Nigéria: les ex-otages français seront ambassadeurs du Cameroun

(Africa Diligence) Enlevés le 19 février 2013 au nord Cameroun par Boko Haram, Tanguy Moulin-Fournier et sa famille sont rentrés le 20 avril en France. Cité à tort parmi les pays à risque, Yaoundé ne pouvait espérer meilleurs ambassadeurs que ces ex-otages qui ont promis de retourner au Cameroun, « un super pays ». Les coulisses de leur libération.

La famille française enlevée le 19 février, lors d’une excursion dans le parc national de Waza, au Cameroun, près de la frontière avec le Nigeria, et libérée le vendredi 19 avril a été rapatriée à Paris, samedi 20 avril au matin, dans l’avion du ministère des affaires étrangères, accompagnée de Laurent Fabius. Les trois adultes et les quatre enfants étaient apparus, vendredi, lors d’une étape à Yaoundé, en bonne santé mais très amaigris. Une équipe médicale a accompagné M. Fabius lors du déplacement. La famille avait été remise au préalable aux autorités camerounaises.

Tanguy Moulin-Fournier, le père, le visage mangé par une barbe fournie, a livré ses premiers mots aux médias, indiquant que les conditions de la détention avaient été « très difficiles ». Les adultes et les enfants, âgés de 5 à 12 ans, ont souffert de la chaleur et de moments de grand découragement. Lors de leur captivité, ils n’ont jamais été séparés. Selon nos informations, les services de renseignement français ont pu leur faire passer des médicaments durant ce séjour éprouvant où ils sont restés prisonniers d’un groupe affilié à la secte islamiste nigériane Boko Haram.

Si le chef de l’Etat français, François Hollande, a assuré, vendredi, qu’« aucune rançon n’a[vait] été versée » contre la liberté de cette famille, les ravisseurs ont, en revanche, obtenu la libération d’« une petite dizaine de personnes détenues dans les prisons camerounaises et nigérianes », selon un membre de la communauté du renseignement français. Dans un premier temps, ils avaient demandé de l’argent et la remise en liberté de femmes et d’hommes emprisonnés au Cameroun et au Nigeria. Au fil des négociations, ils semblent avoir focalisé leurs attentes sur les seules libérations.

Les autorités françaises se sont félicitées, vendredi, de ce succès dans lequel M. Fabius a joué un grand rôle en s’engageant beaucoup, personnellement, auprès des chefs d’Etat du Cameroun, Paul Biya, et du Nigeria, Goodluck Jonathan, sans qui aucune issue positive n’aurait été possible. Mais l’Elysée ne cache pas, en privé, que le dénouement heureux de cette affaire montre aussi que sa nouvelle doctrine en matière de gestion d’otages, qui interdit désormais, depuis la mi-janvier, tout versement d’argent, n’obère pas les chances de libération.

Selon un responsable ministériel, des responsables de la sécurité de GDF Suez, employeur de M. Moulin-Fournier, ont tenté, pendant un temps, de résoudre cette prise d’otages en utilisant leurs propres canaux et en envisageant le versement d’une rançon. Cette idée a fait long feu après l’intervention, notamment, du centre de crise du Quai d’Orsay, informé par les services de renseignement. GDF Suez n’a pas souhaité commenter au Monde cet épisode.

Nigeria, Cameroun et Grande-Bretagne ont fourni une aide précieuse

Parmi les quinze otages français détenus en Afrique, les membres de cette famille étaient sans doute ceux pour qui Paris, sans le dire officiellement, avait à la fois le plus d’inquiétude et le plus d’empressement. La présence d’enfants constituait en effet un facteur d’urgence aux yeux de l’opinion, mais aussi dans l’esprit des responsables politiques et même des experts aguerris aux missions difficiles. La dimension émotionnelle de cette affaire a donné lieu à une mobilisation sans précédent de l’Etat qui a reçu l’aide précieuse de plusieurs pays.

