Entreprises du Maghreb et Mondialisation

Une importante rencontre a été organisée par l’Institut Arabe des Chefs d’entreprises à Tunis les 10/11 décembre 2010 qui a regroupé un millier de participants. Ci-après la conférence donnée sur « les enjeux de la compétitivité des entreprises au Maghreb ».

I- Les entreprises maghrébines face aux mutations mondiales

Le premier constat est qu’en ce début du 21ème siècle, les entreprises maghrébines se doivent d’être attentives aux nouvelles mutations mondiales qui annoncent une reconfiguration géostratégique entre 2015/2020.

En effet, ce n’est plus le temps où la richesse d’une Nation s’identifiait aux firmes dites nationales, celles-ci ayant été calquées sur l’organisation militaire et ayant été décrites dans les mêmes termes : chaîne de commandement –classification des emplois- portée du contrôle avec leurs chefs- procédures opératoires et standards pour guider tous les dossiers.

Actuellement une nouvelle organisation est en train de s’opérer montrant les limites de l’ancienne organisation avec l’émergence d’une dynamique nouvelle des secteurs afin de s’adapter à la nouvelle configuration mondiale. Nous assistons au passage successif de l’organisation dite tayloriste marquée par une intégration poussée, à l’organisation divisionnelle, puis matricielle qui sont des organisations intermédiaires et enfin à l’organisation récente en réseaux où la firme concentre son management stratégique sur trois segments : la recherche développement (cœur de la valeur ajoutée), le marketing et la communication et sous traite l’ensemble des autres composants, avec des organisations de plus en plus oligopolistiques, quelques firmes contrôlant la production, la finance et la commercialisation au niveau mondial tissant des réseaux comme une toile d’araignée.

Les firmes ne sont plus nationales, même celles dites petites et moyennes entreprises reliées par des réseaux de sous traitants aux grandes. Les firmes prospères sont passées de la production de masse à la production personnalisée.

Ainsi, les grandes firmes n’exportent plus seulement leurs produits mais leur méthode de marketing, leur savoir faire sous formes d’usines, de points de vente et de publicité. Parallèlement à mesure de l’insertion dans la division internationale du travail, la manipulation de symboles dans les domaines juridiques et financiers s’accroît proportionnellement à cette production personnalisée. Indépendamment du classement officiel de l’emploi, la position compétitive réelle dans l’économie mondiale dépend de la fonction que l’on exerce.

Au fur et à mesure que les coûts de transport baissent, les produits standards et de l’information qui les concernent, la marge de profit sur la production se rétrécit en raison de l’absence de barrières à l’entrée et la production standardisée se dirige inéluctablement là où le travail est compétitif, moins cher et le plus accessible. Mais fait nouveau, depuis la fin du XXème siècle, la qualification devient un facteur déterminant. Les emplois dans la production courante tendent à disparaître comme les agents de maîtrise et d’encadrement impliquant une mobilité des travailleurs, la généralisation de l’emploi temporaire, et donc une flexibilité permanente du marché du travail avec des recyclages permanents étant appelés à l’avenir à changer plusieurs fois d’emplois dans notre vie.

Ainsi, apparaissent en force d’autres emplois dont la percée des producteurs de symboles dont la valeur conceptuelle est plus élevée par rapport à la valeur ajoutée tirée des économies d’échelle classiques, remettant en cause les anciennes théories et politiques économiques héritées de l’époque de l’ère mécanique comme l’ancienne politique des industries industrialisantes calquée sur le modèle de l’ancien empire soviétique. A mesure que la firme se transforme en réseau mondial, impossible de distinguer les individus concernés par leurs activités, qui deviennent un groupe vaste, diffus, répartis dans le monde.

Cela a des incidences sur le futur système d’organisation à tous les niveaux, politique, économique et social où existent des liens dialectiques entre la gouvernance mondiale, locale , l’efficacité des institutions et celle des entreprises dont la prise en compte de la dominance de la sphère informelle avec des institutions et des entreprises informelles au niveau du Maghreb. Toute étude de marché sérieuse, si on veut éviter le gaspillage des ressources financières, suppose que l’on réponde au moins à quelques questions qui concernent l’ensemble de la politique économique au Maghreb que l’on ne saurait isoler de l’urgence d’une intégration maghrébine car l’ère des micro-Etats est à jamais révolu.

1- Quel est le choix des secteurs en fonction de la demande solvable des Maghrébins sachant que le marché local fonction du pouvoir d’achat, lui même fonction du taux de croissance réel, du partage du revenu national entre les couches sociales et du modèle de consommation est un marché instable. Quelle est la stratégie des filières par rapport aux mutations mondiales et en référence aux accords de libre échange avec l’Europe qui prévoit un démantèlement tarifaire (Maroc, Tunise –Algérie signataires de cet Accord) ?

