays africains, les échanges entre les deux parties se sont intensifiés, la coopération purement politique s’étendant à la sphère économique. En 2000, le Forum sur la coopération sino-africaine a marqué le début d’une collaboration économique tous azimuts entre la Chine et l’Afrique. Les échanges commerciaux et économiques bilatéraux sont en perpétuelle croissance, pouvant prendre la forme de projets d’entreprise, d’investissements ou d’aides financières. Depuis l’année 2003, le volume commercial sino-africain maintient un taux de croissance annuel moyen de 40 %.

Au fur et à mesure de l’approfondissement du partenariat sino-africain, le commerce Chine-Afrique a affiché de nouvelles particularités. D’après Zhang Wei, vice-président de la Commission de promotion du commerce international de Chine et de la Chambre de commerce international de Chine, les entreprises chinoises en Afrique se caractérisent par quatre éléments : la rapide hausse de la somme totale de leurs investissements, l’étendue de leurs zones d’investissement, l’accent mis sur les projets relatifs aux ressources naturelles et l’essor des PME.

« Au début de la collaboration, le commerce sino-africain se bornait aux produits primaires, tels que les minerais de fer, les métaux, les denrées alimentaires et les matières premières agricoles. Maintenant, il a tendance à se diversifier. Pour bien des pays africains, la Chine n’est pas qu’un simple grand acheteur nouveau de matières premières. Il s’agit également d’un pays qui fournit une grande quantité de biens d’équipement pour répondre à leurs besoins de développement, créant ainsi des opportunités commerciales pour les entreprises chinoises qui s’efforcent de se situer en amont de la chaîne de valeur. Ces deux dernières années, les machines et le matériel de transport, y compris le matériel de télécommunications, les véhicules routiers et les machines électriques, représentaient la part majeure des exportations chinoises en Afrique, soit un pourcentage de 41 % », a indiqué Zhang Wei. Et l’expansion du commerce Chine-Afrique devrait se poursuivre à l’avenir. D’ici 2015, le volume commercial sino-africain pourrait croître de 50 %, et on prévoit qu’en 2030, il atteindra 1,7 billions de dollars.

Wei Jianguo, directeur adjoint du Centre des échanges économiques internationaux de Chine, estime que l’économie africaine est en phase de décollage. L’instabilité qui fait rage dans certains pays et régions, dont la Centrafrique, ne mettra pas un frein au développement de l’Afrique. Actuellement, la Chine et l’Afrique maintiennent une coopération économique dans les secteurs traditionnels comme les infrastructures, le textile et l’électromécanique, mais celle-ci couvre de nouveaux domaines tels que le commerce de détail et le tourisme. D’ailleurs, les pays africains désirent vivement collaborer avec la Chine.

D’après les prévisions du FMI, le PIB des pays africains augmentera de presque 6 %, soit un taux de croissance plus élevé que celui de l’économie mondiale.

« Tant l’élargissement des domaines de coopération que le besoin des entreprises chinoises de développer le marché africain exigent la mise en place rapide d’un large panel de services financiers complets adaptés, comme le financement de projets, les prêts relais, la couverture du risque de change et sur les matières premières, le financement du commerce, la gestion de la trésorerie et les services bancaires électroniques. Le développement vigoureux du commerce sino-africain a permis aux institutions financières d’étendre leur gamme de services », a déclaré Lin Qingde, PDG de Standard Chartered (China) Limited.

Selon un rapport émis par cette banque, le montant des règlements transfrontaliers Chine-Afrique en renminbi est monté jusqu’à 5,7 milliards de dollars. Standard Chartered prévoit que d’ici 2015, 20 % des importations et des exportations de la Chine seront payées en devises chinoises ; dans cette proportion, les échanges transfrontaliers entre la Chine et les pays africains seront effectués en renminbi à hauteur de 15 milliards de dollars.

Les banques chinoises et étrangères : collaboratrices plutôt que concurrentes

« Avec l’élévation du niveau des activités économiques et commerciales des entreprises chinoises en Afrique, j’ai remarqué que la demande de la clientèle en services financiers a eu tendance à s’accentuer. En plus des services traditionnels tels que les dépôts et les prêts, ou encore la gestion de la trésorerie et le financement du commerce, bien des clients demandent aujourd’hui des produits haut de gamme relatifs aux marchés mondiaux, à la finance d’entreprise, les marchés de la dette et des capitaux, et d’autres encore », explique le responsable du département spécialisé en finance d’entreprise de Standard Chartered en Afrique.

Les banques chinoises sont de nouvelles venues sur les marchés financiers africains. Mais leur dynamique de développement a néanmoins attiré l’attention des concurrents européens et américains, présents en Afrique depuis longtemps.

