[Africa Diligence] Depuis quelque temps, dans cette ère du numérique et du progrès, il y a une expression qui commence à faire surface et à gagner de plus en plus de traction : la cyber-colonisation en Afrique.
Cette expression, elle survient principalement en relation aux actions de certaines sociétés comme les GAFAM, et de la 1ier société de E-commerce Africaine Jumia qui dispose de fondateur français.
Avant de continuer, il est important de faire attention à deux points. Premièrement, la définition du terme colonisation. Défini comme étant la création d’une colonie, ce terme a eu une connotation beaucoup plus sombre au fils des siècles. Il désigne aujourd’hui l’exploitation des ressources d’un pays, ou d’une région en y établissant une colonie. Cette exploitation est faite avec des efficiences allant principalement vers le pays (ou l’entreprise) du colonisateur. Puis il est important de noter qu’en raison de l’histoire de la majorité des pays africains et de la colonisation, il s’agit d’un sujet particulièrement difficile et pénible pour bon nombre d’Africains.
Il y a actuellement un débat à travers le continent africain au sujet de l’impact et comment décrire les investissements important (pour le standard africain) reçus par des start-ups soit par d’investisseurs étrangers, soit détenues par des personnes non africaines.
Au cœur de ce débat, la peur et les possibles motivations derrière l’engagement des investisseurs et autres bienfaiteurs comme les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon & Microsoft).
Leurs actions seraient pour certains, un moyen de camoufler ce qui peut être décrit comme étant une nouvelle forme de colonisation ; une cyber-colonisation pour être plus précis. Il s’agirait d’une menace pour certains, alors que d’autres pensent opportunité avec le développement du digital et à la transmission du savoir faire en Afrique.
Cette peur a été alimentée par plusieurs facteurs. Une des pierres fondatrices de ce débat est tout simplement la réputation et les problèmes rencontrés par de grandes compagnies comme Facebook et Google vis-à-vis de l’Union européenne. À l’heure actuelle, il n’existe pas de contrôle similaire au RGPD en Afrique pour protéger les données personnelles et assurer la protection de la vie privée des Africains. Cela fait du continent un terrain fertile pour que les « prédateurs » s’en prennent aux données personnelles du « prochain milliard ».
Un autre argument de ce débat faisant allusion à l’existence d’une possible menace de cyber-colonisation est venue du mathématicien et député français Cédric Villani. Après avoir soumis le rapport de sa mission parlementaire au sujet de l’intelligence artificielle au gouvernement français en mars, ce médaillé Fields (2010) a déclaré au journal Le Monde que l’intelligence artificielle est évidemment un outil très important et une occasion incroyable pour bon nombre d’entrepreneurs et gouvernements, spécialement en Afrique où l’on voit déjà des progrès considérables dans différents domaines comme l’éducation, l’agriculture ou encore les soins. Cependant, il a aussi mis en garde contre les risques sous-jacents que certaines entreprises étrangères pourraient exploiter ; les données.
Prenons le cas de la startup Jumia. Cette entreprise est décrite comme étant l’expérience E-commerce d’Amazon taillée sur mesure pour le continent africain. Il s’agit d’un site d’e-commerce qui vend des téléviseurs-écrans plats, des smartphones ou encore des produits alimentaires pour ne citer que ces catégories. Le site, et la compagnie derrière ont été au centre d’un évènement important pour l’histoire africaine ; la première compagnie africaine à être listée à Wall Street en 2019.
Cependant, peu après cet évènement, de nombreuses questions ont commencé à surgir, apportant à nouveau la cyber-colonisation dans l’actualité le débat concernant Jumia concerne la légitimité de l’entreprise à être décrite comme une entreprise africaine. Certains, comme Rebecca Enonchong, sont d’avis que les origines de l’entreprise, une compagnie allemande nommée Rocket Internet, et en considérant que la majorité des cadres et employés sont européens, font de Jumia une entreprise tout sauf Africaine ; il s’agit d’une plateforme étrangère qui a juste pour audience les pays du continent africain. Il y a évidemment une question d’appropriation culturelle qui dérange beaucoup de monde derrière ce cas et qui alimente ceux qui crient à la cyber-colonisation.
Une fois tous ces arguments pris en considération, on pourrait se laisser convaincre qu’il y a bel et bien une cyber-colonisation en cours. Cependant, il y a aussi d’autres points de vue et arguments à prendre en considération. Même en Afrique, certains pensent que la venue de ces compagnies serait surtout des occasions qui devraient être accueillies afin d’assurer un transfert de connaissances et de savoir-faire. Alors que la jeunesse africaine penche déjà pour ces domaines dans le cadre de leurs études, sur le continent ou ailleurs, la mise en place des « hubs » comme ceux de Google ou Facebook est un excellent moyen d’obtenir des connaissances, mais aussi de l’expérience. Ce qui est bénéfique pour la jeunesse l’est aussi dans ce cas pour le pays et par extension pour le continent dans son ensemble.