2- La restructuration du secteur industriel/services permettra t –elle des programmes d’investissement, pour les transformer en véritables leviers économiques favorisant l’émergence de secteurs dynamiques compétitifs dans le cadre des avantages comparatifs mondiaux dont la prise en compte des industries écologiques ? Construit-on actuellement des projets pour un marché local régional, ou mondial afin de garantir la rentabilité financière face à la concurrence internationale ? Les filières ne sont-elles pas internationalisées avec des sous segments éparpillés à travers le monde ? Un partenariat stratégique n’est-il pas la condition fondamentale pour à la fois des projets fiables et pénétrer le marché mondial ?

3-la production locale sera-t-elle concurrentielle en termes du couple coûts/qualité dans le cadre de la logique des valeurs internationales. ?

4-Le système financier est –il adapté afin qu’il réponde à tant aux politiques économiques internes qu’à la nouvelle logique industrielle mondiale, ’objectif de la réforme du système financier , condition d’accompagnement de la politique industrielle, n’est il pas de promouvoir l’investissement dans des actifs tangibles, les investissements devant être adossés à des actifs réels, le banquier ne devant pas être seulement prêteur mais co-investisseur et partenaire du projet financé, ses revenus correspondant à une quote-part des résultats issus du projet financé, permettent d’atténuer le risque selon le principe des 3P (Partage des Pertes et Profits) ?

5- Cela ne suppose t-il pas d’autres modes de financement, sans bien entendu renier les instruments classiques adaptés à certains secteurs, afin de dynamiser les projets facteur de croissance dont le retour du capital est lent et dont la rentabilité n’est qu’à moyen terme, dont par exemple l’extension du crédit bail ? Les petites et moyennes entreprises (PME) jouant un rôle vital dans le développement économique, par l’accroissement de la concurrence, la promotion de l’innovation et la création d’emplois, ne sont-elles pas souvent confrontées à plusieurs défis en matière de croissance, qui varient des environnements macroéconomiques, les barrières administratives et la bureaucratie les pénalisant dans l’accès aux services financiers ?

6-A l’instar des pays développés ( USA/Europe) ne faudrait-il pas également favoriser également en cohabitation avec les instruments classiques la finance islamique où d’ailleurs certains savants musulmans ont pu émettre l’idée du cycle de d’investissement concernant la durée de détention d’un titre de société intervenant par exemple dans le domaine agricole qui correspond au temps nécessaire pour semer, récolter et commercialiser, la décision de vente du titre étant alors justifiée par une véritable stratégie d’investissement mesurée par le retour sur investissement post cycle de récolte ?

II- Une nouvelle gouvernance d’entreprise au Maghreb comme facteur d’adaptation

Le terme « Gouvernance » désigne la capacité d’une organisation d’être en mesure de contrôler et de réguler son propre fonctionnement afin d’éviter les conflits d’intérêts liés à la séparation entre les ayants-droits (actionnaires) et les acteurs. Le terme de « gouvernance politique » est utilisé dans le cas de l’interaction entre l’Etat (gouvernement) et la Société (citoyens et entreprises privées).

Dans le cas d’une société ou un groupe industriel, on parle plutôt de « gouvernance d’entreprise ».La gouvernance du système d’information (Gouvernance SI ou en anglais IS Governance) consiste d’abord à fixer des objectifs liés à la stratégie de l’entreprise. Cette démarche permet de définir la manière dont le système d’information contribue à la création de valeur par l’entreprise et précise le rôle des différents acteurs en tenant compte de leurs enjeux de pouvoir. Les systèmes d’information “représentent une partie significative de la valeur ajoutée créée par les entreprises et les administrations. En moyenne, ils représentent 15 à 20 % du chiffre d’affaires des entreprises, soit environ 50 % de la valeur ajoutée générée par les entreprises.

Mondialement, cela représente un montant de l’ordre de 20.000 à 25.000 milliards de dollars”. Mais ce ne sont pas que des dépenses sans contreparties car une partie importante est constituée par des investissements qui permettent de développer la capacité de l’entreprise à créer de la valeur. Ceci fait que les différents métiers de l’entreprise sont directement impactés par la gouvernance des systèmes d’information. D’une manière plus générale les systèmes d’information jouent un rôle fondamental dans le processus de la croissance économique mesurée par le ratio valeur ajoutée/salarié.

