Stratégie de communication d’influence: comment Pékin défie Paris en Afrique centrale

Le texte qui suit vient répondre aux questions et remarques de plusieurs de nos  lectrices & lecteurs de France à la suite de notre analyse comparée des stratégies d’influence chinoise et française en Afrique centrale. Voici un bref résumé des conclusions de cette étude:

Tout au long de nos recherches, nous avons observé qu’il n’existe plus de frontières étanches entre politiques des Etats, stratégies des entreprises, protection de l’environnement et… attitudes de la société civile. Nous avons trouvé comme Thierry Libaert (1) que « si les stratégies européennes et Clausewitz en particulier, éprouvèrent quelques difficultés à élargir l’impact de leur théorie, c’est au travers des performances économiques du Sud-est asiatique que la stratégie militaire trouva son renouveau.» C’est ainsi que l’empire Chinois dans une « tactique du faible au fort » a su prendre à son compte la devise du concurrent et communiquer en toute « Liberté » -« Egalité » -« Fraternité » avec ses partenaires d’Afrique, défiant ainsi les groupes français sur un terrain qui, hier encore, constituait « le pré carré » de l’Elysée. Par une communication d’influence offensive, voire agressive, Pékin a tablé sur l’information dominance (pour reprendre la formule américaine consacrée), phase finale du Perception Management qui traduit « l’aboutissement du façonnage des perceptions individuelles et collectives » (2) de sa cible.

« Certes, le commerce entre l’hexagone et l’Afrique comme le révèle une étude précédente, dégage un solde positif de plus de 5 milliards d’euros en faveur de la France alors qu’avec la Chine, il est déficitaire de 10 milliards. De nombreux grands groupes français demeurent présents en Afrique, comme TOTAL, Bouygues, Bolloré, Castel , Areva, Air France (qui s’est maintenu à flot à un moment où ses concurrents étaient en difficulté grâce à sa présence en Afrique)… etc. Bien plus, la France dont la Banque Centrale n’est plus qu’une succursale de la Banque centrale européenne depuis l’euro, continue de contrôler à travers un service de son Trésor la politique monétaire de presque toutes ses anciennes colonies à travers le Franc CFA… » En somme, l’hexagone et ses entreprises continuent de disposer de quelques attaches en Afrique centrale. Mais pour combien de temps encore?

Aujourd’hui, le savoir s’impose comme la source et la forme ultime du pouvoir, son expression la plus raffinée (3). Si les entreprises françaises veulent rester compétitives en Afrique, elles doivent réclamer et obtenir de Paris l’élaboration d’une stratégie étatique de communication globale qui prenne en compte les savoirs accumulés sur la cible, la mondialisation de la concurrence… et surtout le plus grand respect des populations et des spécificités locales. L’Américain Harry Overstreet, dans son remarquable ouvrage L’art d’influencer la conduite humaine, déclarait: « l’action humaine naît de nos désirs fondamentaux… Et le meilleur conseil qu’on puisse offrir à ceux qui désirent influencer leurs semblables, aussi bien dans les affaires que dans la politique, c’est avant tout d’éveiller chez eux un ardent désir. » Le discours actuel de Paris est aux antipodes de cette vérité si simple.

Et pourquoi programmer une stratégie de communication globale? « La raison la plus évidente réside dans une nécessaire coordination, pour s’assurer que chacun dans l’organisation tire dans la même direction, ce qui est parfois facilité, spécifiant cette direction de façon aussi précise que possible. Les plans comme ils émergent de la programmation stratégique sous forme de programmes, de plannings, de budgets, etc., peuvent être des moyens primordiaux pour communiquer, non seulement des intentions stratégiques mais aussi ce que chaque individu dans l’organisation doit faire pour les réaliser. » (4) En sus de contribuer concrètement ainsi à la compétitivité des entreprises, la communication d’influence s’en trouvera plus valorisée en tant que ressort stratégique, vecteur d’intelligence collective. C’est plus que ce qu’entrevoyait déjà Fraser Seitle lorsqu’il affirmait en 1998 que « l’établissement d’objectifs, la formulation de stratégies et la planification sont essentiels en communication afin d’être considérés comme équivalents en statut aux autres composantes organisationnelles » (5), une thèse valable pour l’entreprise comme pour l’Etat moderne.

Guy Gweth, conseil en intelligence stratégique

 


[1] Thierry Libaert, Le plan de communication, Dunod, 2006

[2] Eric Delbecque, Individualisme et puissance : psychologie d’un malentendu, chapitre V de l’ouvrage collectif, « Les chemins de la puissance », Tatamis, 2007, sous la direction de Christian Harbulot et Didier Lucas

[3] Alvin Toffler, Les Nouveaux Pouvoirs : savoir, richesse et violence à la veille du XXIè siècle, Fayard, 1991

[4] Henry Mintzberg, Grandeur et décadence de la planification stratégique, Dunod, 1999

[5] Fraser Seitle, The practice of public relations, Practices Hall, 1998