Une lampe au chevet des incubateurs de startups en Afrique noire

[Africa Diligence] Les incubateurs visent à transformer une idée innovante en entreprise performante. Présents à sa création et durant la vie de la société, leur vocation est de mettre à la disposition des porteurs de projet des services permettant de se lancer dans les meilleures conditions. En Afrique noire, ils concourent à la formation d’un écosystème propice à l’émergence et au développement de startups. Mais à quelles conditions ?

L’émergence tant attendue des pays de l’Afrique Subsaharienne passera nécessairement par l’existence d’un tissu de PME respectueux des canons de lisibilité, faisant la démonstration de la cohérence de leurs actions et témoignant de leur pertinence vis-à-vis des objectifs gouvernementaux. Cette vision top-down peine encore à épouser l’approche bottom-up des entrepreneurs et autres porteurs de projets sur le terrain. Le désalignement ainsi constaté obère les missions auto assignées de réduction de la pauvreté à un niveau socialement acceptable ; elle limite l’accès au statut de pays à revenus émergent ; elle freine ces pays dans leur entrée dans le cercle des Nouveaux Pays Industrialisés. Au surplus, elle ne contribue pas, à dues proportions des attentes, à l’objectif de consolidation du processus démocratique et de renforcement de l’unité nationale. Ce constat dessine les contours de l’écart stratégique qui existe entre, d’une part, le continuum « volonté affichée – volonté exprimée » des décideurs et d’autre part, la réalité vécue par les porteurs de projets. La nature ayant horreur du vide, des organisations privées affluent spontanément au chevet des économies nationales. Elles forment ainsi un écosystème qui a vocation à couvrir une diversité de profils d’entrepreneuriaux, parmi lesquels, l’entreprenariat social, l’entreprenariat technologique, les collaborations stratégiques, l’entrepreneuriat dans l’art, l’entrepreneuriat au féminin, le network marketing, les franchises, le life style entrepreneurship, l’entrepreneuriat ethnique, le serial entrepreneurship, l’entrepreneuriat rural ou encore le family business. Bien souvent, les dites organisations se structurent autour d’un écosystème porté par plusieurs axes de développement : L’enseignement de l’entrepreneuriat ; l’immersion au cœur du système de création d’entreprise ; le recours à des associations porteuses d’une diversité d’interactions et l’intégration des incubateurs. Cependant bon nombre d’incubateurs ne doivent leur existence qu’à du mimétisme.

Incuber des incubateurs

C’est dans cette dynamique que les incubateurs affichent la mission de développer la fibre entrepreneuriale qui s’exprime sur deux grands axes. L’on peut citer des incubateurs spécialisés à l’instar du CTIC de Dakar qui se focalise sur les NTIC ou encore les incubateurs généralistes à l’instar de celui de la BBS School of Management à Libreville. Cependant, malgré l’engouement démontré par certains incubateurs, leurs dirigeants oublient parfois le principe de base rappelé par Jean-Marie BADGA, Directeur général de l’Agence de Promotion des PME du Cameroun, « l’indicateur de performance d’un incubateur n’est pas le nombre de projets incubés ou le nombre de formations assurées ou financées. Le seul indicateur pertinent doit être le nombre d’entreprises et d’emplois réellement créés ». Les incubateurs restent un concept vague qui peine à s’opérationnaliser en Afrique Subsaharienne. En effet, les actions de promotion de l’esprit d’entreprise et de l’initiative privée, les encouragements des administrations en charge des questions d’éducation et de formation professionnelle, la création des clubs d’entrepreneuriat dans les collèges et même la mise en place des incubateurs dans les universités, les écoles de l’information publique ou privée, restent des initiatives isolées qui parfois marquent implicitement un effet de mode inavoué. Les dirigeants d’incubateurs ne sont pas toujours au fait des implications de leurs métiers. Ils ne mesurent pas assez le rôle qui est le leur dans l’économie en matière de création des champions nationaux capables d’exporter leurs produits et solutions. Le cycle de vie de l’incubation qui démarre par une pré-incubation, passe par le processus d’incubation proprement dit, pour se terminer par une post-incubation, n’est pas toujours maîtrisé, dans sa globalité par les chargés d’affaires et coach des dites institutions. Les porteurs de projets se montrent peu satisfaits des mesures d’accompagnement mises en place pour créer, développer ou renforcer les entreprises existantes. Ils déplorent des difficultés liées à l’accès à l’information relative aux opportunités d’affaires, aux procédures réglementaires et administratives, au financement, à la formation et à la coopération. Il est judicieux d’associer à ces écueils, des lacunes managériales et techniques faisant des porteurs du projet une catégorie d’acteurs fragiles et à part, quelquefois marginalisés par le système financier et bancaire. Les conséquences négatives sont nombreuses. L’on dénombre un taux de mortalité précoce très élevé des PME, un confinement d’une partie des PME dans le secteur informel et le rétrécissement des recettes fiscales qu’elles ont vocation à payer à l’État du fait de leur large évolution dans le secteur informel. Néanmoins, il existe une démarche permettant d’en faire un outil de développement économique pertinent.