China EXIM Bank (la Banque d’import-export de Chine) est une banque à caractère dit politique, sous la direction du gouvernement chinois. D’après les données fournies par l’agence de notation financière Fitch Ratings, China EXIM Bank a accordé des crédits à des pays et régions subsahariens à hauteur de 67,2 milliards de dollars, détrônant ainsi la Banque mondiale en devenant le premier fournisseur de prêts à l’Afrique.

La Banque de développement de Chine, une autre banque politique, a créé et financé le Fonds de développement Chine-Afrique, qui depuis son établissement il y a cinq ans, a déjà autorisé plus de 60 projets d’investissement à destination de 30 pays africains. Les activités de ce Fonds couvrent les domaines de l’agriculture, des infrastructures, de l’industrie manufacturière, des parcs économiques et commerciaux et de l’exploitation des ressources minérales. Le montant de ces investissements a dépassé les 2 milliards de dollars.

La Banque commerciale de Chine, moins présente en Afrique, ne jouit pas du statut de banque politique. En revanche, les entreprises chinoises qui s’internationalisent de jour en jour et les commerçants chinois constituent ses deux atouts. Le gouverneur de la succursale à Johannesburg de la Banque de Chine, Qiu Zhikun, a confié que beaucoup d’entreprises chinoises qui se sont engagées dans le développement des ressources et des infrastructures à
l’étranger il y a longtemps sont restées en étroite collaboration avec la Banque de Chine depuis plusieurs années. « C’est pourquoi au moment où les sociétés sortent du pays, elles pensent tout d’abord à la Banque de Chine. » L’Afrique occupe une position stratégique cruciale pour la Banque de Chine. Il est entendu que la Banque de Chine opère depuis plusieurs années en Afrique du Sud et en Zambie, et que des succursales seront établies progressivement au Kenya, en Angola, à Maurice et au Nigeria, en vue de répondre aux besoins du développement rapide des échanges économiques et commerciaux Chine-Afrique. En outre, la Banque de Chine travaillera avec les banques intermédiaires à l’établissement de comptoirs commerciaux chinois au Ghana, au Kenya, en Ouganda, en Égypte, au Maroc et au Cameroun, afin de constituer tout un réseau d’institutions couvrant l’ensemble du continent africain. L’objectif est de fournir des services financiers efficaces et de haute qualité aux entreprises chinoises en Afrique et à ceux gérant des activités liées à la Chine.

La Banque industrielle et commerciale de Chine, première mondiale en termes de capitalisation boursière, offre activement des services financiers aux entreprises chinoises en Afrique ces dernières années. En 2007, la Banque industrielle et commerciale de Chine a racheté 20 % des actions de la Standard Bank en Afrique du Sud, au prix de 5,5 milliards de dollars, et a développé un modèle commercial et financière qui repose sur trois points : l’exportation des éléments de production, le soutien financier et l’importation des ressources. Elle a accordé 7 milliards de dollars de prêts à l’Afrique et a largement renforcé la compétitivité des entreprises à capitaux chinois sur le marché de l’exportation et le marché d’entreprise de travaux publics.

China UnionPay, en coopération avec l’Equity Bank du Kenya, cherchent à diffuser ses cartes bancaires en Ouganda, en Tanzanie, au Rwanda et au Soudan du Sud. À l’heure actuelle, les activités de China UnionPay se répartissent à travers 39 pays africains. Selon un rapport du journal Soudan Tribune au sujet des distributeurs automatiques de billets et des terminaux de paiement électronique, l’utilisation des cartes China UnionPay devient de plus en plus pratique.

« La Chine possède des points forts inégalables : elle est capable d’offrir à l’Afrique des solutions à guichet unique. Prenons, à titre d’exemple, un projet minier. La China EXIM Bank apporte à la fois un financement adéquat et des acheteurs chinois, voire même des équipes de travailleurs qualifiés », a expliqué Martyn Davies, PDG de l’institut de recherches Frontier Advisory.

Néanmoins, Wei Jianguo estime que, par rapport à leurs concurrents européens et américains, les banques chinoises ne disposent pas d’avantages concurrenciels classiques, et se sont faites distancer pour ce qui est du développement de stratégies sur le long terme, des talents et de l’innovation des produits.

Qu Zhijun, chef de projet de China Shipbuilding & Offshore International Co.,Ltd., travaille dans le commerce sino-africain depuis longtemps. Il a révélé qu’il préférait collaborer avec les banques à capitaux chinois dont les conditions sont relativement favorables, et en particulier avec les banques politiques de Chine, plutôt qu’avec les banques étrangères qui affichent souvent des normes strictes. Il est cependant vrai que les banques chinoises ne sont pas suffisamment représentées en Afrique, et le ratio de fonds propres des banques politiques les empêche de répondre aux besoins de toutes les entreprises qui sont sorties du pays. Les services financiers sont encore loin d’être suffisants pour la croissance rapide des échanges commerciaux sino-africains. Il estime aussi que l’encouragement de la part de l’État à la sortie du territoire des institutions financières et des entreprises chinoises, ainsi que l’accélération de l’internationalisation du renminbi, constituent deux bonnes nouvelles pour les entreprises chinoises en Afrique.

