Égypte : l’intégration économique de l’informel a commencé

[Africa Diligence] Il y a quelques mois, Abdel-Hassib, un maçon de 34, père de trois enfants, est tombé des échafaudages et s’est cassé une jambe et deux bras. Il n’a reçu de son employeur que la paye de son dernier jour de travail. En réponse à ce type de mésaventure, le Caire a décidé d’étendre l’assurance médicale aux travailleurs du secteur informel. Une révolution pyramidale.

Les collègues d’Abdel-Hassib se sont cotisés et ont réussi à lui collecter une petite somme de 350 L.E. Quelques jours plus tard, l’homme est décédé. Sa veuve, vendeuse de légumes, a dû obliger son fils aîné à abandonner le collège pour l’aider à entretenir la famille.

Le cas d’Abdel-Hassib n’est pas exceptionnel. Il faisait partie d’un secteur informel qui rassemble toutes sortes d’activités économiques et qui échappe aux régulations de l’État. En Égypte, comme dans une bonne partie du continent, il regroupe des paysans, des pêcheurs, des artisans, ainsi que la quasi-totalité des femmes de ménage, des vendeurs, des chauffeurs… Mais c’est à la campagne que leur situation est la plus difficile, surtout parmi les agriculteurs.

La majorité des citoyens démunis appartiennent à ce segment où les hommes sont plus nombreux que les femmes. « Le secteur informel a pris de l’ampleur au cours des dernières années parce qu’il fonctionne comme une éponge qui absorbe les chômeurs », estime Samir Radwan, économiste et ex-ministre des Finances.Une étude réalisée par le Centre américain des projets privés internationaux (CIPE) affirme que ce secteur représente entre 40 et 60 % du PIB de l’Égypte.

Selon d’autres estimations, le secteur informel concerne au moins 60 % des 27 millions de travailleurs que compte l’Égypte et 70 % des salariés du secteur privé qui n’ont pas de statut légal et vivent tout comme les journaliers, dans l’incertitude du lendemain. Pour eux, la précarité signifie l’absence de salaire minimum, de pension de retraite, de congé payé, d’allocation maternité, de compensation salariale en cas d’absence pour maladie, d’assurance médicale et de protection syndicale.

« Un sondage effectué en 2005 a indiqué que la plus grande partie des travailleurs informels appartient au secteur des services et que le secteur industriel n’en représente qu’une petite partie », indique l’ex-ministre, Samir Radwan. Les estimations officielles réduisent ce chiffre à 35 % des citoyens en âge de travail.

L’une des raisons de ce phénomène serait l’incapacité du gouvernement de répondre aux besoins fondamentaux des citoyens démunis et de lutter contre le chômage. Mais l’existence de cette importante économie souterraine est aussi due à la difficulté de l’accès au marché officiel du travail, à la bureaucratie et à la pression fiscale qui pousse les employeurs à fuir les impôts, en privant leurs employés d’un contrat de travail. Même les grandes entreprises recrutent près d’un quart de leurs salariés comme travailleurs saisonniers. Ces derniers subissent les effets du secteur informel.

« Le problème n’est pas celui des travailleurs, mais celui des directions des entreprises. Et le gouvernement se range toujours du côté des hommes d’affaires », explique Dalia Moussa, spécialiste du dossier des travailleurs au Centre égyptien des droits économiques et sociaux. En effet, la décision du gouvernement d’étendre l’assurance médicale aux travailleurs informels a pour objectif de cerner ce secteur en vue de son intégration économique. La nouvelle Constitution, adoptée en 2014, stipule que l’État accorde une attention particulière aux petites et moyennes entreprises et veille à l’intégration du secteur informel.

Pour y parvenir, Mohamad Trabolsi, expert à l’Organisation Internationale du Travail (OIT), suggère de commencer par intégrer les travailleurs du secteur informel dans les syndicats et des unions de travailleurs où ils pourraient bénéficier des systèmes d’assurance et de prestations. Cependant, il se trouve que les syndicats égyptiens sont extrêmement limités dans leurs moyens et ne peuvent pas assurer aux nouveaux venus de telles garanties. Sans parler de l’incapacité des travailleurs du secteur informel à s’organiser.

Samir Radwan suggère, pour sa part, d’essayer des solutions qui ont réussi dans d’autres pays. Certains Etats africains comme le Mali et le Burkina Faso ont sollicité la Banque Mondiale (BM) et le Fonds Monétaire International (FMI) pour dispenser des stages de formation aux travailleurs informels, pour les initier aux notions de la gestion, de concurrence et d’économie de marché, dans une démarche préalable à l’intégration de leurs activités dans les stratégies du développement. La stratégie du Caire dans ce dossier attend d’être clairement définie.

(Avec Ahram)