Boubacar Diarisso : « L’Afrique manque de leaders sérieux et charismatiques »

[Africa Diligence] Conseiller électoral à la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations-unies pour la stabilisation en Centrafrique (MINUSCA) à Bangui, le Sénégalais Boubacar Diarisso est bien placé pour parler des difficultés liées à l’émergence africaine. Diplômé d’études approfondies en sciences politiques à l’Université de Dakar et du 3ème cycle spécialisé de l’École des hautes internationales de Paris, il est sévère avec les leaders politiques africains.

Boubacar Diarisso est consultant en Gouvernance publique et en administration publique. Il intervient dans l’enseignement supérieur privé en Affaires internationales et en système d’intelligence économique. Il a assuré plusieurs séminaires dans ces matières en Master à l’Executive Center de l’École supérieure de commerce de Dakar (SUPDECO), à l’Institut africain de management (IAM) de Dakar, à l’Institut supérieur de management (ISM) et à Bordeaux École de Management (BEM) de Dakar.

Lors de la formulation du Document de Politique Économique et Sociale de l’État du Sénégal (DPES 2011-2015), il était le rapporteur du Groupe 8 (Bonne Gouvernance) coordonné par la délégation à la réforme de l’État et à l’assistance technique. Il a par ailleurs participé aux travaux du 11ème Plan d’orientation économique et sociale (PODES) dans la partie relative au Management de l’administration publique.

Durant ses missions de conseil, Boubacar Diarisso a contribué à l’élaboration du document de stratégie nationale de gouvernance (composante efficacité de l’Administration publique) piloté par le ministère chargé de la promotion de la bonne gouvernance du Sénégal. Il a également travaillé sur le profil des marchés criminels à Dakar avec Institute For Securities Studies (ISS Africa). Il en outre été consultant et assistant technique au sein du projet d’appui à la modernisation de l’état civil au Sénégal. Il a occupé pendant près de deux ans le poste de chargé de Programme Élections à l’USAID/PGP (Programme Gouvernance et Paix).

Boubacar Diarisso a été lauréat du Programme des subventions du Conseil pour le Développement à la Recherche en Sciences en Afrique (CODESRIA) en 2002 et lauréat du programme des bourses de formation à la recherche de l’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF) de 2004 à 2007 au Centre d’Études de l’Afrique Noire (CEAN), un laboratoire de l’Institut d’Études Politiques de Bordeaux.

Africa Diligence : Croyez-vous en l’émergence économique du continent africain ?

Boubacar Diarisso : Je crois fermement à l’émergence économique de l’Afrique. Le continent africain a toutes les potentialités pour être économiquement dynamique. L’Afrique a un potentiel humain et des ressources humaines qui font sa force. Le nombre d’intellectuels africains dans les universités américaines et les ingénieurs sortis des grandes écoles puis retenus après leurs études dans les grandes entreprises européennes montrent que l’Afrique n’est pas en reste sur les plans des idées, de la pensée et de la technicité. Il faut donner à ceux-ci la place qu’ils méritent pour qu’ils apportent leurs expériences et leurs expertises.

L’Afrique a toute la richesse qu’il faut pour ne pas dépendre de l’Occident. La richesse de sous-sol africain est un scandale géologique, a-t-on l’habitude de dire. Il suffit tout simplement d’exploiter les minerais avec intelligence et de les valoriser de manière efficiente et efficace. Malheureusement, le secteur est miné par la corruption avec l’implication des plus grands dignitaires politiques et militaires qui ne se soucient que de leur seul bien-être.

Qu’est ce qui manque à l’Afrique pour être émergente ? Rien ! À part de véritables leaders sérieux et patriotes. L’Afrique est malade de ses hommes politiques notamment de ses chefs d’État englués dans la patrimonialisation du pouvoir, le népotisme, la gabegie et le narcissisme politique personnel. Le problème de l’Afrique n’est pas un problème de vision mais d’hommes politiques capables de porter des projets novateurs et pertinents.

Il n’y a pas de pays sous-développés mais des hommes et des femmes sous-développés qu’on a longtemps endormis dans l’obscurantisme pour préserver des pouvoirs politiques et religieux toujours entretenus dans la mystification. Le savoir n’appartient à personne, à aucune race, à aucune nationalité, à aucun peuple. La première tablette tactile africaine conçue par un Congolais qui sera commercialisée en Europe et en Inde, n’est-elle une production de savoirs d’un africain ? L’astrophysicien malien qui a piloté le vol vers Mars de la sonde Pathfinder pour la NASA, n’est-il pas Africain ? L’émergence du continent africain est une question politique qui appelle des réponses de politiques économiques viables. Elle passe par la conception de politiques publiques pertinentes profitables aux populations.

S’il fallait vous aider à contribuer au développement rapide de l’Afrique, quels leviers pourrait-on activer ?

Je mettrais d’abord l’accent sur le développement de l’agriculture afin d’atteindre l’autosuffisance alimentaire et régler les problèmes du primun vivere car un peuple qui a faim n’a pas le temps de la réflexion. Ensuite, je veillerais à un développement industriel dynamique basé en partie sur un transfert de technologie assorti d’une condition primordiale de transfert de connaissances et de savoir-faire pour éviter de dépendre toujours de la maintenance du pays fournisseur. Enfin, je mettrais l’accent sur des institutions fortes. L’économie institutionnelle a montré qu’en plus de la richesse, du capital humain et de l’innovation technologique, il faut réfléchir sur la nature des institutions, leur fonctionnement mais aussi et surtout rechercher les causes pour lesquelles, elles peuvent être un frein au développement économique et social.

Si vous vous retrouviez à la tête de votre pays, dans les 24 heures, quelles seraient vos trois premières décisions ?

Premièrement, je restaurerais l’autorité de l’État dépouillée de tout chantage de quelque corps social que ce soit par une déclaration ferme afin que nul n’en ignore. Deuxièmement, je prendrais des mesures pour instaurer la discipline à l’image du Ghana de Jerry Rawlings, ou de la Chine qui a tout acquis par la discipline de son peuple. Troisièmement, j’appellerais à un dialogue politique et social franc afin d’impulser et de libérer toutes les forces vives de la nation.

Propos recueillis par la Rédaction

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