Le Canada renoue avec l’Afrique

[Africa Diligence] La politique protectionniste de Donald Trump a plombé les relations économiques entre les USA et le Canada. Une situation qui amène le Canada à renforcer sa présence en Afrique, notamment en ouvrant un troisième bureau de représentation au Maroc, après celui de la Côte d’Ivoire et du Sénégal.

Le Québec ouvre un bureau de représentation à Rabat, au Maroc. Cette antenne sera la troisième installée en Afrique après celles situées en Côte d’Ivoire et au Sénégal. La province canadienne renforce donc sa présence sur le continent africain. Et au niveau national, Ottawa échaudé par la politique protectionniste de Donald Trump pourrait renouer avec l’Afrique.

Dakar, Abidjan et bientôt Rabat… C’est là que le Québec ouvre en Afrique un nouveau bureau de représentation. « Nous souhaitons développer nos échanges avec les pays africains. »,  explique sur TV5MONDE Christine St-Pierre, ministre québécoise des Relations internationales et de la francophonie.

La représentante du gouvernement québecois s’est rendue dans la capitale marocaine pour entériner un accord de coopération.  Il prévoit d’amplifier les relations entre la  province canadienne et le Maroc en matière notamment d’éducation, d’environnement et de culture. Une nouvelle concrétisation d’un changement dans les relations du Québec et du Canada avec le monde en général et avec l’Afrique en particulier.

Adieu Washington, Bonjour l’Afrique

Le partenariat économique Canada-États-Unis a du plomb dans l’aile. Le président américain, Donald Trump tient ses promesses de campagne et privilégie l’industrie américaine alors qu’il s’agit du premier marché à l’exportation pour le Canada.

Dès le 1er juin 2018, le locataire de la Maison Blanche a ordonné l’application des taxes douanières sur les importations d’acier (25%) et d’aluminium (10%). Le préjudice devrait être considérable pour l’économie canadienne. Ottawa est le premier exportateur d’aluminium aux États-Unis et le deuxième pour l’acier derrière l’Union européenne.

Si certains analystes évoquent déjà le spectre d’une guerre commerciale, le Canada entend contre-attaquer en conquérant d’autres marchés. « Avec ce qui se passe avec les États-Unis, nous devons développer des marchés ailleurs. Sur l’Afrique le gouvernement du Québec a décidé d’intensifier notre présence. Nous n’étions pas là officiellement et nous ouvrons notre troisième bureau à Rabat au Maroc […] pour accroître nos échanges avec l’Afrique qui se développe »,  précise Christine St-Pierre sur le plateau de TV5Monde.

La francophonie économique

Pour certains, cette nouvelle implantation est une avancée, pour d’autres il n’en n’est rien. « Je ne vois pas de changement pour l’instant dans la politique canadienne. Les trois bureaux créés sont particuliers au Québec. Ces antennes viennent renforcer la présence canadienne en Côte d’Ivoire, au Sénégal et au Maroc mais si vous regardez à l’échelle du continent africain, c’est une goutte d’eau, » indique Jocelyn Coulon ancien conseiller politique du ministre canadien des Affaires étrangères du Canada et chercheur au CERIUM.

Au-delà du gouvernement québécois, au niveau national, le pays est contraint de changer de stratégie. L’Afrique est-elle le nouvel eldorado pour Ottawa ? « Le Canada est à la peine. On est dans une guerre commerciale à outrance avec les États-Unis donc il est évident que le Premier ministre canadien ne demande pas mieux que de se relancer, par son atout principal : la francophonie économique. Avoir une dirigeante canadienne (ndrl : Michaëlle Jean est à la tête de l’Organisation internationale de la Francophonie et candidate à sa propre sucession) lui permet d’écouler les produits qui se vendent péniblement au Canada », indique Bruno Bernard expert en francophonie économique.

Tournée express au Canada

À peine un an après sa prise de fonction, Justin Trudeau a fait sa première tournée sur le continent africain en novembre 2016.  Mais la visite du Premier ministre s’est cantonnée à deux pays : le Liberia et Madagascar.

