10 clés pour comprendre et profiter du « Gabon Emergent »

Après les « Tigres » et les « Dragons » des années 80-90, les pays émergents apparaissent comme les acteurs économiques majeurs de cette première moitié de siècle. Alors que certaines capitales africaines mobilisent le concept d’émergence comme un slogan, d’autres le considèrent comme un objectif atteignable. Les analystes de Knowdys ont enquêté et décrypté la stratégie proposée par Ali Bongo. Ils ont identifié 10 clés pour comprendre et profiter du projet « Gabon Émergent ». Synthèse

Par Guy Gweth

De quel Gabon parle-t-on?

 Le Gabon qui va à la conquête de l’émergence est essentiellement confronté au déclin de la production pétrolière qui a structuré son économie depuis l’indépendance. Grâce au cours du pétrole, la croissance est restée à un niveau satisfaisant en 2011. Mais elle devrait décroitre en 2012 du fait de la baisse de la production et de la demande mondiale.  En 2025, les puits auront tari. Au-delà de ce principal facteur, il convient – au moins – de survoler rapidement la situation de l’Etat, ainsi que les forces et des faiblesses de son économie pour bien comprendre d’où part le Gabon.

L’Etat – A la disparition d’Omar Bongo en 2009, la plupart des investisseurs croient à l’incertitude. Normal, après 41 ans de pouvoir, le Vieux n’a pas désigné son dauphin. Du moins officiellement. Et celui qu’on appelle en coulisse « héritier naturel » n’est pas très populaire. Arrivé à la tête de l’Etat, Ali Bongo déploie une stratégie absolument inattendue à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. Depuis, le Gabon traite ses faiblesses et booste ses forces pour devenir un pays émergent en 2035.

Les forces – Le Gabon est le premier producteur mondial de manganèse, le deuxième producteur africain de bois et le quatrième producteur de pétrole en Afrique subsaharienne. Ayant hérité d’une réduction substantielle du niveau d’endettement public et extérieur du pays à la suite du remboursement anticipé, en 2008, de la dette du Gabon auprès du Club de Paris, Ali Bongo a entrepris de courageux efforts de diversification de l’économie.

Les faiblesses – Le Gabon demeure fortement dépendant du pétrole. L’or noir représente 77% des exportations, 64% des recettes de l’Etat et 52% du PIB. Or la production du pétrole va déclinant. L’épuisement des réserves est prévu à l’horizon 2025. Ensuite, l’environnement des affaires reste difficile et les capacités institutionnelles insuffisantes. Enfin, le coût élevé des facteurs de production reste élevé car lié à une énergie et à des infrastructures de transport encore défaillantes.

Qu’est-ce qu’un pays émergent ?

Aucune définition officielle du concept de « pays émergent », n’existe à ce jour qui fasse l’unanimité. Certaines définitions privilégient la nature des politiques économiques adoptées tandis que d’autres insistent sur la progression de la production, ou sur les trajectoires de développement engagés par un Etat. Ces définitions et les classements qui en découlent sont les résultats de luttes politiques qui ne sont pas étrangères à l’origine même du concept.

Origine – Le concept de « pays émergent » est apparu pour la première fois dans la littérature financière. A l’origine, il impliquait l’ouverture des marchés financiers de quelques pays en développement faisant l’objet d’intenses spéculations boursières. Les analystes de Knowdys estiment par exemple qu’au regard de sa croissance des 30 dernières années – et malgré un PIB par habitant encore assez bas – la Chine devrait abandonner sa casquette de « pays émergent » qui, jusqu’ici, lui a permet de jouir du titre de grande puissance sans les responsabilités qui vont avec.

Critères – Les indicateurs d’émergence ne font donc l’unanimité ni dans la communauté des économistes ni au sein des institutions financières internationales. Dans le cas du Gabon, les analystes de Knowdys ont retenu deux critères qui font tout même consensus parmi les experts : un pays est émergent s’il connait – sur le long terme – une forte croissance économique et une transformation dans le mode de financement de son économie. Ces deux critères ont le mérite de renvoyer aussi bien à la finance qu’à l’économie réelle. Le discours qui l’accompagne est composé de trois paramètres : le descriptif qui rend compte du taux de croissance, le prescriptif qui invite à la libéralisation des activités économiques et l’évolutif qui marque le passage d’une économie dirigée (comme l’a été le Gabon pendant un demi-siècle) à une économie ouverte aux échanges internationaux de capitaux, de services et de marchandises.

