Afrique : le jour où pétrole et pauvreté se sont dit « oui »

[Africa Diligence] Dans une interview exclusive à la chaine de télévision camerounaise STV, l’auteur de « 70 chroniques de guerre économique » raconte comment pétrole et pauvreté se sont mariés en Afrique sous la bénédiction de dirigeants corrompus. Pour le fondateur de Knowdys, les majors pétrolières sont prêtes à tout pour accroître leurs profits.

Mireille SAPJE : A qui profitent les ressources pétrolières africaines ?

Guy GWETH : Les ressources pétrolières africaines profitent prioritairement à ceux qui possèdent l’expertise et les infrastructures pour les identifier, les extraire, les traiter, les transformer et les distribuer. Il suffit d’analyser la chaine de valeur pour s’en convaincre. Elle tient dans un triptyque : il y a d’abord, le couple exploration/production, ensuite le duo raffinage/distribution et enfin la paire pétrochimie/polymère. 75% des profits des majors pétrolières proviennent de l’exploration et de la production. Quant au raffinage, les chiffres parlent d’eux-mêmes : l’Afrique ne traite que 3,5 millions de barils par jour contre 20 millions en Amérique du nord, 25 millions pour l’Europe-Eurasie et 30 millions en Asie-Pacifique. Regardez le cas du premier producteur africain. Avec près de 2,4 millions de barils par jour, le secteur pétrolier représente 2/3 des recettes du Nigéria. Mais comme la totalité des producteurs africains, le pays se contente de vendre du pétrole et d’importer des produits raffinés…

Comment comprendre la pauvreté qui gangrène l’Afrique, grande source pétrolière?

La pauvreté des populations locales tient essentiellement à la gouvernance et à l’intégrité des dirigeants. Il faut savoir que les majors pétrolières sont des machines de guerre prêtes à tout pour préserver leurs intérêts. Le chantage, la corruption des élites ou la pollution sans réparation de l’environnement dans le but de maximiser leurs gains font partie de leurs stratégies de conquête et d’expansion. Le laboratoire le plus emblématique de leurs pratiques en Afrique est le Delta du Niger, une région de 70 000 km², peuplée comme 1,5 fois le Cameroun, qui représente 75% des ressources pétrolières du Nigeria. En 50 ans, le pétrole y a généré plus de 600 milliards de FCFA de profit, mais dans quel état sont les populations ? Etranglées par le chômage endémique, affamées par la pollution de la faune et de la flore, elles sont aux prises avec l’air contaminé qui provoque une kyrielle de maladies respiratoires et cutanées. 60% vivent avec moins de 1000 FCFA par jour et les acteurs de la société civile qui se sont insurgés ont été supprimés à l’instar de l’écrivain Ken Saro-Wiwa exécuté le 10 novembre 1995.

Quelles sont les réelles difficultés du continent à se faire une place sur le marché international de l’or noir?

Le pétrole est un secteur hautement sensible qui commande des approches stratégiques coordonnées et extrêmement pointues. Pris isolément, les pays africains sont incapables de se battre à armes égales contre les majors du secteur. S’ils peuvent individuellement œuvrer à mettre leurs expertise et infrastructures à niveau dans la chaine de valeur ou créer et respecter des fonds dédiés aux générations futures, ce n’est que collectivement qu’ils peuvent affronter le marché avec de réelles chances de victoire. Il nous faut une organisation africaine des pays producteurs de pétrole dotée d’un vrai dispositif d’intelligence économique et stratégique. Songez qu’aujourd’hui, un Camerounais utilise 40% moins d’énergie qu’un Américain. En 2020, lorsqu’un terrien sur 5 vivra sur le continent, l’Afrique affichera une demande de l’ordre de 4,5 millions de barils de pétrole au compteur. C’est dire s’il est urgent d’agir dès à présent.

Les experts de Knowdys, leader du conseil en intelligence et due diligence en Afrique centrale et de l’Ouest interviennent régulièrement dans la presse écrite et audiovisuelle internationale. Mobilisés dans les colonnes des journaux et sur les plateaux de télévisions africaines et étrangères, ils sont appréciés pour leur regard à 360°, le caractère très documenté de leurs interventions et leur grande réactivité. Leurs analyses de la haute finance et de l’économie africaines, leurs décryptages de la géopolitique africaine et leurs décodages des menaces et opportunités des marchés africains constituent de précieuses sources pour les investisseurs et les journalistes exigeants. Parmi leurs références : Agence Ecofin, Africa24, BBC, Deutsch Welle, Emergence Afrique, Financial Afrik, Forbes Afrique, France2, Grioo, Infomédiaire, Investir au Cameroun, Les Afriques, L’Economiste, L’Expansion, Industrie du Maroc et RFI.