L’accès à l’énergie, panacée pour le décollage économique de l’Afrique ?

[Africa Diligence] L’accès à l’énergie et plus particulièrement l’accès à l’électricité est une condition indispensable pour le développement économique et sanitaire d’un pays. Or, si la consommation d’énergie finale a presque doublé depuis les années 1970, la part des pays pauvres et, notamment d’Afrique n’a cessé de se contracter.

« Plus de 40 % des entreprises [dans les pays les moins avancés, NDLR] sont freinées dans leurs activités de production par un approvisionnement en électricité inadéquat, peu fiable et trop coûteux. Chaque mois, les entreprises subissent en moyenne dix coupures de courant d’une durée approximative de cinq heures chacune, qui leur coûtent 7 % de leur chiffre d’affaires. » Le constat de la Cnuced (Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement) est simple : pas de développement industriel, technologique ou agricole sans énergie.

Une pauvreté énergétique alarmante

Aujourd’hui, les 47 pays les moins avancés (PMA), dont 33 sont en Afrique, sont en train de prendre un retard considérable par rapport au reste du monde en développement pour ce qui est de l’accès des ménages et des entreprises à l’énergie. Malgré les progrès importants qu’ils ont réalisés ces dernières années, ces pays devraient augmenter leur taux d’électrification de 350 % par an pour atteindre l’objectif mondial de l’accès universel à l’énergie d’ici à 2030. « Il faut retenir deux choses pour l’Afrique : que les défis sont énormes et que les déficits sont immenses. Les besoins d’investissements sont absolument gigantesques », explique Rolf Traeger, chef de la section des pays les moins avancés au service de la recherche et des analyses politiques de la Cnuced. Alors, est-ce trop tard pour réagir et pourquoi faire ce constat maintenant ?

Pour Élisabeth Claverie de Saint-Martin, directrice adjointe du développement durable au ministère français des Affaires étrangères, il est urgent de placer cette question en haut des priorités, car les difficultés s’accumulent pour les États et les entreprises installées en Afrique. Elle révèle que les coûts de transactions élevés ajoutés à l’incertitude sur l’achat d’électricité freinent le développement de l’accès à l’énergie sur le continent africain. « C’est bien de produire, mais il faut avoir des acheteurs en face. Les industriels, quand ils viennent en Afrique, ils viennent avec leur propre capacité de génération d’électricité. Comme il y a des coupures, ils adossent aux structures productives des structures de production de l’électricité. Or, ce sont eux les clients solvables. »

Les États de plus en plus impliqués dans la planification

Rolf Traeger, qui a présenté le rapport quelques minutes plus tôt ce lundi 22 janvier au sein du ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères devant quelques représentations diplomatiques des pays concernés, a pourtant l’air optimiste. Il développe : « Ce qui est plutôt optimiste, c’est qu’il y a de l’innovation technologique, de l’innovation institutionnelle, de nouveaux acteurs qu’il faut maintenant rassembler pour mobiliser les nouveaux mécanismes de financement. » Mais il souligne qu’il faut qu’il y ait un cadre. « Il faudrait intégrer ces acteurs dans un contexte de plan de développement national où la transformation de la structure de l’économie est la priorité. Donc, ce n’est pas de l’énergie pour de l’énergie, mais l’énergie au service de la transformation structurelle de l’économie », détaille l’homme venu de Genève.

Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’il sera trop onéreux pour les PMA de se doter de l’accès à l’énergie moderne d’ici à 2030. Et d’après le rapport, les ressources actuellement disponibles sont loin de suffire. Le montant total de l’aide publique au développement affectée au secteur énergétique s’élève à seulement 3 milliards de dollars par an. De plus, la plupart des PMA n’ont que peu de ressources intérieures à consacrer aux investissements publics et doivent limiter leurs emprunts pour éviter le surendettement.

C’est là qu’intervient la planification. Nicolas Guichard, responsable adjoint de la division énergie de l’AFD, sait de quoi il parle puisque l’Agence française de développement est engagée sur le terrain de l’accès à l’énergie en Afrique depuis de nombreuses années. Il a constaté une évolution dans l’approche même du sujet. Aujourd’hui, force est de constater qu’il n’y a plus d’idéologie dans la vision que peut porter un organisme comme l’AFD. Il avertit : « Attention aux stratégies des États qui sont menées avec une idéologie derrière. » En effet, beaucoup de gouvernements ont voulu s’emparer de la gestion de leurs entreprises d’électricité avec des méthodes assez diversifiées, mais qui vont toujours dans le même sens de la séparation des activités avec des contrats de cession gérés en externe. « Nous, là-dessus, on essaie plutôt de renforcer cet aspect accompagnement des sociétés, en étant sur le sujet plutôt pragmatiques et terre-à-terre de l’amélioration des performances en tant que telles. Donc, vraiment travailler sur les sujets : réseaux, mix, demande, diversification, etc., améliorer les systèmes de gestion, travailler sur les sujets de fond. Car sur les sujets de réformes, il faut voir selon les pays, il y en a déjà beaucoup qui vont loin, peut-être trop loin ? » Interroge Nicolas Guichard.