Professionnaliser des incubateurs

L’opérationnalisation des incubateurs de startups vient à point nommé pour combler le déficit des structures d’encadrement des PME naissantes tant en amont dans leur phase de création, qu’en aval dans la phase de développement du processus en question. C’est dans ce contexte que les incubateurs devront rechercher les ressorts techniques nécessaires pour déployer efficacement leurs actions. Ces ressorts devront logiquement être déclinés des stratégies inter et intra sectorielles de déploiement des incubateurs. Il apparaît indispensable que les incubateurs se dotent d’outils pour l’efficience attendue de leurs actions. Parmi ces instruments, un plan d’affaires circonstancié est considéré comme un cadre de référence important pour planifier, dans le court et le moyen terme, le développement des startups, définir les moyens du financement de l’incubateur et le contenu de ses prestations. Les incubateurs devront préciser les bases institutionnelles, légales et réglementaires de leurs missions. Il leur reviendra d’établir les axes stratégiques de leur développement et les décliner en activités. Ils auront aussi à charge de préciser leurs moyens d’action, ainsi que les outils de suivi à partir du cadre logique des activités, résultats et indicateurs y relatifs. Les dirigeants des incubateurs élaboreront ainsi un cadre de dépenses relatif au plan opérationnel sur un horizon temporel prédéfini. Ils préciseront les relations utiles à développer avec les diverses administrations et organisations professionnelles œuvrant en faveur du développement d’une meilleure synergie d’actions des startups. Ce fonctionnement aura vocation à anticiper les changements de l’environnement pouvant impacter le développement des startups de divers ordres. L’évaluation des moyens financiers humains et infrastructurels dont les incubateurs devront se doter pour mener à bien leurs missions sera une mission centrale. Ils pourront ainsi formuler des objectifs de développement du secteur ; définir les axes stratégiques d’orientation des activités du secteur ; identifier les programmes et projets permettant d’élaborer un dispositif de mise en œuvre et de suivi – évaluation des projets ayant satisfait les points clés d’un processus d’incubation réussie. Le succès d’une incubation repose sur la conjonction de plusieurs facteurs. Il faut une stratégie adaptée, des objectifs clairement définis, l’éligibilité de la candidature du porteur du projet, le choix en amont des typologies de projets incubés, l’anticipation de la gestion de la propriété intellectuelle et des aspects juridiques de l’entreprise, la qualité du porteur du projet, la connaissance du marché adressé, un micro pilotage du projet et de son état d’avancement des opérations et, enfin, la préparation fine du projet de création d’entreprise. La stratégie ainsi définie devra intégrer un nom d’incubateur évocateur, une vision mobilisatrice, une structure juridique adaptée et une espace de travail contenant le local du responsable de l’incubateur et des fonctions supports. Cette stratégie définira les capacités d’accueil en simultané des porteurs de projets. La stratégie définira aussi les secteurs d’activité éligibles ainsi que les bénéficiaires des actions de l’incubateur. Ces derniers pourront par exemple être des étudiants et/ou des membres de corps enseignant, voire des salariés ou des demandeurs d’emploi. Ils justifieront de compétences « techniques attendues et de la volonté de créer une entreprise, voire de la nature innovante (technologique ou sociale) de leur idée initiale. La dite stratégie ainsi définie constituera un filtre de sélection des coach experts, de la détermination du processus de validation des track record, la définition des équipes de sourcing des projets, de l’élaboration des méthodes de présélection des projets, de l’identification des sources de financement, de la définition de la méthodologie d’accompagnement, de suivi et de post évaluation des projets. La stratégie de l’incubateur définira aussi le montant de l’allocation budgétaire globale, sa ventilation par typologie de projets, les processus d’intervention dans les programmes académiques et les objectifs de partenariats stratégiques avec des incubateurs étrangers.