Exemples – Outre les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), les analystes de Knowdys considèrent les pays suivants comme émergents au 1er juin 2012 : Arabie Saoudite, Argentine, Chili, Colombie, Corée du Sud, Égypte, Hongrie, Indonésie, Israël, Jordanie, Malaisie, Mexique, Pakistan, Pérou, Philippines, Pologne, Singapour, Sri Lanka, Taïwan, Tchécoslovaquie, Thaïlande, Turquie, Venezuela. Les spécialistes ne reconnaissent cependant pas la qualité d’«émergents » à tous ces pays. En Afrique, le cas de Égypte notamment ne fait pas l’unanimité alors que d’autres analystes y ajoutent l’Algérie et le Maroc à la liste des pays émergents. D’autres pays comme la Corée du Sud, Israël ou Singapour sont en revanche considérés par certains économistes comme des pays plutôt développés. Au milieu de ce flou, le positionnement du Gabon est lisible dans la stratégie adoptée par Libreville pour parvenir à l’émergence en 2035.

 Quelle est la stratégie du Gabon?

Selon les mots du président Ali Bongo Ondimba, « le Gabon Emergent est constitué de trois piliers: le Gabon vert, le Gabon industriel et le Gabon des services. »

Le Gabon vert – D’après un rapport publié par le PNUE en 2011, les pays émergents (Chine, Inde et pays d’Amérique latine  notamment) développent leurs investissements dans les énergies renouvelables au point de supplanter des pays industrialisés. Rien qu’en 2010, les investissements mondiaux en énergies renouvelables ont atteint le niveau record de 211 milliards USD, soit un bond de 32 % par rapport à 2009. L’éolien arrive en tête avec 95 milliards USD d’investissements, suivi du solaire (86 milliards), de la biomasse et du recyclage des déchets (11 milliards).

Au Gabon, le gouvernement a entrepris de valoriser ses terres arables, ses 22 millions d’hectares de forêt et ses 800 km de littoral maritime. Le Gabon consacre jusqu’à 12% de son territoire aux parcs nationaux au titre de sa participation à l’effort mondial de préservation de l’environnement et de lutte contre le réchauffement climatique. Appartenant au bassin du Congo qui est le deuxième poumon de la planète, le pays entend soutenir cet effort en tenant compte des impératifs d’industrialisation du pays.

Le Gabon industriel – Les analyses comparées montrent que les pays émergents sont des pays en développement présentant un fort taux de croissance du PIB, un niveau relativement élevé d’industrialisation et d’exportation de produits industriels, un fort taux d’ouverture à l’extérieur et un marché intérieur en expansion.

Au Gabon, la stratégie d’industrialisation s’appuie sur la valorisation locale des matières premières. Grâce à la mise en exploitation de nouveaux gisements de manganèse, la dynamique entamée avec la production de ferromanganèse va notamment contribuer à consolider la construction de nouvelles bretelles de voies ferrées et à l’exploitation du minerai de fer de Belinga. Dans les prochaines années, les autorités comptent faire du Gabon un pôle métallurgique ayant un tissu compétitif d’entreprises exportant des produits à base de fer. Ce dispositif sera renforcé par un pôle pétrochimique et dynamisé par des sociétés de services offensivement tournées vers l’international.

Le Gabon des services – Les grands groupes internationaux sont unanimes pour reconnaitre que les pays émergents représentent dorénavant un relais de croissance pour les services. Selon une étude de la britannique Finaccord, la production des établissements de crédits à destination des seuls clients particuliers a doublé dans les pays émergents entre 2007 et 2011.

Au Gabon, la valorisation de « l’or gris » repose sur la valorisation des ressources humaines locales. Le gouvernement d’Ali Bongo s’est fixé pour ambition de faire du Gabon une position forte dont la vocation est de devenir une référence régionale dans des domaines des services financiers, de l’économie numérique, de l’économie verte, du e-learning et de la santé à distance notamment.

10 clés pour comprendre et en profiter

Sur les 28 critères passés au crible, les analystes de Knowdys ont retenu dix items pertinents permettant de tabler sur l’émergence réelle du Gabon en 2035, et ce quelle que soit la grille de définition adoptée.