« Les banques chinoises et étrangères ne sont pas des concurrentes, mais plutôt des collaboratrices. Nous coopérons plus que nous nous faisons de l’ombre. Nous devons apprendre les unes des autres et travailler ensemble pour mieux servir les entreprises privées, en répondant à leurs besoins en matière de services financiers lorsqu’elles sortent du pays », a fait savoir le PDG de Standard Chartered China.

Éviter les risques et parvenir à une situation gagnant-gagnant

Lors du Forum sur les investissements financiers chinois en Afrique en 2013 organisé par la Chambre de commerce international de Chine, a été mené un sondage sur les intentions d’investissements des clients en Afrique, dont les résultats portaient à réflexion : en ce qui concerne les risques d’investissements, 67 % des clients craignent avant tout l’agitation politique ; pourtant, 75 % des clients comptent néanmoins continuer d’investir en Afrique.

Selon l’analyse de Lin Qingde, du point de vue de l’environnement opérationnel, les marchés africains sont dispersés, et chacun d’entre eux souffre d’un manque d’économies d’échelle. Par ailleurs, les fluctuations des devises rendent ardue la maîtrise du coût total, et obtenir un financement reste difficile. Pour ce qui est de la gouvernance du pays, les changements des partis au pouvoir conduisent à la précarité des politiques des gouvernements, et l’exécution des contrats requiert ainsi plus de temps et d’argent. Côté infrastructures, une faiblesse s’observe dans la plupart des régions, ce qui gêne le développement du commerce interrégional et international. En outre, le manque de financement pour les projets d’infrastructures résulte en des coûts de transport élevés et la fragilité des entreprises. Sur le plan de la main-d’œuvre et de la culture, l’insuffisance de travailleurs qualifiés, le rapport coût unitaire-efficacité de la production trop élevé et les fréquents mouvements de grèves des ouvriers provoquent l’émergence d’émotions négatives générales et le mécontentement des investisseurs. Les entreprises chinoises sont en général peu au courant du fonctionnement des impôts, des lois, des politiques gouvernementales et des pratiques commerciales en vigueur dans ces régions.

Les marchés africains renferment un potentiel sans pareil, mais qui dit « opportunités » dit également « risques ». Comment les entreprises chinoises peuvent-elles ouvrir les marchés africains tout en évitant les périls ?

Voici la réponse de Zhang Wei : quand elles décident de « sortir du pays » et sélectionnent leur destination outre-mer, les entreprises chinoises doivent voir plus loin et considérer la présence à l’étranger comme un moyen, et non pas comme une finalité. Leurs choix doivent correspondre à une planification stratégique sur le long terme. Au-delà d’estimer le retour sur investissement, il faut évaluer plus précisément et complètement les risques liés à l’investissement. Une fois le marché cible choisi, l’entreprise chinoise doit apprendre à connaître les marchés locaux et le contexte opérationnel, et respecter sur place les coutumes, les cultures, les lois et les règlements. Pour ce faire, les entreprises doivent non seulement approfondir leur connaissance des marchés locaux, mais également profiter adroitement et efficacement de l’aide des partenaires locaux, tels que les collaborateurs commerciaux, les experts comptables, les institutions juridiques et les banques coopératives.

Finalement, d’après Zhang Wei, quand il s’agit de l’exportation de marchandises, les entreprises chinoises doivent accorder plus d’attention à l’exportation des capitaux et des technologies ainsi qu’à la formation du personnel. Elles doivent également importer des produits fabriqués par les pays africains, afin de promouvoir leur développement économique et social.

« En vue d’améliorer la structure du commerce sino-africain, rendre son développement plus équilibré et durable et instaurer un modèle de croissance mutuellement bénéfique, le gouvernement chinois et les milieux d’affaires travaillent de concert afin d’accorder aux pays africains les moins développés une franchise douanière. En outre, une exposition des produits importés en Chine a été organisée par la Chambre de commerce international de Chine. Sinosteel Corporation, membre de cette chambre, a non seulement mis en place un système de donation efficace en Afrique, mais il verse aussi régulièrement des sommes au développement communautaire des activités de négoce en Afrique. En somme, cette société persévère sur la voie du gagnant-gagnant », a conclu Zhang Wei.

 LI YUAN

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