La gouvernance d‘entreprise , à ne pas confondre avec la gouvernance des technologies de l’information qui se limite à l’utilisation efficace de l’informatique afin d’améliorer l’efficacité et la productivité des entreprises ou des organisations, a pour but d’améliorer le fonctionnement des organisations englobant la direction du Système d’Information mais également tous les métiers de l’entreprise qui concourent à la création de valeur afin de dégager plus de chiffre d’affaires par salarié, d’améliorer le taux de marge de l’entreprise et ainsi d’améliorer sa rentabilité globale.

Elle est liée aux règles de pilotage en fixant des objectifs liés à la stratégie de l’entreprise, en liant les innovations permis par le système d’information en créant de nouveaux produits, des processus innovateurs ou des services plus efficaces et enfin en prenant en compte la valeur ajoutée créée par le système d’information et pas seulement de se concentrer sur ses dépenses.

L approche opérationnelle est celle de l’urbanisation du SI (Système d’Information) qui consiste à étudier les différents secteurs fonctionnels d’une entreprise (production, administration, ventes, etc.), afin d’être en mesure d’en réaliser une cartographie, puis d’étudier de la même manière son système d’information., ce terme étant utilisé par analogie avec les travaux d’architecture et d’urbanisme dans une ville en comparant une entreprise avec une ville et ses différents quartiers, zones et blocs. L’objectif d’une démarche d’urbanisation est donc d’aboutir à une structuration du système d’information permettant d’en améliorer ses performances et son évolutivité et ce grace aux systèmes de réseaux, le « réseau » étant défini comme un ensemble d’entités (objets, personnes, etc.) interconnectées les unes avec les autres, permettant de faire circuler des éléments matériels ou immatériels entre chacune de ces entités selon des règles bien définies.

Cependant, la mondialisation de l’économie et les tentatives de régulation du commerce exacerbant la compétitivité économique entre les pays et entre les entreprises ont conduit les États à mettre en œuvre une politique publique participative d’intelligence économique plus ou moins évoluée en fonction de leur culture. La théorie de l’intelligence économique permet aux entreprises et aux institutions de connaître mieux et plus vite leur environnement concurrentiel, vivant dans un monde incertain et instable d’apporter des éléments de décisions non financiers en amont de fusions acquisitions lors des prises de participation, et d’aider à augmenter l’efficacité commerciale.

On désigne sous le nom d’Intelligence Economique d’Entreprise l’instrument qui permet d’accroître notablement la performance c’est-à-dire de manière organisée et pilotée, à la création de valeur grâce à l’information juste, juste à temps », selon la formule de Robert Guillaumot. Gérer l’intelligence économique se traduit par la capacité des entreprises à anticiper les éventuelles fluctuations et savoir prendre des décisions, et ce par la mise en place des systèmes d’informations. Un volume important des échanges économiques et logistiques se fait dans le virtuel, il est nécessaire donc, pour tirer profit de cette économie immatérielle, de valoriser les compétences, chercher les moyens de créer des nouvelles opportunités d’affaires et d’implanter des pôles de compétitivité, seuls garants de la prospérité de toute économie.

Cette anticipation permet d’abord des choix économiques, industriels et énergétiques mais également l’anticipation opérationnelle sur le développement de stratégies de compétition immatérielle, le soft power. Dans ce domaine, plusieurs pays émergents qui tirent actuellement la locomotive de l’économie mondiale ont compris que les marchés mondiaux seront normalisés à terme, et ils ont déjà commencé à déployer leurs propres normes dans divers produits de consommation mais , non seulement dans l’économie, mais aussi en matière environnementale, éthique, sociale, culturelle .Cependant la sécurité des systèmes d’information est un enjeu majeur du management stratégique tant des gouvernants que des entreprises.

Dans ce cadre, plusieurs pays développés et émergents ont mis en place un Conseil de sécurité économique, à l’image du Conseil de sécurité intérieure , comprenant un comité regroupant des représentants des secteurs économique et universitaire et des dirigeants d’entreprises ,qui définissent les orientations de la politique menée dans le domaine de la sécurité économique et fixant les priorités, chargés d’assurer la cohérence des actions menées par les différents ministères et veillant à l’adéquation des moyens mis en œuvre.

En effet, la démarche d’intelligence économique intègre la lutte contre la criminalité financière, le blanchiment, la corruption et le financement du terrorisme et se mettent en place une adaptation et uniformisation du droit selon les Etats dont l’adaptation du code pénal aux nouveaux délits liés à l’évolution des techniques de l’information et au développement de l’intelligence économique.