La différence apparente de stratégie entre les pays africains s’explique principalement par le fait que les situations sont très disparates qu’on soit au nord ou au sud du continent. Sur l’ensemble du continent, plus de la moitié des 54 pays africains affichent un taux d’électrification de moins de 20 %. Mais ces taux atteignent 85 % en Afrique du Sud, et seulement 3 % pour la Centrafrique, 4 % pour le Tchad ou encore 9 % pour la RD Congo. Tout en tenant compte du fait des disparités géographiques internes aux pays, puisque le taux est de seulement 14 % en zone rurale.

 Créer un cercle vertueux 

Mais certains parviennent à tirer leur épingle du jeu. C’est le cas de l’Éthiopie, « qui a une politique volontaire. Ce pays est en train de développer ses industries de transformation, et en même temps, c’est un pays qui met le paquet dans le secteur de l’énergie. En fait, tout cela a permis à l’Éthiopie de renforcer sa capacité de génération de transmission d’énergie qui, à son tour, va alimenter ces nouvelles industries et ses nouveaux secteurs d’activité », explique Rolf Traeger. Ce dernier se refuse de parler pour autant de pays modèles, préférant mettre l’accent sur ces quelques États africains qui ont mis en place un cercle vertueux. « Ce sont les activités de modernisation de l’agriculture, dans le secteur des services et des industries qui génèrent la demande qui justifie l’investissement dans la génération de transmission d’énergie, notamment l’électricité. Il faut agir des deux côtés, car c’est l’un qui renforce l’autre », conclut-il.

Si les États commencent à jouer leur rôle, le maillon manquant reste le secteur privé. Comment faire pour que les entreprises changent leurs logiciels en regardant plus les opportunités que les risques ? C’est la question que s’est posée la PME française Enekio, basée à Montpellier. Son cofondateur Franck Lesueur explique : « En fait, la réflexion s’est inversée. La question n’est plus où aller chercher l’argent. Ce qui nous a confortés dans notre installation au Sénégal, c’est qu’il y a eu un président élu en 2012, Macky Sall qui a une vision sur les cinq ou sept prochaines années, et qu’il a appelé le Plan Sénégal émergent. À travers lui, c’est le développement endogène du pays qui est en jeu », avance Franck Lesueur, qui opère aussi au Moyen-Orient. « Le président sénégalais s’est dit : Je peux modifier les structures du pays en modifiant certaines réglementations pour permettre le développement du Sénégal par les Sénégalais, c’est pourquoi on s’est mis tout de suite dans le PSE en créant Enekio Sénégal. »

Le secteur privé voit les opportunités

Aujourd’hui, seuls 33 % des 10 millions d’habitants du Sénégal ont accès à l’électricité avec un taux de couverture de 57 % en milieu urbain et de 10 % en milieu rural (Commission de la régulation du secteur de l’électricité du Sénégal). Et bien que le potentiel des PMA en matière d’énergies renouvelables soit considérable, les énergies éolienne et solaire ne peuvent suffire, à elles seules, à répondre à tous leurs besoins. Il faut donc travailler sur des solutions où l’efficacité énergétique occupe une place centrale. C’est ce qu’a proposé Enekio aux 300 villages visités au Sénégal autour de Dakar, la capitale. L’objectif était surtout de comprendre et de déterminer les besoins des personnes dans ces villages, d’évaluer leur capacité financière, non pas à l’instant T, mais en ayant calculé en amont ce qu’ils gagneraient s’ils avaient une activité économique. C’est ainsi qu’ils ont installé des éclairages publics à Thiès, permis l’électrification de la région de Tambacounda, ainsi que le déploiement de centrales solaires à Sandiara. Le système permet d’agir sur les flux d’énergie qu’on règle à distance. Au total, ce sont 265 000 bénéficiaires pour 36 mégawatts d’énergie. « L’analyse du pays était favorable pour pouvoir travailler sur la problématique principale du financement », poursuit Franck Lesueur. « La solution a été de regrouper tous ces villages et de présenter à ces bailleurs de fonds un seul projet. » Élisabeth Claverie de Saint-Martin ajoute qu’à l’AFD ce changement de vision venu du terrain a aussi été bien intégré par l’AFD qui propose désormais de nouveaux outils de financement, comme les prêts dits non souverains. Ces aides peuvent se faire directement de l’Agence française au privé sans passer par un gouvernement.

La Rédaction (avec Viviane Forson)