Il faut du jus dans l’agriculture pour booster la croissance africaine

[Africa Diligence] La croissance africaine n’est plus ce qu’elle était. Fondateur de Knowdys Consulting Group, Guy Gweth estime que « l’Afrique est sortie de ses quinze glorieuses ». La Banque mondiale confirme en annonçant un taux de croissance à 1,6 % en 2016, le niveau le plus bas enregistré en 20 ans. L’agriculture peut sortir du bois.

Ce sont les plus grandes économies du continent, notamment le Nigeria et l’Afrique du Sud, soit 50% de la production économique régionale, qui sont à l’origine de ce ralentissement d’ensemble. Mais ces taux de croissance sont très hétérogènes en fonction des pays : un quart d’entre eux est parvenu à maintenir une bonne dynamique, dont la Côte d’Ivoire et le Sénégal qui demeurent en moyenne annuelle à plus de 6%. Ils se positionnent ainsi parmi les économies les plus performantes du continent, contrairement à d’autres comme l’Ethiopie, le Rwanda ou encore la Tanzanie Les causes de ce ralentissement global du continent se trouvent dans la baisse des prix des matières premières, des conditions de financement moins favorables et des incertitudes pesant sur leurs politiques économiques, ce qui impacte les investissements. A cela se greffe, pour certains pays, des sécheresses, des tensions politiques et sécuritaires. Les entrées de capitaux ont décliné, ce qui indique que le financement externe est devenu plus difficile. Pour faire face à leurs besoins croissants de financement, les pays exportateurs de matières premières ont commencé à réduire leurs dépenses, mais de manière inégale et encore insuffisante, selon Africa’s Pulse. Dans un tel contexte, la reprise devrait être modeste, avec une croissance réelle du PIB prévue à 2,9% en 2017, et 3,6 % en 2018.

Les contraintes financières du géant nigérian en cause

Au Nigeria, souligne le rapport, l’indice composite des directeurs d’achat (Purchasing Managers’ Index – PMI) a chuté au niveau le plus bas jamais enregistré et, pour le sixième mois consécutif, en dessous de la barre des 50, ce qui signale que sa contraction économique au cours des six premiers mois de l’année pourrait perdurer. Après une brève remontée en juillet, la production de pétrole a chuté sensiblement à cause de problèmes de sécurité dans la région productrice, provoquant un manque de devises. Bien que l’écart entre les taux du marché officiel et du marché parallèle se soit réduit, il demeure important puisque certains contrôles administratifs sont restés en place. Les pénuries de devises étrangères, conjuguées aux retards dans l’exécution budgétaire et à des coupures d’électricité intermittentes, continuent d’entraver l’activité du secteur non pétrolier dans le pays. Une réduction majeure des investissements de portefeuille et des IDE ont fait chuter de 55 % les entrées de capitaux au cours du premier trimestre de l’année, tandis que les sorties de capitaux ont plus que doublé. Le naira nigérian a perdu 40 % face au dollar suite à l’abandon de la parité fixe par la Banque centrale du Nigeria en juin. Et il continue de subir des pressions à la baisse tandis que les besoins de financement du pays ne cessent d’augmenter. La banque centrale a relevé le taux d’intérêt de sa politique monétaire de 200 points de base, à 14 %, en juin.

L’agriculture et les matières premières sur la sellette

Les prix mondiaux de l’ensemble des matières premières restent faibles, nettement inférieurs à leur pic de 2011-2014, malgré une reprise vigoureuse au deuxième trimestre. Ceci dit, les prix des matières premières non énergétiques ont augmenté de 7 % au second semestre, sous l’impulsion de l’agriculture, mais ils devraient rester en-deçà de leurs niveaux de 2015. Et la Banque mondiale d’inviter « impérativement » les pays dotés de matières premières à améliorer leur productivité agricole, l’Afrique étant à la traîne en la matière. Plusieurs axes d’intervention sont soulignés dans Africa’s Pulse.

