Afrique | Les investisseurs goûtent au jasmin

Les marchés ont dégradé la note de la dette souveraine tunisienne 90 heures seulement après la chute de Ben Ali, la faisant passer de Baa2 à Baa3. Depuis quelques jours, c’est le Caire qui donne des frayeurs aux investisseurs. Le 26/01/11, Lafarge s’est par exemple adjugé la plus forte baisse du CAC 40 à cause de son exposition à l’Egypte. Face à la menace d’une contamination au continent, les opérateurs économiques s’interrogent sur la conduite à tenir pour protéger, voire fructifier leur business dans de telles conditions. Quelques pistes.

Par Guy Gweth

Moody’s n’a pas été la seule agence de notation à sanctionner « la révolution de jasmin ». La japonaise Rating and Investment  et l’américaine Standard & Poor’s qui ont également placé Tunis sous « surveillance négative » contrôlent de près les éventuelles contaminations aux autres pays. Comme l’écrit justement J-C Guillebaud dans le Nouvel Obs n°2412, p. 42, «au regard des salles de marchés, le triomphe de la liberté est plus ‘incertain’ que le verrouillage d’un pays par un dictateur, même criminel.» Pourtant,  comme en toute affaire, il y a bien des gagnants et des perdants.

Banques : la crainte d’un monde qui change

C’est en bourse que les bancaires ont commencé à peiner. La Société Générale (3700 salariés chez les pharaons) en tête paie son exposition à l’Afrique du nord et au Moyen-Orient (6,4% des revenus ajustés estimés pour 2010), suivie de BNP (3,7%), le Crédit agricole (2,4%) et Natixis (1,1%). Il est à parier qu’une éventuelle chute de Hosni Moubarak ouvrirait,  par effet domino, le champ à tous les possibles. Une contagion aux sous-régions Afrique de l’ouest et du centre – non envisagée, pour l’heure, par leurs analystes – serait terrible pour les banques européennes et françaises en particulier.

L’armement aime le jasmin

Les industriels de la défense à l’instar de BAE Systems, Chemring Group et d’autres devraient bénéficier des tensions générées autour du contrôle des ressources rares. Ces tensions pourraient être le principal facteur déclenchant des conflits armés durant l’année 2011. C’est donc en toute logique que les meilleurs scores de l’armement devraient être calqués sur la cartographie des territoires à la fois riches en ressources naturelles stratégiques et attirés par les fleurs du jasmin. Le marché noir pourrait cependant doucher l’optimiste de certains poids lourds du secteur.

Gare aux matières agricoles

Nous n’avons pas attendu la révolution tunisienne et ses risques de contagion pour affirmer que les prochaines émeutes de la faim sont dans les tuyaux… Mis à part les aléas climatiques observés sur le marché des céréales, l’ampleur des acquisitions de terres arables africaines au cours du second semestre 2010 par des firmes étrangères est assez éloquente. Dans le cas du cacao, comment ne pas nous réjouir que le président Sarkozy ait repris, à Davos, les alertes que nous émettions déjà à la mi-2010 ? Lire notre article « Armajaro fait trembler la planète cacao ». Si les tensions géopolitiques devaient s’accentuer, les discours politiques – même les plus volontaristes  – ne suffiraient hélas pas à mettre un frein aux spéculations les plus folles sur les commodities.

Attention aux pétrolières

Depuis l’affectation par l’administration US de 400 marins avec base flottante constituée de navires à très grande vitesse en 2006 à la surveillance des côtes  au long de l’Angola, du Cameroun, du Gabon, du Ghana, de la Guinée équatoriale, du Liberia, de Sao-Tome & Principe, du Sénégal et du Nigeria, le pétrole du golfe de Guinée est relativement sécurisé. Le maillage militaire qui s’en est suivi avec l’entrée en activité d’Africom le 01.10.2008 assure à peu près convenablement le contrôle de la partie occidentale de la route transafricaine du pétrole et les réserves vitales de brut qui y ont été découvertes. Mais ce dispositif suffit-il à calmer les inquiétudes des industriels non-américains? Loin s’en faut : le golfe de Guinée est toujours sous tension…. Pour en savoir plus, contactez Knowdys.

Les humanitaires guettent

En Côte d’Ivoire un peu plus qu’en Afrique du Nord, les humanitaires guettent le moindre départ de pandémie, de pénurie d’eau potable ou de famine pour lancer les collectes de fonds. Bien que la retenue des gouvernants africains dans la crise ivoirienne freine quelque peu leurs ardeurs, les chasseurs d’images continuent de traquer les photos de femmes et d’enfants qui serviront d’affiches aux campagnes de fundraising. En cas de crise humanitaire, les fabricants de médicaments et de matériels de premiers secours ainsi que les industriels de l’eau tels que Severn Trent pourront faire de bonnes affaires grâce aux commandes des ONG, des grands pays donateurs et des Nations Unies.

Tout bien considéré…

Les fleurs de jasmin commencent donc à parfumer certaines valeurs et à étrangler d’autres à l’instar du tourisme. Cet impact va continuer à s’élargir en fonction de l’exposition aux pays atteints. Même si les marchés n’aiment pas les révolutions, et malgré les risques réels d’exportation de l’exemple tunisien au reste du continent, l’Afrique reste attractive pour les investisseurs internationaux. Alors qu’il n’était que de 860 milliards USD en 2008, l’indice de consommation, à titre d’exemple, pourrait y atteindre 1,5 trillions USD en 2021. Et les analystes de McKinsey conviennent avec nous que l’Afrique reste encore la région où le taux de retour sur investissement étranger est le plus élevé au monde.