La Chine, l’Iran, l’Afrique et le pétrole en 2012

Les yeux rivés sur les breaking news du Moyen-Orient, certains analystes attribuent le niveau actuel des cours du pétrole au risque géopolitique iranien. Plus laborieuse, l’analyse froide de l’offre et de la demande globales produit une imagerie plus proche de la réalité. Ses lignes de force montrent que l’Afrique peut tirer profit de l’insécurité énergétique qui gagne les puissances. A une condition.

L’or noir nous a habitués à des ups and downs au cours des dernières années. Le pétrole brut, par exemple, a perdu 53% en 2008 pour croître de 78% l’année suivante. Et les investisseurs attentifs savent que depuis 30 ans les cours évoluent de manière quasi systématique dans la première quinzaine du mois de mars. Mais si les experts de la sécurité énergétique s’arrachent les cheveux au premier trimestre 2012, c’est principalement à cause de deux grands pays : l’Iran et la Chine. Et lorsque les investisseurs nous demandent de creuser plus, l’Afrique apparaît comme un maillon stratégique dans la nouvelle architecture énergétique mondiale.

Chine : croissance en baisse, réserves en hausse

La Chine est le second plus gros consommateur de pétrole au monde après les Etats-Unis, et le principal responsable de la hausse de la demande globale. L’économie chinoise a, en effet, progressé de 10,4% en 2010 et de 9,2% en 2011 en base annuelle et contribué à hauteur de 20% de la croissance mondiale au cours des cinq dernières années. Mais dans le même temps, les difficultés à accroître le demande intérieure, l’affaiblissement de la demande extérieure et le ralentissement de la demande intérieure d’investissement ont impacté la croissance économique chinoise de manière négative. C’est donc logiquement que le premier ministre, Wen Jiabao, a indiqué que son gouvernement ambitionnerait une croissance de 7.5% pour l’année 2012, établissant un objectif d’inflation à 4%, contre 8% entre 2005 et 2011. Quel impact aura ce ralentissement sur la demande mondiale de pétrole ? That’s the question !

Quelques indices passés inaperçus. Alors que ses réserves récupérables de pétrole brut et de gaz naturel par habitant étaient en deçà de 1/10 de la moyenne mondiale, la Chine a entrepris, il y a quelques années, la construction de quatre installations de stockage de pétrole dans l’est, l’ouest et le sud du pays. Objectifs : augmenter ses réserves stratégiques de pétrole et contribuer à réduire la fluctuation des prix locaux. L’agence Bloomberg estime qu’à la fin du quatrième trimestre 2012, ces installations auront permis de stocker 270 millions de barils. A titre de comparaison, les réserves stratégiques américaines stockées le long du golfe du Mexique s’élèvent à 570 millions de barils de pétrole brut. Le problème, comme le faisait remarquer le vice-président chinois, Xi Jinping, au journal irlandais Irish Times le 19 février 2012 c’est qu’« en Chine, toute réalisation dans le développement, si grande soit-elle, devient très petite lorsqu’elle est divisée par 1,3 milliard, l’envergure de sa population… »

Iran : une posture stratégique non explorée

« Laissez-moi vous dire ce que nous, Israéliens, avons contre Moïse. Il nous a menés pendant 40 ans à travers le désert pour finalement nous installer dans le seul coin du Moyen Orient où il n’y a pas une goutte de pétrole », déclara un jour Golda Meir. A l’époque, « la grand-mère Israël » soupesait la menace que représentaient de riches voisins pétroliers. A la sortie de son audience avec le président Obama le 5 mars 2012 à la Maison Blanche, le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, a réaffirmé la souveraineté de l’Etat hébreux à se défendre face à la menace iranienne. Calculettes à la main, les analystes de Knowdys estiment que les conséquences des frappes israéliennes sur les installations iraniennes soupçonnées d’abriter les activités nucléaires (à des fins militaires) pourraient entrainer une augmentation du prix du baril de 15 à 20 USD. En poussant l’arithmétique, on comprend mieux pourquoi Washington et les grandes chancelleries européennes insistent sur une solution diplomatique à la crise qui éviterait une nouvelle escalade militaire dans la région. Le Golfe persique, rappelons-le, concentre le premier trafic de tankers et les plus importantes productions de la planète.

Stratégie. Devant le manque à gagner que représente déjà le gel de ses livraisons à l’Union européenne (20% des exportations), le leader iranien Mahmoud Ahmadinejad a entrepris des négociations discrètes avec ses principaux clients asiatiques dont la Chine (qui lui achète déjà 20%), le Japon (17%), l’Inde (16%) et la Corée du Sud (10%) pour accroître leur pourcentage de brut iranien. Cette posture stratégique non explorée par les tacticiens occidentaux va peser sur les cours, d’autant que sous la poussée du lobby pétrolier, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) risque d’attendre la super flambée avant de mobiliser les réserves stratégiques. « On dit que l’argent n’a pas d’odeur : le pétrole est là pour le démentir », écrivait Mac Orlan.

Afrique : d’énormes profits sous condition

Que répond un investisseur à sa fille de huit ans qui lui demande pourquoi la « communauté internationale » est intervenue en Libye et pas en Syrie ? Gaz et pétrole ou préservation des vies humaines ? Depuis l’Africom, la militarisation de la compétition pour la sécurité énergétique des grandes puissances est allée crescendo en Afrique pour connaitre un point d’orgue en Libye. D’après le rapport 2009 de l’U.S. Energy Information Administration records, la Libye détient les réserves les plus importantes en Afrique avec 43,7 milliards de barils, suivie du Nigéria (36,2 milliards), l’Algérie (12,2 milliards) et l’Angola (9 milliards). Viennent ensuite le Cameroun, le Congo, l’Egypte, le Ghana, la Guinée équatoriale, le Mozambique, l’Ouganda, le Soudan et le Sud-Soudan, qui n’ont pas fini de révéler leur potentiel en gaz et pétrole. La qualité du produit, son exploitation off-shore, la facilité de son transport, et la baisse des conflits armés depuis 1990 pour ne citer que quelques atouts, ont accru la dépendance des grandes puissances au pétrole et au gaz africains. Rien qu’en 2010 les Etats-Unis ont importé 21,7% de leur pétrole d’Afrique contre 18,5% au Moyen Orient.

Opportunités. Face aux enjeux stratégiques, à l’appétit des puissances et à la conjoncture internationale, l’Afrique peut tirer d’énormes profits de son sous-sol et financer son développement à une condition : mettre en œuvre une vraie diplomatie énergétique et d’influence commune dans les meilleurs délais. « Plus facile à dire qu’à faire » rétorqueront les observateurs qui, s’appuyant sur l’étrange destin de l’Union africaine, sont persuadés que « les dirigeants politiques africains préfèrent perdre seuls plutôt que gagner ensemble. » Il se peut cependant, au vu des signaux faibles enregistrés par Knowdys Intelligence Economique au cours des 12 derniers mois, que les grandes capitales africaines soient prêtes à faire cause commune sur la question énergétique. Depuis 1960, jamais année n’a été aussi propice que 2012 pour y parvenir.

Guy Gweth