Le Nigeria, tout d’abord, a accepté les demandes françaises. Alors que le régime au pouvoir est partisan d’une ligne très répressive contre Boko Haram, il a accepté que Paris soit le seul décisionnaire en cas d’opération armée. Il a aussi laissé des agents des services secrets français venir sur son territoire pour opérer auprès des forces nigérianes. Enfin, Abuja a accepté de libérer des membres dits « secondaires » de Boko Haram en affirmant, officiellement, qu’ils étaient « en fin de peine ».

Le président camerounais a également intercédé pour que des personnes détenues dans les prisons du pays retrouvent la liberté conformément aux souhaits des ravisseurs. Dans ce pays, comme au Nigeria, les peines avaient pu être prononcées non pour des affaires de terrorisme, mais pour des rivalités foncières ou des conflits commerciaux. Dans un premier temps, M. Biya a montré quelque réticence à coopérer au motif que la France lui demandait son aide alors que, dans le même temps, la justice française le mettait en cause dans l’affaire des « biens mal acquis ».

La Grande-Bretagne a fourni une aide très utile par sa connaissance de la zone située au nord du Nigeria, où ont été détenus les otages français. Selon un diplomate, « l’expertise britannique sur les réseaux de pouvoirs locaux et la sociologie clanique et tribale a permis d’approcher au plus près d’une réalité locale très complexe ». Enfin, les Etats-Unis ont mis à la disposition des Français des moyens électroniques de surveillance qui ont offert la possibilité de couvrir une zone assez large mais sur laquelle le contrôle était permanent.

Pour leur part, les autorités françaises ont mobilisé des forces du service action de la DGSE et des groupes du commandement des opérations spéciales qui ont travaillé « en synergie », d’après un militaire interrogé à Paris. Des éléments se trouvaient en périphérie de la zone où était retenue la famille de M. Moulin-Fournier. Leur présence avec les forces nigérianes a fini par devenir une gêne pour les populations qui vivent des nombreux petits trafics dans cette région.

« Les villageois n’étaient pas d’accord avec l’enlèvement d’enfants »

Ces moyens ont permis de réunir beaucoup d’informations. Au tout début, les ravisseurs sont tombés par hasard sur cette famille. Pour une raison inconnue, ils avaient échoué dans un premier projet. Les surveillances attestent qu’ils n’étaient pas « préparés à gérer une famille entière ». Ils ont été confrontés à des problèmes de transport et de ravitaillement.

« On a vite vu, ajoute le même diplomate, que les enlèvements ne relevaient pas d’un business, pour eux, à la différence d’AQMI. » Ils ne prenaient pas les mêmes précautions avec leurs téléphones.

Le fait d’avoir pris des enfants et une femme les a également affaiblis. « On a constaté, confirme un membre de la communauté du renseignement, que les villageois et leurs familles n’étaient pas d’accord avec l’enlèvement d’enfants, des infos sont sorties à cause de ça. »

Le groupe des preneurs d’otages n’appartenait pas au cœur de la mouvance de Boko Haram, qui n’a assumé publiquement cet enlèvement que postérieurement. Les ravisseurs ont semblé, selon les experts, être des marginaux, déclassés socialement, ce qui a facilité la tâche des personnes chargées de faire libérer cette famille. Enfin, à la différence de ce qui se passe en Afghanistan, par exemple, les personnes chargées de faire le lien entre les preneurs d’otages et les négociateurs appartenaient à l’entourage proche des ravisseurs, ce qui a facilité les discussions.

Tanguy et Albane Moulin-Fournier et leurs quatre enfants résidaient depuis 2011 à Yaoundé, où le père de famille est employé comme expatrié par GDF Suez. A son arrivée en France, il a dit qu’ils retourneraient au Cameroun, « un très beau pays ». Il l’a répété samedi soir. « C’est un super pays, ça fait deux ans qu’on y habite, on a nos amis, on a nos frères camerounais… »

(Avec Jacques FOLLOROU)