Assainir des incubateurs

Les objectifs de l’incubateur devront être SMART (Spécifiques, Mesurables, Atteignables, Réalistes dans un Temps défini). Ils devront intégrer le nombre de projets instruits, le nombre de projets déclarés éligibles sur le plan technique, le plan d’affaires (aspects commerciaux, économiques, financiers, juridiques, propriété intellectuelle,..) y relatifs, ainsi que le processus de recherche des contacts industriels et des contacts financiers. Par ailleurs, une définition sans ambiguïté du nombre de projets pitchés (présentés en comité de sélection), de la typologie des partenaires et soutiens, du réseau d’acteurs de l’innovation, de la technologie et de l’intelligence économique constituera un gage supplémentaire de réussite. Les objectifs qui viennent d’être énumérés devront s’enrichir d’un dispositif de communication media, presse, livre, storytelling, web, etc. L’ossature du dossier de candidature, ainsi que la définition du cycle de vie des projets et du portefeuille d’opportunités, devra s’alimenter du processus d’enregistrement et d’archivage des dossiers de candidature. Une convention de confidentialité avec la date officielle de démarrage de la collaboration, sous réserve de validation de la sélection du dossier du porteur du projet par le comité d’engagement, devra obéir au processus d’instruction des dossiers de candidature. La finalité du dossier de candidature sera de s’assurer du bon respect des processus de présentation devant le comité d’engagement ; du processus d’information des conclusions de l’analyse d’un dossier de candidature et enfin du droit d’accès et de rectification, conformément à la loi, des informations qui seront contenues dans le dossier, tout au long de sa procédure d’examen. Cette méthode de travail conduira à une typologie permettant de maîtriser l’origine des projets, la nature (associatif, forte croissance, social business, etc.) du projet ainsi que le caractère innovant du produit/service. La démarche de propriété intellectuelle intégrera les objectifs de liberté d’exploitation des projets par les porteurs, d’engagements vis-à-vis des partenaires et autres porteurs de projet dans un cadre environnemental, normatif et législatif.

Le volet humain est central dans la réussite du processus d’incubation. Il influence le fonctionnement interne de l’incubateur en fixant la catégorisation socio-professionnelle (plage d’âge, genre, nationalité et situation personnelle) des porteurs de projet ainsi que les atouts attendus pour réussir dans l’incubateur. Les startups seront dès lors sensibilisées aux exigences macro-économiques (quantitatives et qualitatives) des marchés ciblés, aux délimitations du listing de produits et services qu’ils fournissent, vis-à-vis de l’environnement concurrentiel direct et indirect et aux tendances (court, moyen et long terme) de marchés éligibles. Dès lors, l’avancement et le planning prévisionnel des startups obéiront à une durée maximale d’incubation et à des conditions de prolongation de la période d’incubation à travers des points de contrôle (État d’avancement périodique) du projet. Ils seront adossés aux moyens matériels (désignation, montant et durée) et financier (désignation, montant et durée) engagés. Un planning prévisionnel chiffré des fonctions commerciales ; financement du haut du bas de bilan ; financement du haut de bilan ; juridiques ; management et organisation ; marketing ; innovation et technologie ; veille et intelligence économique ; partenariat et propriété intellectuelle sera arrêté. De ce point de vue, la nature de l’incubateur aura un impact sur le projet d’entreprise. Elle influencera sa forme juridique, son implantation géographique, sa taille, ses métiers (production, vente, assemblage, création, conception, etc.) éligibles. Elle pèsera sur son marché (urbain, régional, national, sous régional, etc.) à venir ; sa structure (coûts-bénéfices) à venir en matière de responsabilité sociale et environnementale, son modèle économique (métier, produit/service, proposition de valeur, segmentation clients, canaux de distribution, communication, approche commerciale, relation client et fidélisation, moyens nécessaires pour l’activité, partenaires industriels et commerciaux, activités clés, ressources clés, structure de coût, sources de revenus).

Mathias MONDO & Guy GWETH, Anciens de l’Executive Doctorate in Business Administration de l’Université Paris-Dauphine, enseignants à la BGFI Management School de Libreville