Due diligence: la FIFA au coeur du Qatargate

[Africa Diligence] La Fifa soupçonnée de délit de favoritisme pour désigner l’organisateur d’un Mondial ? L’histoire semble se répéter. Dans son édition du 29/01/2013, France Football s’attaque à un événement qui a soulevé de nombreuses réactions : l’attribution de l’organisation de la Coupe du monde de football 2022.

En cause, les deux principaux intéressés, le Qatar, pays hôte désigné, et la Fifa, l’instance décisionnaire. Des révélations d’autant plus étonnantes que la plus haute instance du foot mondial et le bihebdomadaire sont partenaires dans le cadre de la remise du Fifa Ballon d’or (nom officiel depuis la fusion du Ballon d’or France Football et du meilleur joueur Fifa)…

Les faits avancés par le journal sont lourds, graves, moralement abjects et certainement répréhensibles pénalement. Au programme, achats de votes, interceptions de mails, conflits d’intérêts, confiscation des passeports des travailleurs népalais construisant les stades, décès non déclarés, etc. Les millions en jeu dépassent l’entendement et les personnalités impliquées font froid dans le dos. Notamment celles participant à cette réunion secrète du 23 novembre 2010 au… palais de l’Élysée !

Ce jour-là, l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy convie Michel Platini, président de l’UEFA, Tamim bin Hamad al-Thani, prince du Qatar, et Sébastien Bazin, président du Paris-SG de l’époque. Et là, la teneur des propos tenus – s’ils sont avérés – témoigne d’une stratégie qatarie parfaitement huilée. Le prince du Qatar veut une chose : le vote de Michel Platini. Et pour cela, il se serait dit prêt à – accrochez-vous ! – racheter le PSG, augmenter sa présence dans l’actionnariat du groupe Lagardère et créer une chaîne de sport pour concurrencer Canal+. Le tout évidemment en faisant la part belle aux entreprises françaises de BTP au moment de la future construction de la dizaine de stades accueillant le Mondial 2022…

Mussolini, Hitler…

Ce n’est pas la première fois malheureusement qu’une affaire de corruption vient éclabousser la Fifa. La Fifa, gardienne du temple du football, fondée en 1904, a pour leitmotiv la défense des valeurs du sport et la promotion des valeurs humanistes (comme les innombrables campagnes contre le racisme semblent l’indiquer). Mais elle a rarement fait appel à la morale pour gérer son business. Exemple, avant même la Seconde Guerre mondiale, cette association d’origine suisse se fourvoie en attribuant l’organisation de la Coupe du monde 1934 à l’Italie de Mussolini. Mieux, elle a même très longtemps pensé à l’Allemagne nazie d’Adolf Hitler pour être le pays hôte du Mondial 1942. Mais guerre oblige, l’histoire en décidera autrement…

Et que dire de la Coupe du monde 1978 en Argentine ? Non contente d’organiser le Mondial dans un pays en dictature, la Fifa choisit un régime qui utilise les stades de football à une tout autre fin que des rencontres sportives : l’exécution des prisonniers politiques ! Comme si, aujourd’hui, le Mondial était attribué à la Syrie… Cela relativise (un peu) le fait que la Fifa ait favorisé le Qatar pour obtenir le Mondial 2022. Avant, cette organisation s’asseyait sur les droits de l’homme. Aujourd’hui, elle y ajoute le droit pénal financier.

Connivence, conflits d’intérêts, collusion font partie de l’ADN de cette institution dont l’histoire est rythmée par les scandales. « Les faits l’ont prouvé, il y a une vraie culture de la corruption au sein de la Fifa. Il ne faut pas être naïf, il y a des gens qui en vivent très bien et des nations qui ont une relation très détendue avec la corruption », lance Guido Tognoni, ancien chef de projet des Coupes du monde 1990 et 1994, viré de la Fifa en 2003.

Ballon rond ou foot-business ?

Et voici quelques affaires qui montrent que la Fifa ne pense pas qu’au ballon rond. Depuis 1998, l’entreprise Match Hospitality possède l’exclusivité des forfaits Coupe du monde-billet de stade-hôtel. Or, les conditions d’appels d’offres de ce marché sont plutôt douteuses, puisque le neveu de Sepp Blatter fait partie des actionnaires de cette société. Sepp Blatter, président de la Fifa depuis… 1998 !

Une autre affaire récente a aussi mis en lumière la corruption qui règne à la Fifa. Il s’agit du dossier ISL, un groupe de marketing sportif basé à Zoug en Suisse. Partenaire de la Fifa, cette entreprise gérait en exclusivité les droits de retransmission de la Coupe du monde et les contrats de marketing. Mais cette boîte a mis la clé sous la porte en 2001, à cause d’une faillite estimée à 300 millions de francs suisses. S’estimant lésée, la Fifa dépose une plainte. Sauf que le parquet suisse fait son travail et enquête. Résultat, le procureur de Zoug décide de poursuivre… la Fifa pour délit de favoritisme et gestion déloyale ! En 2008, le tribunal relaxe l’organisation. Motif : à l’époque des faits, les rétro-commissions censées « lubrifier les relations commerciales » (propos mêmes du président de cette audience) ne revêtaient pas un caractère illégal.

La Fifa sort impunie de ces scandales. Pourquoi changer ses habitudes ? « La Fifa a beau être une organisation internationale, elle est régie par le droit suisse, et seulement le droit suisse. Même s’il est bien sûr possible de poursuivre pénalement les antennes basées dans chaque pays si elles ont commis une infraction au sens de la loi du pays d’accueil », explique un avocat du cabinet Bertrand, spécialisé dans le droit du sport.

Pour ce nouveau dossier qatari, il faudrait une plainte d’une personne qui s’estime lésée. Reste à savoir si quelqu’un en aura le cran au regard de la puissance financière de cette institution.

 Alexandre BORDE & Alexandre FERRET