Jean Ping dévoile son projet d’une nouvelle Afrique

Extrait de son interview accordée à France 24.
A paraitre ce 22.02.2008 sur la chaîne internationale

jping.jpg

Jean PING, Président de la Commission de l’Union Africaine

 

f24.png

M. Ulysse GOSSET.- Monsieur le Président, bonjour.

M. Jean PING.- Bonjour.

M. Ulysse GOSSET.- Votre élection à la tête de l’Union africaine, qui compte 53 membres, a fait quelques mécontents parmi lesquels le colonel Kadhafi, le numéro un libyen, et aussi le président sud-africain, Thabo Mbeki. Que répondez-vous à ces critiques, à ces mécontents, qui vous accusent encore une fois d’être “l’homme de la France” ?

M. Jean PING.- Je pense d’abord que tout cela, ce sont des clichés. Si vous êtes francophone, on vous taxe d’être “l’homme de la France”, si vous êtes anglophone, on le fera de la même façon. Je constate que l’on ne parle jamais de pro Africains. On parle de pro Français, de pro Américains, de pro ceci mais jamais de pro Africains. Or, si vous êtes élu, c’est que vous avez bénéficié de la confiance de vos électeurs qui sont les chefs d’Etat. En principe, vous devez d’abord être considéré comme un pro Africain. Je suis en tout un pan africaniste convaincu. Je pense donc que ces accusations ne sont pas particulièrement intéressantes.
D’ailleurs, j’ajoute au passage, qu’il me semble un peu exagéré de dire qu’il y a eu autant de d’obstacles. En réalité, c’est un peu plus compliqué que cela.

M. Ulysse GOSSET.- C’est vrai quand même que vous succédez à un francophone, le malien Konaré. C’est bien pour la francophonie, mais c’est vrai que d’autres pays auraient souhaité d’autres candidats, notamment Kadhafi voulait son propre candidat ?

M. Jean PING.- Oui, je crois que c’est exact. Quand je dis que c’est plus compliqué que cela, c’est parce qu’après un demi-siècle d’indépendance, arriver encore à voir l’Afrique à travers des clichés de francophones, d’anglophones, d’arabophones, est un peu un retour en arrière. Il faut aller de l’avant.

M. Ulysse GOSSET.- On voit quand même l’influence certaine du doyen de l’Afrique, le président du Gabon, que vous connaissez bien ?

M. Jean PING.- Oui, un candidat pour être élu a besoin d’être appuyé par son pays, a besoin d’être présenté, recommandé et appuyé par son pays. J’ai bénéficié de cela. Le Président Bongo, le doyen des chefs d’état africains a mis tout son poids dans la balance et a donné les moyens pour pouvoir entreprendre cette campagne. Cependant, cette dimension aussi importante soit elle doit être prise en compte à côté d’autres éléments, d’autres facteurs. Je pense que j’ai bénéficié, par rapport à d’autres candidats, de la présentation que vous venez de faire vous-même, c’est-à-dire, me semble-t-il, que je suis un peu plus connu.

M. Ulysse GOSSET.- Un diplomate d’expérience.

M. Jean PING.- Je pense que cela a beaucoup joué. La présidence de l’Assemblée générale des Nations Unies a fait que je me suis fait connaître par la totalité des présidents africains.

M. Ulysse GOSSET.- Quel est votre objectif numéro 1 ? Est-ce d’un mot réformer l’Union africaine dont on s’interroge parfois sur la capacité d’action ? On parle même de l’impuissance de l’Union Africaine. Quel est votre objectif premier ?

M. Jean PING.- Un audit a été commandité par mon prédécesseur. Il y a à l’intérieur de cet audit beaucoup de choses. Elles se résument à la nécessité de réformer. Je voudrais vous rappeler que l’Union Africaine, c’est beaucoup de choses.

M. Ulysse GOSSET.- C’est d’abord 53 pays, c’est énorme, et 1 milliard d’habitants.

M. Jean PING.- Cinquante-trois pays, 750 millions d’habitants et, d’ici 2020, l’Union Africaine comptera 1,4 milliard d’habitants. C’est autant que la Chine d’aujourd’hui. Ce n’est pas peu dire.

