Menacés d’émeutes, Abuja et Pretoria déconfinent à marche forcée

[Africa Diligence] Les décideurs des deux premières puissances économiques d’Afrique ont pris la menace au sérieux. Entre protection de la santé publique et menace à l’ordre public, le choix est fait à Pretoria et Abuja: il faut lâcher prise. Progressivement… Chronique d’un déconfinement à marche forcée.

Plus que jamais, les acteurs africains de l’intelligence économique et stratégique sont attendus sur le terrain de la prospective à court terme.

En Afrique du Sud, les autorités ont été contraintes d’entrouvrir les vannes le 1er mai 2020.

Il fallait contenir la montée de la colère dans les banlieues pauvres, où des milliers de familles sans travail et affamées avaient commencé à s’affronter avec la police, qui tentait d’empêcher les pillages. Dans ce pays déjà déchiré par les inégalités sociales, l’économie informelle assure une grande partie des emplois et la survie de millions de Sud-Africains.

Le confinement ne peut être prolongé indéfiniment. Les habitants doivent manger et gagner leur vie. Les entreprises doivent produire, vendre et garder leurs employés

Quand on ne sait plus quand on va avoir du pain sur la table, tous les ingrédients sont réunis pour que les tensions éclatent, explique Shaluda Omar, directrice d’une fondation qui défend la cause des enfants maltraités en Afrique du Sud.

Depuis le 1er mai à minuit, les Sud-Africains ont donc été autorisés à reprendre le travail, sous stricte protection sanitaire, dans des secteurs comme la restauration à emporter, le bâtiment, l’agriculture, le secteur minier, le textile ou la maintenance. Mais les déplacements restent limités au strict nécessaire et les écoles resteront fermées au moins jusqu’au mois de juin. Le port du masque est obligatoire dans les lieux publics et le couvre-feu reste en vigueur de 20h à 5h.

Les spécialistes sont unanimes, les mesures de confinement mises en place depuis cinq semaines dans le pays ont permis de ralentir la progression de la pandémie. Mais le pays compte aujourd’hui le plus grand nombre de cas en Afrique avec plus de 5 600 cas et une centaine de morts enregistrés fin avril. C’est dire que la décision n’a pas été facile à prendre pour les autorités sud-africaines qui veulent éviter à tout prix des émeutes aux conséquences incalculables dans les townships pauvres.

C’est aussi un grand ouf de soulagement au Nigeria, la deuxième puissance économique du continent.

La levée progressive des mesures de confinement, effective depuis le lundi 4 mai, sonne comme la fin d’un cauchemar dans le pays le plus peuplé d’Afrique. Les activités économiques vont pouvoir reprendre sur l’ensemble du territoire, à l’exception de l’Etat de Kano, dans le nord, qui a connu ces derniers jours un nombre très importants de « décès mystérieux ».

Malgré les réseaux d’entraide des particuliers qui se sont multipliés et quelques aides du gouvernement pour les plus démunis, la situation devenait intenable pour des millions de Nigérians. L’arrêt de l’activité économique a été dévastateur pour les journaliers qui dépendent de l’économie informelle. Ils représentent au moins 70% des travailleurs dans le pays. Des millions de personnes n’ont plus accès à la nourriture et dépendent des maigres distributions alimentaires pour survivre.

Pour l’économiste nigérian Chukwuka Onyekwena, le gouvernement n’avait pas le choix, d’autant qu’il n’a pas les moyens financiers de soutenir son économie. Ses revenus pétroliers se sont évaporés depuis le début de la crise.

« Avec la chute des cours du pétrole, l’augmentation de la dette et le peu de revenus fiscaux, le Nigeria dispose de peu de marge de manœuvre pour répondre à cette crise et le futur paraît très sombre », explique à l’AFP l’économiste nigérian. Comme l’Afrique du Sud, le Nigeria a rendu obligatoire le port du masque dans les lieux publics, les mesures de distanciation restent en vigueur et les frontières sont toujours fermées. « Nous ferons ce qu’il faut pour stopper la propagation du Covid-19 », a assuré sur son compte Twitter, le gouverneur de Lagos, la métropole économique du pays.

Le déconfinement progressif annoncé en Afrique du Sud et au Nigeria va-t-il automatiquement y entraîner une explosion de cas de Covid-19 ?

Pour l’instant personne ne le sait. « Revenir soudainement à la normale provoquerait à coup sûr une explosion », a reconnu le ministre sud-africain de la Santé, Zweli Mkhize. Le gouvernement sud-africain a expliqué que la prochaine étape de la levée du confinement serait décidée en fonction des impératifs de protection de la santé publique, mais aussi de la nécessaire reprise de l’économie.

Au Nigeria, comme en Afrique du Sud, personne ne s’attend vraiment à ce que la situation redevienne normale. La peur de la maladie reste présente, mais la crainte de mourir de faim à cause du confinement pourrait se dissiper.

La Rédaction (avec HD, TG et l’AFP)