Nucléaire français : ce qui l’empêche de se vendre en Afrique

[Africa Diligence] Dans le monde dit développé, il n’y a pas pays plus enfermé dans ses contradictions que la France dans son rapport au nucléaire. Face aux opportunités qui se profilent en Afrique, l’Hexagone doit pourtant redoubler d’effort pour résister à la concurrence des groupes chinois et russes, alors que le nucléaire est critiqué en interne.

Parfois décrié dans l’Hexagone, le nucléaire a plutôt le vent en poupe dans le reste du monde, où cette technologie « made in France » semble avoir encore de beaux jours devant elle. Si plusieurs nations européennes comme la Suisse, l’Italie, l’Allemagne et la Belgique ont renoncé à poursuivre leur développement nucléaire après les catastrophes de Tchernobyl (1986) ou de Fukushima (2011), de nombreux pays affichent au contraire une ambition croissante, voire naissante en termes de nucléaire, ce qui est synonyme de construction de nouveaux réacteurs. Sans surprise, c’est la Chine qui en bâtit le plus avec 25 projets en cours en 2015, devant la Russie (9), l’Inde (6), les États-Unis (5) et la Corée du Sud (4), d’après l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique). En France, un seul chantier est à l’ouvrage à Flamanville, où la mise en service d’une troisième unité est prévue en 2018. Mais c’est en France ou la part du nucléaire dans la production d’électricité est la plus importante au monde : 77% en 2014, selon le Réseau de transport d’électricité (RTE). Et avec 58 réacteurs, le parc français est le deuxième plus grand de la planète derrière les États-Unis (100 réacteurs) malgré une superficie 17 fois plus petite, toujours d’après RTE.

Les projets nucléaires français dans le monde

Référence mondiale en matière de nucléaire, la France est logiquement l’un des principaux constructeurs de centrales à l’étranger. Partenaire du chinois China General Nuclear Power Corporation (CGN) dans la construction de deux réacteurs à Taishan (Chine), le français EDF est en passe de devenir l’unique exploitant nucléaire français suite à l’acquisition imminente de la filière nucléaire d’AREVA (AREVA NP). Le groupe tricolore espère livrer prochainement six EPR à Jaitapur, en Inde, et obtenir un marché de 18 milliards de livres pour en construire deux autres à Hinkley Point, en Angleterre. Mais c’est sur un autre continent que le potentiel de développement nucléaire est peut-être le plus grand : l’Afrique, où l’électricien français a participé entre 1976 et 1985 à la construction de la seule centrale en activité.

L’Hexagone vise pourtant le marché africain…

À Koeberg, près du Cap, l’Afrique du Sud possède deux réacteurs d’une capacité d’1,8 GW, qu’elle projette de compléter par huit unités supplémentaires de 9,6 GW situées à Pretoria d’ici 2030, d’après RFI. Prête à répondre à l’appel d’offres de 40 milliards d’euros, l’énergéticien EDF est en concurrence avec des groupes russe et chinois, qui lorgnent avec appétit sur le marché africain. Avec le déploiement d’autres projets dans le photovoltaïque, la biomasse, l’éolien et l’hydroélectrique en Côte d’Ivoire, au Cameroun, au Maroc et au Ghana, le groupe français EDF espère capter trois millions de clients en Afrique d’ici 2020 et faire passer de 5 à 15% la part de son chiffre d’affaires dans les pays en croissance. « L’Afrique représente une opportunité de marché. La Côte d’Ivoire est notre première cible, mais notre ambition est clairement de passer d’une dimension artisanale à une dimension internationale », déclare Valérie Levkov, responsable de la zone Afrique et Moyen-Orient chez EDF.

L’Afrique trace nettement son avenir nucléaire

Détenteur de 4,9% des réserves d’uranium dans le monde selon le CNRS, l’Afrique du Sud n’est pas le seul pays d’Afrique à nourrir une ambition nucléaire. Le Niger (7,9% de la production mondiale), le Ghana, l’Ouganda, mais aussi l’Algérie, le Maroc et la Tunisie affichent aujourd’hui leur appétence pour la filière atomique. Le coût peu élevé de l’électricité produite et l’absence d’émissions de CO2 en font une source d’énergie prisée pour répondre au faible taux électrification (environ deux-tiers des habitants) et au doublement de la population africaine d’ici 2050. Si la France fait figure de leader historique, la Russie a déjà annoncé la construction d’une centrale nucléaire en Égypte et signé un accord avec le Nigéria pour un projet qui devrait voir le jour à l’horizon 2025. De son côté, la Chine a mis la main sur la mine d’uranium d’Husab, en Namibie, et prévoit elle aussi d’inaugurer sa première centrale africaine en 2025 au Kenya.

Alors que l’Europe sort progressivement du nucléaire, l’Afrique et le reste du monde s’ouvrent à l’atome avec 63 projets en cours et 160 en prévision, selon la Société française d’énergie nucléaire. D’ici 2040, la capacité mondiale d’électricité d’origine nucléaire devrait même augmenter de 60%, d’après l’AIEA, permettant de supprimer 50% des émissions annuelles de CO2 en Corée du Sud, 12% au Japon, 10% aux États-Unis, 9% dans l’Union européenne et 8% en Chine.

(Avec LD, AIE et Knowdys Database)

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