Qui a dit que la Turquie en avait fini avec l’Afrique ?

[Africa Diligence] Dopés par sa «stratégie d’ouverture vers l’Afrique » les échanges commerciaux de la Turquie avec le continent noir ont connu un bond spectaculaire en 10 ans. Pour la période 2015-2019, un plan d’action conjoint a été adopté pour renforcer et diversifier les relations turco-africaines. Ankara est loin d’en avoir fini avec l’Afrique.

La présence turque en Afrique est le résultat d’une stratégie pensée et mûrie par des acteurs politiques et économiques influents. C’est eux qui ont amorcé le virage « africain » d’Ankara il y a plus d’une dizaine d’années. Devenue une puissance émergente, la Turquie voit en Afrique, un continent qui présente un potentiel remarquable grâce à l’émergence d’un marché de plus d’un milliard de consommateurs et des ressources naturelles exceptionnelles.

La nouvelle politique africaine de la Turquie remonte dans les années 2000 avec la préparation, en 2003, d’une stratégie de développement des relations économiques avec les pays africains par son sous-secrétariat d’État au Commerce extérieur. Dans la foulée, Ankara avait déclaré 2005 « Année de l’Afrique ». La même année, le pays obtenait le statut d’observateur au sein de l’Union africaine. Le premier Sommet de la Coopération turco-africaine tenu en 2008 à Istanbul a vu la participation de 50 pays africains. Il est considéré comme la concrétisation de la volonté de rapprochement des deux parties. C’est Recep Erdogan qui en a donné l’impulsion.

Depuis lors, de nombreuses entreprises turques, vectrices de ces nouvelles relations économiques et commerciales, se sont implantées en masse en Afrique. « Les demandes de conseils pour pénétrer le marché africain n’ont cessé de se multiplier, s’enthousiasmait en 2011, Rızanur Meral, le président de Tuskon, la Confédération des hommes d’affaires et des industriels de Turquie. Tukson est la plus grande organisation non gouvernementale turque du monde des affaires. Elle représente près de 35 000 hommes d’affaires et plus de 100 000 entreprises. Ces dernières opèrent notamment dans les secteurs de l’agroalimentaire, du textile, du transport et du BTP, et concurrencent férocement les entreprises marocaines et chinoises.

Le secteur de la construction constitue l’un des moteurs du partenariat économique avec l’Afrique. Les projets turcs, à travers toute l’Afrique, s’élèvent à 39 milliards USD. Ce chiffre correspond en réalité aux 21% du volume total de ce secteur dans ses activités internationales. La part de l’Afrique du Nord dans le volume global est de 19% d’après Knowdys Database.

Le secteur bancaire, avec son énorme potentiel de développement, figure également parmi les pépites d’Ankara en Afrique. La Turquie a, en effet, adhéré à Afreximbank et à la Banque africaine de développement en 2008, à la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) en 2005, à la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC) en 2010, au Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA) en 2012, et à la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) en 2013. Désormais, Ankara envisage ni plus ni moins que d’établir, d’ici à 2019, une zone de libre-échange avec l’EAC, matérialisée par une union douanière entre le Kenya, l’Ouganda, la Tanzanie, le Burundi et le Rwanda.

Le secteur aérien n’est pas en reste, avec en particulier Turkish Airlines, vingt-quatrième compagnie aérienne du monde, qui dessert une trentaine de destinations dans une vingtaine de pays africains. Dans sa conquête des marchés africains, précise Guy Gweth, Responsable de « Doing Business in Africa » à Centrale de Paris et enseignant de géostratégie et géoéconomie africaines à l’Université de Reims, « la compagnie Turkish Airlines joue un rôle stratégique de premier ordre : elle constitue les ailes, les yeux et les oreilles des intérêts turques en Afrique. »

Le volume des échanges commerciaux entre la Turquie et l’Afrique subsaharienne – Afrique du Sud et Nigeria en tête – a frôlé la barre des 20 milliards USD en 2009, plus du triple du niveau de 2003. Les exportations vers le sud du Sahara (10,2 milliards USD en 2009) représentaient alors plus de 10% du total turc. Depuis, elles n’ont cessé de progresser. Les investissements directs de la Turquie s’élèvent désormais à 6 milliards USD sur l’ensemble du continent.

La dernière tournée diplomatique de Recep Tayyip Erdogan, en qualité de Premier ministre, du 6 au 11 janvier 2013, au Gabon, au Niger et au Sénégal, était clairement placée sous le signe des échanges économiques et commerciaux. À cette occasion, Erdogan, qu’accompagnait une délégation de près de 300 hommes d’affaires turcs, a réitéré l’ambition de son pays d’atteindre 50 milliards USD de volume d’échanges commerciaux avec l’Afrique en 2018.

À l’occasion de la commémoration de la 52e Journée de l’Afrique, célébrée le 25 mai 2015, un colloque sur « Les opportunités d’investissement et les possibilités de coopération en Turquie et en Afrique » a été organisé à Ankara par la Commission des relations économiques extérieures (DEIK). Il était question de sensibiliser le monde des affaires turc aux nouvelles opportunités offertes par les marchés africains. Ankara est déterminé à renforcer sa coopération avec les pays africains, conformément à la déclaration et au plan de mise en œuvre conjointe adoptés lors du 2e Sommet du Partenariat Turquie-Afrique tenu à Malabo en novembre 2014.

Gaétan Awa