  1. Le renforcement de la santé – La santé est l’un des axes prioritaires de la stratégie d’émergence du Gabon. C’est le secteur le plus sinistré du pays après celui de l’éducation. Un plan d’urgence a été lancé en décembre 2011 pour assainir ce secteur et améliorer les services rendus. Selon le Programme de lutte contre les infections sexuellement transmissibles et le Sida, la pandémie du VIH/sida est en régression. Au premier trimestre 2011, le Gabon comptait près de 37 000 personnes contaminées. Une enquête lancée fin 2011 permettra d’ actualiser les données.
  1. La spécialisation de l’éducation –  Bien que les données sur l’emploi et le chômage restent parcellaires, les autorités locales estiment à 30% le taux de chômage des jeunes de moins de 30. Ce taux particulièrement élevé résulte de l’inadéquation entre l’offre du système éducatif et les besoins du secteur productif : 54 % des offres d’emplois enregistrés par l’ONE concernent des profils de techniciens et techniciens supérieurs, alors que 64 % des demandeurs inscrits ne possèdent aucune formation professionnelle. Pour les analystes de Knowdys, ce décalage est à l’image de la structure de l’enseignement dans le pays. En rappel, 8 % des jeunes scolarisés sont inscrits dans un établissement d’enseignement technique et professionnel, contre 92 % dans les établissements d’enseignement général. Le niveau de l’emploi moderne structuré est estimé à 130 000 dont 60 % dans le public, sur une population active globale de 900 000 personnes. Les mesures prises par Libreville aux fins de réformer le cadre national pour l’emploi sont encourageantes. Les experts de Knowdys saluent notamment la création de Fonds visant à soutenir les réformes entreprises en matière d’emploi des jeunes, l’élaboration d’un système d’information dédié au marché du travail et la création de l’Observatoire national de l’emploi et de la formation.
  1. La valorisation du travail  – Le chômage touche 16 % de la population gabonaise dont 30 % de jeunes de moins de 30 ans. Pour y remédier, le gouvernement a lancé plusieurs actions, notamment des fonds spécifiques pour soutenir les réformes entreprises par l’Office national de l’emploi (ONE), ainsi que la mise en œuvre d’un projet de « e-emploi ». Ces mesures, auxquelles s’ajoutent les créations d’emplois générées par les investissements directs étrangers réalisés dans les ZES et le secteur minier (manganèse et fer), devraient stimuler l’emploi en 2012 et 2013, en particulier chez les jeunes. Le coût du travail, en revanche, est plus élevé que dans la plupart des pays de la CEMAC. Le Salaire minimum interprofessionnel garanti est de à 150 000 FCFA depuis 2010. Les analyses de Knowdys attestent que cette revalorisation a eu un impact négatif sur la compétitivité du pays au cours des 12 derniers mois.
  1. L’ouverture aux services – La stratégie du Gabon encourage par les investissements privés, tant nationaux qu’étrangers dans le cadre des Zones économiques spéciales. Le secteur tertiaire essentiellement constitué du tourisme, de l’hôtellerie et de la restauration a contribué à la croissance du PIB à hauteur de 25.4 % en 2011 contre 27.5 % en 2010. Cette sous-performance s’explique essentiellement par l’absence de rigueur dans la gestion de certaines entités financées par l’État, ainsi que par la fermeture des structures vétustes. Le secteur amorce cependant une remontée au premier semestre 2012, grâce à la réhabilitation des structures hôtelières engagées pour la CAN 2012 et au positionnement stratégique de Libreville comme un lieu d’organisation des grandes manifestations internationales telles que le New York Forum Africa 2012.
  1. Le développement des infrastructures – L’économie gabonaise pourrait rapidement monter en gamme si elle disposait d’infrastructures modernes. L’accès à l’électricité et à l’eau potable est un souci constant pour les entreprises et les populations gabonaises. Les autorités qui ont mis en place une agence de régulation de ce secteur invitent les investisseurs à s’y intéresser.

Dans le secteur de l’habitat, des projets de grande envergure sont prévus. C’est le cas des 10 000 logements que doit livrer l’indienne RPP infra projects, pour un montant de 163 milliards FCFA et des 5000 logements sociaux attendus de M3M, autre entreprise indienne, pour un montant d’environ 46 milliards FCFA. En septembre 2011, c’est International Development Corporation qui a signé un contrat de 600 milliards FCFA avec le gouvernement pour la construction de 5 000 logements.