Nous savons que les entreprises comme les GAFAM recherchent activement leur prochain milliard d’utilisateurs dans les marchés émergeant. On pourrait toutefois suivre le raisonnement suivant : certes, il est possible que ces entreprises saisissent ces occasions pour former et débaucher les meilleurs talents et les faire travailler pour eux. L’idéal serait de les faire travailler à distance pour garder la valeur sur le continent comme le met en avant la start up : Talenteum.africa
Il ne faut pas oublier non plus, l’intérêt actuel de ces entreprises est de se créer une présence solide et pérenne sur ces marchés. Au final, ces talents et la main-d’œuvre employée auront plus de chances d’opérer dans leurs propres pays ou à travers le continent.
Certaines règles sont cependant à conseiller : il est important d’utiliser les technologies et les métadonnées avec intelligence ; c’est-à-dire savoir où l’on va et comment appliquer ces technologies. Une perspective à très long terme sur l’intégration de ces technologies dans l’économie, l’éducation et la recherche scientifique est primordiale pour que cette utilisation soit saine et productive.
Qu’en est-il de Jumia ? Selon Iyinoluwa “E” Aboyeji, un entrepreneur nigérian dont l’entreprise forme des codeurs africains, il ne faut pas perdre de vue ce qui est important ici. L’objectif des entreprises comme les GAFAM, ou encore Jumia est simplement, et purement, un résultat de l’économie mondiale. Il est naturel qu’une entreprise vise les pays avec des juridictions et règlements en sa faveur pour les affaires. Selon l’entrepreneur nigérian, les Africains devraient être contents qu’une entreprise comme Jumia soit devenue le porte-étendard du potentiel africain en étant listée à Wall Street. Maintenant que la route est tracée, il est important que d’autres Africains persévèrent et créent leur propre sur ce marché. Après tout, la compétition est un des moteurs du changement et du progrès. Il faut donc saisir sa chance au lieu de rester dans le statu quo et participer à ce qu’Iyinoluwa “E” Aboyeji décrit comme un débat inutile. Comme il l’a noté, il ne faut pas non plus perdre de vue que l’actionnaire majoritaire de Jumia est l’opérateur de téléphonie sud-africain MTN.
Il est nécessaire d’employer beaucoup de tact lorsque l’on doit faire face, ou discuter des cicatrices et séquelles qui persistent du passé colonial. Toutefois, il est aussi important de ne pas banaliser ou écarter l’impact et le progrès qu’apportent les cas comme Jumia, les hubs de Google et Facebook, l’émergence des équivalents africains de la Silicon Valley, ou encore les nouvelles technologies comme l’intelligence artificielle. L’interaction avec les entreprises, investisseurs et technologies étrangères créent aussi le meilleur moyen d’acquérir de nouvelles compétences, et le meilleur vecteur pour les nouvelles générations d’embrasser le monde moderne et tout ce qu’il a à offrir pour au final en faire le leur ; le rendre africain.
Le meilleur moyen pour éviter toute forme de colonisation, numérique ou médiatique, tout en faisant l’Afrique profiter du progrès et des bonds en avant serait de prendre en considération l’avis d’Abdoullah Cissé. Le progrès est là et il suffit que ceux qui le souhaitent saisissent les occasions qui se présentent à eux. Cependant, la réflexion profonde quant aux implications et comment accepter et intégrer les nouvelles technologies et les hubs sans perdre l’identité africaine est cruciale. Des règlements bien définis devraient aussi être mis en place dans chaque pays pour protéger les Africains, leurs données et la main-d’œuvre.
Au final, tout est une question de balance. Il est évident que des occasions sont présentes, et un débat avec les mauvaises questions et le mauvais focus ralentirait considérablement le progrès. Les pays africains et leurs gouvernements ont actuellement la lourde tâche de trouver la balance entre rester attractifs pour les grandes entreprises du high-tech et ce qui doit être important à leurs yeux : leurs peuples.
Arrivera-t-on à trouver un commun accord entre ces deux aspects dans le futur afin de garder la transmission de savoir afin de garantir que les nouvelles générations puissent continuer de créer et faire grandir des start-ups qui garderont et mettront en avant leur identité et liberté africaine, tout en améliorant la qualité de vie au quotidien à travers le continent ?