En Afrique subsaharienne, les hausses de production résultent avant tout de l’expansion des surfaces cultivées. La chose est aisée puisque l’Afrique détient, de loin, la plus grande part au monde des terres propices à l’expansion durable de la production, c’est-à-dire non boisées, non protégées, avec une faible densité de population, avec presque 45 % de la surface totale. Parallèlement, malgré l’existence de vastes étendues arides ou semi-arides, le continent africain dispose de ressources en eau qui sont, dans l’ensemble, largement sous-utilisées : seulement 2,5 % des ressources en eau renouvelable du continent sont, à ce jour, exploitées.

 Mais cet accroissement des surfaces cultivées n’a pas été combinée avec une hausse de productivité. Pire encore, l’Afrique subsaharienne est la seule région en développement au monde où l’impact de l’augmentation des surfaces cultivées a dépassé celui de la croissance des rendements. En quatre décennies, les rendements en Afrique subsaharienne ont à peine doublé, tandis qu’ils ont triplé en Asie du Sud et ont été multipliés par six environ en Asie de l’Est et dans le Pacifique. La croissance des rendements céréaliers reste plus lente que celle de toutes les autres régions au monde. Or, augmenter la production et la productivité agricoles permettra au continent de capitaliser sur le développement rapide des marchés régionaux africains, qui devraient représenter près de $ 3 000 milliards d’ici 2030, poursuit la Banque.

Deuxième point : le niveau de dépenses agricoles en Afrique subsaharienne est bien inférieur à celui des autres régions en développement. En 2003, les pays africains ont lancé le Programme détaillé pour le développement de l’agriculture africaine (PDDAA), avec l’engagement -la Déclaration de Maputo- d’investir 10 % des dépenses publiques nationales dans l’agriculture, rappelle les auteurs. Un objectif réaffirmé dans la Déclaration de Malabo en 2014. Or, en 2014, cinq pays seulement (Burkina Faso, Libéria, Malawi, Mozambique et Zimbabwe) avaient atteint ou tout juste dépassé l’objectif des 10 %, tandis que le Malawi et le Mozambique le dépassent systématiquement. Trois autres pays (Niger, Rwanda et Zambie) arrivaient juste en dessous, à 9 %. Contrairement aux autres régions en développement également, l’Afrique n’a pas accru ses dépenses publiques dans l’agriculture qui représente pourtant un tiers de son PIB et emploie les deux tiers de sa population active.

Non seulement le niveau de dépenses agricoles en Afrique subsaharienne est bien inférieur à celui des autres régions en développement, mais il est faussé par divers programmes de subventions et transferts qui tendent à favoriser les plus aisés au détriment du secteur en général et des pauvres. Par ailleurs, les défaillances du processus budgétaire en tant que tel amenuisent l’efficacité des dépenses publiques. Cela dit, les auteurs du rapport estiment que l’augmentation des dépenses publiques consacrées à l’agriculture et la consolidation des dépenses publiques agricoles sont des éléments importants, mais insuffisants, pour donner un souffle à la croissance agricole et amorcer la réduction de la pauvreté. Les investissements dans les infrastructures rurales, la santé et l’éducation sont tout aussi importants, de même que le fait que ces investissements judicieux doivent s’accompagner de toute une gamme d’autres mesures politiques. Il est urgent, estime la Banque mondiale, de réorienter les dépenses gouvernementales vers la fourniture de biens publics, plutôt que de privilégier des groupes spécifiques de producteurs comme c’est le cas actuellement.

En Afrique, la résurgence des programmes de subventions aux intrants est sans doute l’évolution la plus importante de ces dernières années dans le domaine des politiques relatives aux dépenses publiques agricoles. Ensemble, dix Etats africains consacrent plus d’un milliard de dollars par an aux seules subventions aux intrants, principalement aux engrais. Ces programmes avaient été presque éliminés au cours de la période d’ajustement structurel de l’Afrique pendant les années 1990. Toutefois, ils ont depuis fait un retour en force, dû en partie à l’attachement que certains dirigeants africains continuent de nourrir pour les subventions— bien qu’ils subissent des pressions pour les éradiquer- et en partie aux incertitudes relatives à l’approvisionnement alimentaire au cours de la période d’instabilité des prix mondiaux des denrées alimentaires et des engrais en 2007-08, écrivent les auteurs.