M. Ulysse GOSSET.- Réformer, cela veut par exemple créer un conseil des ministres à l’échelle de l’Afrique ?

M. Jean PING.- Réformer, c’est beaucoup de choses. On peut distinguer quatre ou cinq objectifs de l’Union Africaine. Ce sont d’abord les questions de paix et de sécurité que tout le monde connaît. C’est la partie la plus visible.

M. Ulysse GOSSET.- Et on va parler du Tchad tout à l’heure.

M. Jean PING.- On voit nos Casques verts au Soudan. On voit les troupes en Somalie, les troupes africaines à côté des Casques bleus de l’ONU. On voit nos émissaires au Kenya, Kofi Annan est, là, émissaire de l’Union Africaine.

M. Ulysse GOSSET.- Il va réussir ?

M. Jean PING.- J’en suis convaincu. Il faut qu’il réussisse. C’est un impératif.

Cette partie porte sur la paix et la sécurité mais nous avons les questions de développement. L’un des grands objectifs, c’est la question du développement. Ces questions, la lutte contre la pauvreté, la lutte contre la marginalisation du continent, les maladies, le VIH Sida, le paludisme, les épizooties, l’éducation, etc., sont importantes. Ce deuxième objectif est important.

J’ai l’intention de faire en sorte que l’Afrique marche sur ses deux jambes. Il y a la jambe politique, la paix, la sécurité, que tout le monde connaît. Il y a l’autre jambe, qui est importante, la partie développement que l’on connaît moins bien mais qu’il convient de relancer. Un exemple : le Népad. Il faut que le Népad devienne opérationnel. Il faut une tête, belle tête qui fasse en sorte que ces deux jambes marchent. Cette tête, ce sont les institutions de l’Union Africaine, qu’il faut aussi réformer.

Il y a la commission bien entendu. Il faut faire en sorte que cette commission marche, qu’elle devienne efficace, qu’elle travaille dans la transparence, que les pays qui nous donnent de l’argent sachent ce que l’on fait de leur argent. C’est la nécessité de rendre compte. Il y a d’autres objectifs.

M. Ulysse GOSSET.- Monsieur le Président, c’est le président du Gabon qui vous a donné ce surnom de “Mao” Comment réagissez-vous ?

M. Jean PING.- C’est exact. Pour la petite anecdote, j’avais remarqué que, quand le président Bongo était particulièrement content de moi, il m’appelait effectivement “Mao”. Normalement, il m’appelait Jean. Quand il était moins content, il m’appelait “Monsieur le ministre d’Etat”. Je savais voir, selon les appellations, lorsque le président était heureux ou l’était moins.

M. Ulysse GOSSET.- Ce surnom “Mao” rappelle vos origines chinoises, mais cela fait de vous aujourd’hui, un excellent médiateur pour dialoguer avec la Chine qui devient l’une des grandes puissances en Afrique.

M. Jean PING.- Oui. Vous savez, l’Afrique a plusieurs partenaires, le partenaire traditionnel de l’Afrique, en général, c’est l’Europe. Nous avons avec l’Europe des liens séculaires. L’Europe n’est séparée de l’Afrique que par les 15 kilomètres du détroit de Gibraltar et la mer Méditerranée, j’allais dire le “lac méditerranée”. Il y a donc entre l’Europe et l’Afrique des liens géographiques, économiques, culturels, si importants, qu’on peut penser que le Gabon, l’Afrique en générale, devrait s’arrimer à l’Europe qui est le partenaire le plus proche, le plus traditionnel.

Maintenant, la mondialisation veut que nous sortions des relations classiques, des relations entre partenaires, anciens colonisateurs et anciens colonisés. Il faut s’ouvrir au reste du monde. Cette ouverture est marquée par la présence, comme vous même venez de le voir, plus grande des Etats-Unis d’Amérique (le Président Bush est en train de visiter le continent africain), par le partenariat avec le Japon, avec la Chine, avec la Corée, avec l’Amérique latine, donc les partenariats se multiplient.

M. Ulysse GOSSET.- Votre philosophie, c’est d’abord : “Entendons-nous entre Africains”.

M. Jean PING.- J’ai dit : l’Afrique intervient immédiatement, à chaque fois qu’une crise est enregistrée quelque part. L’ONU arrive parfois 10 ans après. En Côte d’Ivoire, l’ONU est arrivée 10 ans après.