L’héritage de Kadhafi aux marchés pétroliers

Alors que l’arrêt de certains sites de production libyens fait frémir les marchés pétroliers, le risque de contagion révolutionnaire aux autres pays de la région menace de faire flamber les cours de l’or noir. Le renversement inéluctable de Mouammar Kadhafi équivaut à la chute du Mur de Berlin pour l’Afrique du Nord. Ce sont les conséquences de ce cataclysme et son effet domino chez les grands producteurs de la région qui font trembler les marchés pétroliers de la planète. Pour nous, l’OPEP doit agir vite.

Le symbole

« Mouammar Kadhafi n’est pas Zine El-Abidine Ben Ali. Il n’est pas Moubarak. » C’est la seule phrase sensée du malheureux discours prononcé le 20 février 2011 par Seif Al-Islam. Elle vaut son pesant d’or. Car malgré son triste bilan en matière de droits humains, en 42 ans de pouvoir absolu,  Mouammar Kadhafi symbolise à la fois la révolution verte, l’attachement à la tradition religieuse islamique, une certaine idée du panafricanisme et surtout la résistance au diktat occidental. Pour l’Afrique du Nord, son renversement équivaut à la chute du Mur de Berlin, un  cataclysme géopolitique aux conséquences absolument incertaines.

La secousse

A cause du chaos libyen, le baril de Brent, livrable en avril, a atteint 108 dollars le 22 février 2011, et celui de Light Sweet Crude pour livraison en mars 87,33 dollars, pendant que le WTI américain atteignait 96 dollars. Sur les marchés, les principales bourses européennes sont affaiblies par l’aggravation des tensions à Tripoli. Ce qui est normal. Les trois pays suivants ont importé près de la moitié du pétrole libyen en 2010 : l’Allemagne (14%), la France (10%) et l’Italie (32%). Alors que l’Europe apparaît timorée, Etats-Unis et Chine qui importent respectivement 5% et 10% de la production libyenne surveillent, comme du lait au feu, le risque de contagion à l’Arabie Saoudite.

Des causes et des effets

Le 20 février 2011, le groupe pétrolier et gazier autrichien OMV et le japonais JV Nippon Oil & Gas Exploration ont été les premiers à faire leurs valises. Dans la foulée, Wintershall, filiale de l’Allemand BASF, a annoncé l’arrêt de sa production. Au matin du 22 février 2011, c’était au tour de Statoil de fermer ses bureaux et d’évacuer une grande partie de ses salariés, suivis dans cette mouvance par Eni, Royal Dutch Shell, Repsol et Total. Conséquences logiques : une diminution de la production due au départ des grands groupes pétroliers et de leurs sous-traitants. L’OPEP a certes les moyens de compenser une chute temporaire des approvisionnements libyens, mais il faut qu’elle agisse vite !

Du poids et des ailes

Douzième exportateur mondial, la Libye est le quatrième producteur de pétrole africain derrière le Nigeria, l’Angola et l’Algérie. Sa production est évaluée entre 1,5 et 1,8 million de barils/jour selon l’Agence américaine d’information sur l’énergie. Membre de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole, la Libye occupe le 9ème rang du G12 de l’OPEP pour sa production de brut. Contrairement à l’Egypte et la Tunisie, son embrasement a donc un impact direct sur la production mondiale de brut. Forte de 2% des réserves mondiales, la Jamahiriya arabe libyenne détient les premières réserves de pétrole connues en Afrique, soit 44 milliards de barils, contre 37, 5 au Nigeria et 12,3 en Algérie.

Prise de conscience

Premier grand pays à mesurer l’ampleur du risque, le Japon importe son pétrole principalement d’Arabie Saoudite, des Emirats Arabes Unis, d’Iran, du Qatar, du Koweï, mais pas de Libye. Pourtant, ce 22 février, le premier ministre Naoto Kan a convoqué une réunion d’urgence avec ses principaux ministres dans le but d’analyser l’impact des troubles au Moyen-Orient sur les approvisionnements de pétrole. A Tokyo comme à Pékin et Washington, on travaille aussi à booster la capacité des Renseignements à anticiper les soulèvements populaires dans les autres pays de la région: Algérie, Bahreïn, Djibouti, Iran, Maroc et Yémen, Ryad étant le dossier le plus sensible.

Incertitude généralisée

Bien au-delà de l’héritage de Kadhafi aux marchés pétroliers, force est de constater que nous entrons dans une période de fortes turbulences et d’incertitudes. Le prix du baril de pétrole n’est pas le seul à partir à la hausse. Loin s’en faut. Les cours de l’or, de l’argent et des produits alimentaires grimpent quasiment dans le même temps. Valeur refuge s’il en est, l’or s’est traité au 21 février 2011 à presque 1400 dollars. L’argent a atteint ses plus hauts depuis 30 ans. Les prix des denrées alimentaires approchent la côte d’alerte, la hausse du second semestre 2010 ayant fait tomber près de 44 millions de personnes sous le seuil de pauvreté depuis juin 2010, d’après la Banque mondiale.

Guy Gweth