Les mystères de la ruée vers l’or vert africain

La ruée des pays et des groupes étrangers vers l’or vert africain inquiète experts et ONG. Reste que le phénomène est difficilement quantifiable, nombre d’annonces d’accords n’étant pas suivies d’effet.

Par Michael Pauron

Alem a trouvé du travail depuis peu. Ce paysan éthiopien qui avait du mal à joindre les deux bouts avec son lopin de terre gagne désormais 1 euro par jour pour travailler sur les 300 000 ha du groupe indien agroalimentaire Karuturi. Maïs, riz, palmier à huile… L’arrivée des investisseurs indiens dans les plaines verdoyantes de la rivière Tekezé, dans le nord du pays, n’est pas le fruit du hasard.

L’Éthiopie est un promoteur actif : elle aurait déjà cédé 1,2 million d’hectares, selon la Banque mondiale. « Nous sommes les moins chers et les plus compétitifs », se vantent même les autorités, espérant convaincre les investisseurs de ne pas dépenser leurs dollars ailleurs. Tout comme le Soudan voisin, concurrent sérieux qui affiche presque 4 millions d’hectares de terres déjà vendues ou louées.

Les porteurs de projets n’ont pas fini d’affluer sur le continent. Ils sont asiatiques, saoudiens, maghrébins, européens, américains, privés ou étatiques, et lorgnent plus de 200 millions d’hectares cultivables et disponibles en Afrique, sur 445,6 millions dans le monde.

Mozambique, Bénin, Nigeria, Mali… Combien de terres… ont déjà été acquises sur le continent ? Ce qui fait la une des journaux et qui, au nom du droit au sol des populations, anime les passions, locales et internationales, est invérifiable. Selon l’International Food Policy Research Institute (Ifpri), il s’agirait de 9 millions d’hectares depuis 2006. « On ne connaît pas la réalité », assure pour sa part Bernard Bachelier, directeur de la Fondation pour l’agriculture et la ruralité dans le monde (Farm). « Il y a beaucoup d’effets d’annonce », poursuit-il. La Banque mondiale, dans son rapport publié le 7 septembre (« Rising Global Interest in Farmland »), estime qu’à la fin de 2009 ces annonces ont concerné plus de 30 millions d’hectares. Mais « dans de nombreux cas, les accords annoncés n’ont jamais vu le jour », explique l’institution.

Manque de transparence

« Il y a d’abord la volonté des opérateurs et des gouvernements de triompher et de faire vite une annonce sur un accord, précise Bernard Bachelier. Mais après, les discussions techniques commencent avec les administrations et, bien souvent, elles s’enlisent autour de la question du droit au sol, du foncier et du cadastre. Aussi, les investissements pour la mise en culture et l’acheminement des récoltes s’annoncent fréquemment bien plus élevés que prévu. Au final, nombre d’investisseurs se retrouvent dans l’incapacité de financer le projet et abandonnent. »

Selon Bernard Bachelier, le Mali est un bon exemple. « Sur 1 million de terres irrigables, gérées par l’Office du Niger, il y a eu pour 650 000 ha de lettres d’intention. Au final, il ne reste plus que 45 000 ha de projets. » Et de citer le projet libyen : « Tripoli et Bamako ont communiqué, en grande pompe, sur un accord portant sur 100 000 ha. Le document ne donne aucune précision sur le type de contrat : bail à durée déterminée ? Propriété ? Au final, seuls 25 000 ha sont évoqués. Et jusque-là, un canal de 40 km a été construit par des Chinois, sans aucun canal secondaire pour irriguer. »

Madagascar a elle aussi vu son accord sur 1 million d’hectares tué dans l’œuf : la pression populaire a eu raison du groupe sud-coréen Daewoo, qui avait négocié un bail de… quatre-vingt-dix-neuf ans.

Le phénomène d’achat de terre sur le continent n’est pas nouveau, mais la Banque mondiale relève que la quantité de terres négociées dans chaque contrat, qui dépassait rarement quelques milliers d’hectares il y a encore cinq ans, en concerne aujourd’hui allègrement plusieurs centaines de milliers. Comme au Bénin, où Green Waves, un groupe à capitaux italiens, a obtenu l’appui du gouvernement béninois pour l’exploitation annuelle de 250 000 ha de tournesol en août 2007, essentiellement pour cultiver des agrocarburants.

Le pays de Boni Yayi entend offrir plus de 3 millions d’hectares de terres d’ici à 2011 aux groupes étrangers pour la culture et le développement des agrocarburants. Avec un prix compris entre 76 et 456 euros l’hectare (suivant le sol, la proximité d’un point d’eau…), l’opération peut être juteuse. Mais pour quelle rentabilité ? Personne ne s’avance sur cette question délicate. Beaucoup de facteurs entrent en compte : prix des produits sur le marché, fertilité des sols, coûts d’acheminement des récoltes, prix des intrants (engrais, semences…).

La Banque mondiale prévient d’emblée qu’une rentabilité de court terme est inenvisageable pour des terres à irriguer et loin des axes routiers. Mais les perspectives de retour sur investissement sont ­impressionnantes. Ainsi, pour la culture du sucre, une fois les obstacles dépassés et la culture ­lancée, 1 hectare de terre pourrait rapporter 18 500 dollars en Zambie (environ 13 850 euros), 8 000 dollars au Kenya, contre 3 750 dollars au ­Brésil…

Un secteur porteur

L’engouement pour les terres fertiles de l’Afrique est bien réel et, tout le monde en convient, le secteur a de l’avenir. La société Investisseur et Partenaire pour le développement (I&P) en est convaincue. Avec 14 millions d’euros engagés sur le continent, dont un bon tiers (hors micro­finance) dans l’agroalimentaire, I&P considère que « le domaine agricole est un secteur clé », selon Sébastien Boyé. L’entreprise, qui investit spécifiquement dans les PME africaines, accompagne entre autres la société Sagex, qui cultive du maïs et du soja sur quelque 3 000 ha au Cameroun.

À Madagascar, I&P est actionnaire de Phileol, producteur d’huile de ricin. Ce n’est pas de tout repos : « Les risques juridiques sont importants, bien souvent le droit coutumier se superpose au droit national, les parties prenantes locales sont fortes. Il faut être souple sur le schéma de sécurisation du foncier. D’ailleurs, nous sommes rarement propriétaires des surfaces. »

Sébastien Boyé pointe en outre le manque d’initiatives africaines. « L’accaparement des terres par des étrangers est au cœur du débat. Or il faut reconnaître que nous ne sommes pas submergés par les demandes émanant d’Africains. Mais la situation va évoluer. » « Le problème de l’Afrique est l’accès au financement, privé et public », soutient ainsi Bernard Bachelier. Les compétences sont un autre obstacle. Ainsi que le résume un agriculteur éthiopien, qui appelle de ses vœux une politique d’accès aux terres de son pays : « Nous avons de l’or entre les mains, mais nous ne savons pas comment l’utiliser pour lutter contre la pauvreté. »