Les objectifs sont notamment de se protéger contre la concurrence déloyale, la violation des secrets (secret de fabrique, des correspondances et des télécommunications, secret professionnel, de la défense nationale), à l’accès aux systèmes de traitement de l’information et à la cryptologie d’où l’importance d’une symbiose Etat comme puissance publique, entreprises et chercheurs.

En conclusion, les obstacles à la création d’entreprises au Maghreb sont à la fois d’ordre institutionnel, bureaucratique et l’inadaptation du système financier qui fait fuir les capitaux vers d’autres cieux nécessitant une plus grande transparence et cohérence de la réforme globale adaptée aux nouvelles mutations mondiales(1).

Dans ce cadre, le management du système d’information constitue un moyen d’optimisation de la performance de l’entreprise maghrébine Cependant à partir d’enquêtes précises, .les économistes Robert Solow et Daniel Cohen notamment ont montré que les systèmes d’information ne généraient de gains de productivité que s’ils étaient accompagnés de changement dans les organisations devant s’adapter à l’environnement international et national. Dans cette perspective dynamique, d’adaptation à ces mutations, les réponses apportées par les pouvoirs publics au niveau du Maghreb doivent être caractérisées par le rapprochement au niveau régional entre les entreprises, les individus et le savoir, les évolutions récentes de la politique régionale, de la politique des sciences/technologie et de la politique industrielle des entreprises, afin de favoriser les pôles d’activités compétitifs et dynamiques.

Cependant, « n’étant de richesses que d’homme » selon l’expression de Jean Bodin, la pleine réussite de l’entreprise au Maghreb devra reposer sur le capital humain, et c’est pour cela que je préconise depuis des années la création d’une université et un grand centre de recherches maghrébin, évitant cette perte d’énergie, regroupant les compétences, le capital recrutement et le capital formation et ce afin d’éviter le « brain drain », ou fuite des cerveaux le robinet qui pomperait la matière grise. Encore qu’il failler éviter une vision négative, l’émigration ciment de l’interculturalité pouvant être un vecteur dynamisant sans compter l’apport financier puisque le rapport de la banque mondiale 2008 donne un montant total de transfert de plus de 300 milliards de dollars.

L’analyse des performances conciliant la sécurité de l’emploi et la nécessaire flexibilité,( formation permanente, devant changer plusieurs fois d’emplois dans notre vie) , permet de mettre en évidence que le capital humain constitue un des actifs les plus précieux de l’entreprise et qu’il était important de le gérer.

Se pose sur le plan opérationnel plusieurs questions non encore résolues même dans les pays développés, le capital humain n’ayant pu être incorporé dans le bilan car ne rentrant pas dans la catégorie d’un actif susceptible d’être immobilisé et certaines entreprises effectuant une gestion externe à la comptabilité : comment incorporer le capital humain dans le bilan ? Quelle valeur lui attribuer ? Quelles sont les limites à la comptabilisation du capital humain au bilan ? Quels sont les outils actuels qui permettent de mettre en évidence le capital humain dans l’entreprise ? Or le dernier rapport de l’Unesco montre que 95% de la production scientifique est concentrée au niveau des grands acteurs de l’économie mondiale avec l’Ocde (75%) , Chine (10%), Inde (4%), Russie (3%) et Brésil (3%).

Par ailleurs, toute réussite de l’entreprise maghrébine suppose un nouveau management des ressources humaines loin de toute vision dictatoriale, une coopération et une adhésion entre l’ensemble du collectif intégrant la dimension sociale et culturelle de l’entreprise. Un bon management stratégique suppose la capacité de coopérer, c’est à dire de dialoguer d’une façon permanente, de communiquer des concepts abstraits, d’animer des groupes complexes, et de prendre les décisions au bon moment rapidement afin d’atteindre un Smig dans le consensus entre les différents éléments composants tant la société que l’entreprise.

Si le management des entreprises ne doit ne pas remettre en cause l’objectif premier de l’entreprise : le profit, une entreprise devant en priorité être rentable et pouvoir se développer, toutefois, de nombreux exemples d’actions d’entreprises montrent aujourd’hui la volonté de prendre en compte d’autres champs d’actions que le seul domaine économique et financier avec la prise en compte de l’environnement, la satisfaction des salariés et des consommateurs.

L’approche socioculturelle du management des entreprises devient un facteur déterminant pour la réussite comme la culture d’entreprise, l’éthique, le capital humain et la communication interne, l’entreprise devant être rentable au sein d ‘une économie globalisée tout en devenant citoyenne tenant compte de l’anthropologie de la société maghrébine.

Journal DZ