007 est-il une arme de guerre psychologique?

Comme lors de la parution début 2008 de Indiana Jones et le royaume du Crâne de cristal qui se déroule pendant la guerre froide avec un impitoyable ennemi russe incarné par Cate Blanchett, Quantum of Solace vient à son tour d’entrer sous les feux nourris du parti communiste de Saint-Pétersbourg, la deuxième force politique de la Douma, le parlement russe. Motifs : le premier film cité véhicule « une grossière propagande anti-soviétique » et le second est une opération de « guerre psychologique ». Après une brève définition de la guerre psychologique et un court voyage au cœur de Quantum of Solace, nous allons attentivement regarder si cette accusation bien de l’Est est recevable, et si elle mérite les sarcasmes dont les grands médias veulent la couvrir à l’Ouest…

Qu’est-ce que la guerre psychologique ?

La guerre psychologique est une action d’influence complexe visant à détruire la volonté de combat d’un ennemi ou d’un groupe hostile, à réduire ou annihiler sa capacité à poursuivre les hostilités. Action d’influence parce qu’elle travaille les perceptions de la cible avec comme objectif de la vaincre sans combattre. Action complexe car la guerre psychologique combine les symboles, l’éthique, la science, la technologie, le physique et le psychique. Ici, on est plus proche des stratèges chinois de l’école de Sun Zi pour qui la guerre est essentiellement « l’art de la tromperie ». Et on n’est pas si éloigné que cela de la doctrine américaine du Shaping the mind ou colonisation de la sphère des idées. Une opération psychologique (psyops) cible généralement un gouvernement, une organisation non-gouvernementale, tout ou partie d’une population. Son objectif stratégique est de frapper le cœur et le cerveau de l’adversaire afin de liquéfier son organisation en injectant avec finesse des demi-vérités, la suspicion, la haine, la défiance… entre le sommet et la base.

De quoi parle Quantum of Solace ?

Paru officiellement en Octobre 2008, Quantum of Solace (du réalisateur Marc Forster), 22e aventure cinématographique de James Bond est la suite directe de Casino Royal sorti un an plus tôt. Tiré d’une nouvelle de Ian Flemming (auteur britannique et ancien assistant dans les services secrets de sa Gracieuse Majesté à la veille de la 2è guerre mondiale), le film est baptisé Quantum of Solace le 24 janvier 2008, y compris pour les cinéphiles francophones, sauf au Québec où le titre est 007 Quantum. Le scénario révèle un James Bond (Daniel Graig) décidé à régler ses comptes à ceux qui ont contraint Vesper (sa compagne in Casino Royal) à le trahir. Dans sa quête de vengeance, Bond croise la route de Camille (incarné par Olga Kourylenko). Les deux ont un ennemi commun : une puissante organisation « écologiste » dirigé par un businessman impitoyable, Dominic Green (joué par Mathieu Almaric) dont la mission est le contrôle d’une source précieuse dans des contrées pauvres, en manipulant les dirigeants locaux, le 10 Downing Street et même la CIA. 007 doit faire face à la trahison de ses amis et à la férocité de l’ennemi.

L’accusation russe est-elle recevable ?

Lorsqu’on a regardé Quantum of Solace, on voit que les critiques des communistes russes sont exagérées, bien qu’ils aient pris la mesure du danger, ce qu’ils appellent « la contagion idéologique » véhiculé par le cinéma US. La « fatwa » lancée contre l’actrice ukrenienne Olga Kourylenko est grotesque. Même si « Chacun sait que la CIA et le MI-6 financent les films de James Bond dans le cadre d’une opération spéciale de guerre psychologique » contre la Russie (comme l’affirme Sergueï Malinkovitch, chef du Parti communisme à Saint-Pétersbourg), Quantum of Solace ne le révèle pas. Dans la vraie vie, la belle Olga Kourylenko qui incarne Camille est accusée de collaboration avec l’ennemi parce qu’elle joue aux côtés de l’espion britannique… Un revenez-y de la guerre froide? Le rouleau compresseur médiatique occidental -le Times en tête- ne pouvait que couvrir ces propos de ridicule. Pourtant, sous ces emportements russes, couve une vérité. L’ouverture en 1999 de l’Institute of Creative Technologies (ICT) a scellé l’alliance stratégique du Pentagone avec les studios hollywoodiens. Ce think tank qui bénéficie de la collaboration scientifique de l’Université de Californie du sud constitue un dispositif unique. Lors de son inauguration, le secrétaire à la défense de l’époque Louis Caldera déclarait « Nous n’avons jamais pu espérer bénéficier de l’expertise d’un Steven Spielberg ou d’autres professionnels de l’industrie du cinéma pour collaborer à des projets de l’armée… Le nouvel institut sera gagnant-gagnant pour tout le monde. » Il n’est pas inimaginable, face aux tensions entre Moscou et Washington, que le principe « gagnant-gagnant » de l’ICT soit activé, attendu que Hollywood est la continuation de la stratégie anglo-américaine par d’autres moyens.

Au final, ceux qui sont pressés de signer le livre des condoléances de l’hyperpuissance étasunienne devront s’armer de patience. Rien qu’en matière d’influence,  la machine de guerre émotionnelle et cognitive US pénètre  et colonise avec douceur tous les territoires où les GI’s ne peuvent aller de force,  précisément dans les cellules du cœur et du cerveau humains. Avec le libre consentement des victimes. Car c’est de  leur plein gré que les publics du monde entier (y compris les communistes de Saint-Pétersbourg) se constituent prisonniers des salles obscures, pendant quelques heures, pour savourer l’évangile selon Washington. On y raconte que « tous ceux qui arrivent à Hollywood ont rêvé ». Or tous ceux qui rêvent de Hollywood y sont déjà, l’instant d’un film…

Guy Gweth