À Monrovia, le chef du gouvernement canadien a annoncé une aide au développement  » de 12.5 millions de dollars canadiens (8.6 millions d’euros) pour de nouvelles initiatives visant à favoriser la démocratie, la paix et la sécurité ainsi que l’inclusion et l’égalité des sexes en Afrique ».

Une visite symbolique pour Justin Trudeau. Le dirigeant libéral a fait de la lutte pour le droit des femmes son cheval de bataille. À l’époque, il s’était entretenu quelques heures avec la présidente du pays Ellen Johnson Sirleaf.

Une tournée africaine express, juste avant de se rendre à Madagascar au sommet de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) orchestré par la secrétaire générale canadienne Michaëlle Jean. « Ce sont les seules visites du Premier ministre canadien en trois ans. Cela envoit déjà un signal aux Africains, comme quoi, pour lui, il ne s’agit pas d’une destination importante. Je pense que c’est une erreur, puisque nous sommes membres de la francophonie et du Commonwealth et la majorité des membres de ces deux organisations sont en Afrique »,  souligne Jocelyn Coulon.

Regain d’intérêt limité

En revanche en matière diplomatique, les signes d’un regain d’intérêt pour l’Afrique sont limités. « Quand j’ai quitté le Canada en février 2017, le pays avait près d’une vingtaine d’ambassades sur le continent africain. Or, dix ans plus tôt il en avait 26. C’est donc dire que l’empreinte diplomatique canadienne s’est réduite au cours des dernières années. Maintenant, elle est stable. Il ne semble pas y avoir de plan ou de stratégie pour augmenter la présence diplomatique du Canada en Afrique « , ajoute Jocelyn Coulon.

Le pays semble avoir fait du « softpower » et de la francophonie ses axes majeurs pour étendre son implantation en Afrique. « Si on veut avoir une vraie stratégie de retour en Afrique pour atteindre des objectifs diplomatiques et économiques, il faudrait que le personnel politique canadien fasse de l’Afrique une destination régulière. Et qu’il y est plus des représentations politiques dans les pays. Si on fait une comparaison, la Norvège a autant de représentation que le Canada. Sans compter les 45 ambassades de la Turquie en Afrique. Or la Canada a historiquement une présence en Afrique qui a plus de 100 ans. Puisqu’il y a des missionnaires canadiens qui ont ouvert des universités au Rwanda, au Burkina Faso etc. », précise Jocelyn Coulon.

Pourtant le Canada est présent en Afrique subsaharienne. L’armée canadienne intervient au Mali conjointement avec les soldats de la Minusma pour lutter contre les organisations terroristes. Plus de 200 hommes participent aux opérations dans la région et le gouvernement soutien aussi l’effort des forces armées avec l’envoi d’hélicoptères.

Des marchés à conquérir

Chine, États-Unis et anciens empires coloniaux se partagent les principaux marchés sur le continent africain. Le Canada tente aussi de jouer des coudes et de s’imposer.
« Notre plus grand intérêt, pour l’instant, ce sont les investissements que nous avons dans les mines, assure Jocelyn Coulon.

« On est très présents en Afrique de l’Ouest, centrale et australe. C’est à peu près le seul domaine économique où le Canada a une présence très forte, ajoute Jocelyn Coulon. Pour le reste, nous sommes absents. On peut dire que cette absence a commencé avec le gouvernement conservateur de Stephen Harper entre 2006 et 2015. Puisque l’accent a été mis plutôt sur les relations avec l’Amérique latine ou avec la Chine. Et les conservateurs ont fermé les ambassades ont réduit une partie de l’aide au développement et ne se sont pas réellement intéressés au continent africain. Depuis trois ans, maintenant que les libéraux sont au pouvoir on ne voit pas un véritable intérêt pour le continent africain.  »  Le Canada compte ses pions sur l’échiquier africain.

 La Rédaction (avec N’daricaling Loppy)

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