  1. L’assainissement du climat des affaires – Selon le rapport Economic Freedom 2012, le Gabon occupe le 113ème rang sur 179 économies évaluées, soit un score de 56.4 contre 59.5 pour la moyenne mondiale. Sur la même période, le rapport du Doing Business place le Gabon au 156ème rang mondial sur 183 économies, soit un gain de 4 places par rapport à 2011. Les institutions de Bretton Woods relèvent des améliorations notables dans l’octroi de permis de construire, l’obtention des prêts et l’insolvabilité. Les analystes de Knowdys encouragent Libreville à soutenir cet effort afin de booster la création d’entreprises, le paiement des impôts, le commerce transfrontalier, la protection des investissements et le transfert de propriétés.
  1. La gestion des ressources naturelles – Au niveau international, le Gabon a signé plusieurs instruments dont le protocole de Kyoto et la convention cadre de l’ONU sur les changements climatiques. Au niveau national, le pays a mis en place une autorité nationale pour le Mécanisme de développement propre. Lancée en 2011, la campagne contre l’extraction illégale de ressources naturelles donne des résultats probants. Depuis 2010, il est strictement interdit d’exporter le bois sous forme de grume. L’objectif des autorités est clairement de soutenir la transformation des matières premières afin d’accroître la valeur ajoutée locale.
  1. L’activité diplomatique – La France est le premier partenaire économique du Gabon. Avec 150 entreprises, l’Hexagone représente 75% des investissements étrangers au Gabon. Rien qu’en 2011, les entreprises françaises ont investi 650 milliards de FCFA, créé 1200 emplois locaux et réalisé un chiffre d’affaires de 2300 milliards de FCFA. Cela n’empêche pourtant pas le gouvernement gabonais de diversifier ses partenariats. Depuis son investiture le 16 octobre 2009, Ali Bongo s’est déployé sur le front diplomatique en essayant de renforcer les liens de coopération et d’amitiés avec d’autres puissances occidentales et les pays émergents tels que la Chine, l’inde ou la Turquie. Le message est clair : plus que jamais, Libreville est prête à accueillir les tous investisseurs internationaux qui partagent ses valeurs et sa vision stratégique.
  1. L’intégration régionale – L’émergence du Gabon serait sans doute plus rapide si l’intégration de la Communauté Économique des États d’Afrique Centrale (CEEAC) était aussi avancée que la Communauté Est-Africaine (CEA). Bien que la règlementation en matière d’import-export soit harmonisée dans le cadre de la CEEAC, les échanges commerciaux avec les pays de la sous-région demeurent limités à l’importation de produits agricoles, en provenance du sud-Cameroun. Pour ce qui est des échanges extérieurs, le solde du compte courant hors transferts publics est resté positif à 8.8 % du PIB en 2011. Il devrait logiquement franchir la barre des 9.5 % du PIB en 2012. Les analystes de Knowdys espèrent vivement que, dans l’intérêt bien compris des Etats et du marché commun, les pays de la CEEAC suivront l’exemple de la CEA dans les meilleurs délais.
  1. La communication  – Libreville a intégré que tous les grands émergents ont une stratégie de communication, voire de guerre de l’information. Le gouvernement gabonais a réussi le tour de force de devenir la source d’information la plus crédible et la plus visible sur le Gabon, ce qui est rare en Afrique francophone. A travers son site officiel, les sites et blogs satellites, les réseaux sociaux et les magazines l’information relative au « Gabon Émergent » est diffusée avec sérieux et régularité à l’attention de la communauté nationale, des investisseurs étrangers et des touristes. Il reste à la décliner en plusieurs langues (anglais, arabe, chinois et espagnol notamment) pour permettre au plus grand nombre d’accéder à l’information dont ils ont besoin en vue comprendre et profiter du projet « Gabon Émergent ».

Un certain nombre de pays s’imposent désormais dans la mondialisation grâce à leurs performances dans les échanges internationaux de biens et des services. Ils ont des fonds souverains alimentés par les réserves de changes provenant des excédents commerciaux, ainsi que des multinationales dont l’ascension est fulgurante et agressive dans les opérations d’acquisitions notamment. A côté, le Gabon apparaît comme un chantier où tout est à faire. Mais depuis l’accession à la magistrature suprême d’Ali Bongo, les Gabonais et les investisseurs étrangers savent où ils vont, dans quel but, et avec quels moyens. De nombreux pays africains engagés dans la longue et exaltante voie de l’émergence pourraient s’inspirer du modèle gabonais pour partager leur vision, exposer leur stratégie et présenter leurs actions afin de permettre aux populations, aux entrepreneurs et aux investisseurs de mieux comprendre et d’en profiter.