Autre levier de croissance pour l’agriculture : l’investissement direct étranger (IDE). S’il est vrai que le climat d’investissement peut encore être amélioré, le potentiel est là pour attirer une plus grande part des ressources mondiales, souligne le rapport. Le stock africain d’IDE pour l’agriculture ne représente que 7 % du stock total des pays en développement, contre 78 % pour l’Asie et 15 % pour la région Amérique latine et Caraïbes. Sans oublier le potentiel humain. Non seulement le secteur agroalimentaire en amont et en aval est source de création d’emplois, mais le « dividende de la jeunesse » pourrait porter la croissance du secteur, selon la Banque mondiale. En revanche, si ces emplois ne sont pas créés, le chômage pourrait augmenter ou la migration s’accélérer vers des villes déjà surpeuplées.

Côté demande, les marchés régionaux africains sont en plein essor, soutenus par la croissance démographique, l’urbanisation et la hausse des revenus ; ils devraient atteindre 1 000 milliards de dollars d’ici 2030. Mais jusqu’à présent, la demande croissante de nourriture pour satisfaire les besoins alimentaires d’une population urbaine en rapide augmentation est surtout comblée par les importations : le déficit du solde des échanges des aliments de base s’est aggravé en Afrique sub-saharienne. Ceci témoigne d’un dysfonctionnement majeur car, en Afrique sub-saharienne, tous les ingrédients naturels sont réunis pour une production alimentaire efficace. Quid de la recherche & développement (R&D) ? Au cours de la dernière décennie, les dépenses consacrées à la recherche en agriculture n’ont représenté qu’environ 0,4 % du PIB agricole en Afrique subsaharienne, contre 1,3 % pour l’Amérique latine et les Caraïbes, 0,6 % pour l’Asie de l’Est et le Pacifique et 0,9 % pour l’Asie du Sud. Pendant cette période, l’Afrique est la seule région à afficher une baisse moyenne des dépenses pour la recherche agricole. Notons que plus de 90% des investissements consentis à la science et à la technologie agricoles en Afrique subsaharienne émanent du secteur public contre moins de 50 % en Europe et Amérique du Nord. En outre, de nombreuses études ont estimé à 43 % en moyenne le taux de retours sur investissements de la R&D pour l’agriculture dans les pays en développement contre 34 % en Afrique subsaharienne. A ceci se greffe un manque de disponibilités des résultats de la recherche. Dans de nombreux pays d’Afrique, les tests longs et coûteux pour l’homologation de nouvelles variétés de semences (importées ou domestiques) sont assortis d’exigences qui, concrètement, signifient que les agriculteurs africains ne peuvent pas bénéficier des progrès réalisés en R&D chez eux comme à l’étranger.

Le foncier est également évoqué dans Africa’s Pulse. Seul 10 % environ des exploitations rurales africaines sont enregistrées administrativement. Les autres exploitations, ne pouvant justifier d’aucun document ou ayant fait l’objet d’arrangements officieux, se trouvent exposées à l’ »accaparement » de leurs terres ou à l’expropriation, ce qui est particulièrement problématique pour les femmes, note le rapport. En Afrique subsaharienne, le changement de propriétés en zone rurale prend deux fois plus de temps (65 jours) et coûte deux fois plus cher (9,4 % de la valeur foncière) que dans les pays de l’OCDE (31 jours et 4,4 % respectivement). Sans oublier les infrastructures. Des enquêtes menées au Bénin, à Madagascar et au Malawi auprès de négociants ont montré que les coûts de transport représentaient 50 % à 60 % du coût total de commercialisation.

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La Rédaction (Avec CommodAfrica et Knowdys Database)