L’ingénieur burundais, John Christian Kavakure, propulse la belgian touch dans l’industrie brassicole indienne

[Africa Diligence] C’est bien connu : la bière belge est un label de qualité que l’on s’arrache aux quatre coins du monde. Pourtant, c’est un Africain, John Christian Kavakure, ingénieur d’origine burundaise, qui a été sollicité par les Indiens pour « brasser à la belge ». D’où le surnom de « Black Brasseur Belge », alias l’autre « BBB ».

 Depuis le début de ce millénaire, l’intérêt pour les bières spéciales authentiques n’a cessé de croître sur le marché belge (on ne compte plus les microbrasseries et les ventes d’hectolitres de bières spéciales sont en progression d’année en année). Et le marché belge, aussi important soit-il, ne représente plus qu’une infime partie de la consommation de ces bières spéciales. Les importateurs du monde entier se bousculent à nos portes quand ils ne décident pas de franchir le pas et de s’essayer de « brasser belge » directement chez eux.

Et dans ce big bang mondial de la mousse, les frontières ne cessent de reculer. Dernier exemple en date : l’Inde. Le second pays le plus peuplé du monde a, lui aussi, succombé à la « belgian beer ». La consommation de bières spéciales explose et les volumes ont été multipliés par quatre en trois ans.

Pour « brasser à la belge », les Indiens sont venus frapper à la porte de l’ingénieur John Christian Kavakure, venu en Belgique par amour pour la mousse.

Globe-trotter pas essence, l’homme n’a pas hésité et s’est embarqué pour Bengalore, la silicone Valley indienne, pour brasser sur place des bières spéciales refermentées en bouteilles et en cuves. Une grande première dans ce pays, ce qui n’est pas fait pour déplaire à ce brasseur qui pratique la provocation comme d’autres le yoga.

BBB

Bien plus qu’un Ingénieur brasseur, c’est un véritable passionné ! Son goût pour la bière il le tient de sa grand-mère qui lui préparait une bière africaine traditionnelle à base de sorgho, une céréale sans gluten riche en protéines et amidon. Par ailleurs, quand il était jeune, la bière constituait un énorme débouché pour l’emploi : « Le seul employeur au Burundi, c’était le groupe Heineken, explique-t-il, alors nous nous disions tous, pour avoir du boulot, il faut devenir brasseur ! Je suis donc venu en Europe et je suis devenu ingénieur-brasseur« .

Pour avoir fait ses premières armes dans les plus grandes brasseries de Belgique, John Christian ne cache pas sa passion absolue pour les bières d’abbaye. Une passion doublée d’une envie permanente d’innover et d’un savoir-faire hors norme. Il ne le cache pas, « Je voulais être le premier à explorer ce terrain inconnu, être le véritable pionnier en Inde tout en cherchant constamment à surprendre ».

« Après l’entrée de la culture de la bière belge dans l’inventaire du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco, je voulais jouer le rôle de précurseur des bières spéciales en Inde et surtout placer la bière belge sur la carte de l’Inde », lance encore ce passionné, qui vient de rentrer d’un séjour de quatre mois dans ce pays.

« Le marché indien, c’est plus d’un milliard d’individus à qui nous pouvons faire découvrir toute la saveur de nos bières belges de qualité ».

Cap donc sur la brasserie Khoday Breweries, une des grandes brasseries de Bengalore. « Ici, j’ai surtout apporté quelques améliorations techniques, dimensionné et remplacé certains outils dans la salle de brassage et introduit des nouvelles techniques de brassage pour pouvoir garantir la qualité vu le climat chaud de ce pays. Pour moi, la qualité est indissociablement liée à la passion pour le métier de brasseur ».

Les Indiens buvaient déjà de la bière ?

« Évidement. D’ailleurs, on trouve de très bonnes pils dans quasiment tous les pays, mais la production de bières spéciales demande un savoir-faire particulier, basé sur le choix des houblons, des souches de levures et des techniques spéciales, comme la refermentation en bouteille ce qui rend les bières belges tellement uniques ».

Quelles sont les spécificités de vos bières indiennes ?

« Je vous l’assure, elles ont un goût unique. J’ai utilisé un savoir-faire innovant et assez révolutionnaire. La qualité des ingrédients, la grande variété des profils de goût et des procédés de brassage utilisées séduisent un nombre croissant d’amoureux de la bière en Inde et en particulier dans la région de Bengalore où la classe moyenne aime se distinguer en découvrant de nouveaux produits étrangers ».

Et au niveau du goût ?

« J’ai brassé des bières légèrement houblonnées, moelleuses, filtrées et refermentées en bouteille. Elles sont particulièrement équilibrées et se terminent par une note de fraîcheur fruitée avec un nez au reflet estérifié avec une pointe de notes de réglisse.

Il reste un ancrage belge ?

« Bien plus qu’un ancrage ! Une joint-venture a été créée entre la Velho Microbreweries de Goa et la brasserie Brunehaut, de Marc Antoine de Mees.  La Khoday Breweries brasse, embouteille et commercialise désormais les gammes Saint Martin, comme à Brunehaut, sous licence et sous notre stricte supervision. On y trouve une variante blonde avec une teneur en alcool de 4.5%, une brune à 6.5%, une triple à 8% et une blanche avec une teneur en alcool de 5%.  Ces bières sont clairement positionnées dans le segment des bières belges premium en Inde.  Les brasser directement en Inde leur offre un avantage commercial évident et fait tomber plusieurs obstacles que doivent affronter les bières importées. Et, grâce à notre label, elles jouissent de la notoriété de la Belgique, référence suprême sur le marché de la bière spéciale. »

Ces bières sont déjà commercialisées ?

« Bien sûr ! Elles sont disponibles dans la plupart des cafés de Bangalore et dans bon nombre de grands établissements horeca de GOA.

Aller produire à l’étranger, n’est-ce pas un danger pour nos exportations ?

“Il ne faut pas se leurrer, on n’a pas la capacité de répondre à la demande mondiale à partir de la Belgique. Par ailleurs, je suis convaincu que le marché de la bière est loin d’être saturé et qu’il existe encore un immense potentiel à exploiter. »

C’est un message envoyé aux décideurs belges ?

« La Wallonie est trop timide. Elle doit soutenir ses brasseries car il y a un vrai savoir-faire et des spécialités exceptionnels chez nous. Cela se traduit par une culture de la bière unique, vivante et surtout innovante. »

Qu’est-ce qui fait cette qualité de la bière belge ?

« Notre bière, aujourd’hui, est tendance grâce à son goût, ses ingrédients. Pour en revenir à l’Inde, je dirais que comme le positionnement de la bière évolue, les consommateurs indiens recherchent des produits plus marqués. Les bières fortes que nous apprécions chez nous, ne sont plus vraiment recherchées ailleurs. Il faut s’orienter au niveau mondial vers des bières pleines de saveurs et d’arômes originaux et exotiques (floraux, fruités). Les consommateurs internationaux découvrent petit à petit la qualité de leur production nationale. Et vu le protectionnisme économique, il est temps que les brasseries belges commencent à s’y préparer.  Pour moi, la tradition séculaire des Belges se perpétue à travers le savoir-faire brassicole. Un savoir-faire qui demeure un symbole fort du rayonnement ingénieux des Belges et de leur sens de la convivialité. »

 

La Rédaction (Avec Hubert Leclercq)