Alex Gustave Azebaze : « Une nouvelle élite africaine peut inverser la tendance »

[Africa Diligence] Sa vie pourrait constituer un chapitre de roman politique. Militant social et journaliste engagé, Alex Gustave Azebaze a forgé sa trajectoire en réaction aux injustices dont il a été témoin, aussi bien durant ses études, qu’au sein des partis politiques où il a milité. Malgré son envie de croire spontanément en l’émergence de l’Afrique, il freine devant la qualité du personnel politique. Pour lui, une nouvelle élite doit voir le jour sur le continent.

Licencié en droit public, il a fait des études de sciences politiques et relations internationales à l’ancienne Université de Yaoundé. À l’annonce du retour du Cameroun au pluralisme politique, et au regard de la chasse à l’étudiant libre qui avait pris corps sur le campus, explique-t-il, il interrompt son cycle de Maîtrise en Droit public pour s’engager avec « les forces démocratiques et civiles naissantes ». Il adhère alors à l’association civile Cap Liberté et à l’organisation politique Convention Libérale pour participer au mouvement de revendication populaire d’une conférence nationale des forces vives camerounaises en vue de la définition consensuelle des modalités de la nouvelle transition annoncée au Cameroun.

Sentant une fibre militante germer, Alex Gustave Azebaze va alors se rapprocher du Mouvement progressiste nouvellement créé par M. Jean Jacques Ekindi, leader démissionnaire du RDPC, parti au pouvoir dans le département du Wouri. Il va ainsi participer à ses côtés à la campagne pour la toute première élection présidentielle pluraliste du 11 octobre 1992. Mais, en raison d’un désaccord stratégique avec son candidat, il va à nouveau se retirer de ce parti politique dont il n’avait pas encore pris formellement la carte de membre. « Ce fut ainsi mon dernier engagement partisan, du moins dans une formation politique » précise-t-il.

Il va opérer un virage à 180 degré en s’engageant autrement, notamment en se faisant recruter comme collaborateur dans le périodique d’informations économiques La Sentinelle. Un changement davantage dû à son engagement socio-républicain qu’au souci de construire une carrière professionnelle classique, soutient-il. Un choix également dicté par ses premières options post Baccalauréat Lettres et Philosophie. « Comme tous les jeunes de cette époque, le seul concours d’accès à une grande école de formation professionnelle que je fis, alors que j’étais en Terminale, était l’ESSTIC. La seule école supérieure nationale formant au journalisme. »

Admissible parmi la centaine des quelques 500 candidats ayant présenté ce concours, il fut « admis » comme n°1 de la liste d’attente des 23 candidats déclarés définitivement par le ministère de l’enseignement supérieur et celui de la fonction publique. Mais une fois encore, le destin ne lui sourit pas. Il ne sera pas reçu définitivement. « Je compris qu’il y avait quelque chose de fondamentalement vicié dans le système de recrutement des cadres supérieurs du Cameroun. Et je décidai alors de faire des études de droit des institutions publiques afin de contribuer un jour au changement de ce système public inique qui, derrière le principe de l’équilibre régional institué, semblait, à la place du mérite, privilégier d’autres critères non légaux tels la proximité avec des élites gouvernementales ; la corruption  voire la préférence ethnique. »

Depuis son entrée dans une salle de rédaction, l’essentiel de son travail s’est basé sur ce substrat et a forgé son engagement professionnel, social et civique pour une République aux valeurs partagées de justice sociale, de démocratie où les libertés individuelles sont la pierre angulaire du système social, économique et politique. Aussi ajoute-t-il « je m’y exerce, professionnellement et bénévolement, sur la base de mon expérience militante et de mes certifications diverses. »

Après 12 années au sein principal journal indépendant du Cameroun (1994-2006), Alex Gustave Azebaze s’est installé en indépendant, l’esprit libre et déterminé à utiliser son expérience pour promouvoir partout où besoin est les bonnes pratiques politiques et gouvernantes. « Je le fais depuis lors de manière individuelle – comme personnalité indépendante – ou dans des groupes civils divers » précise-t-il avant de répondre à nos questions.

Africa Diligence : Croyez-vous en l’émergence économique du continent africain ?

Alex Gustave Azebaze : Oui, en raison de l’extraordinaire potentiel humain de notre continent. L’Afrique a une population jeune, diversifiée en race, genre et ouverte sur le monde. Notre continent a un potentiel naturel diversifié, autant sur le plan climatique que des ressources du sol et du sous-sol. Notre continent est insolemment riche. Cela ne peut demeurer une fatalité que si son élite dirigeante et intellectuelle se montre si dramatiquement incapable de l’organiser et mobiliser ces ressources dans son intérêt propre en premier et celui de l’humanité toute ensuite.

Mais au regard de la situation sociale, économique et politique actuelle, il y a lieu d’être pessimiste. Si une nouvelle élite ne s’organise pas à inverser la tendance actuelle marquée par de mauvais résultats permanents et collectifs. Ces derniers peuvent largement s’expliquer par les modalités archaïques de structuration du leadership politique. L’organisation actuelle donne très peu de place à la rationalité et à la transparence des processus publics.

La détermination des politiques publiques et des modèles de gestion demeurent trop enserrée dans des atavismes socio-culturels nocifs tels que : l’absence de système éducatif favorisant une compétition saine au sein de la jeunesse ; le refus des élites postcoloniales notamment dirigeantes à capaciter les populations pétrifiées par ce système afin qu’elles jouent un rôle plus accru dans la définition des politiques globales et naturellement économiques. Enfin, la grande faiblesse des mécanismes de contrôle et d’évaluation de l’action publique laisse prospérer un champ où les aléas divers encouragent peu l’investissement privé national et les investissements directs étrangers.

Bref, l’essentiel de l’élite politico-administrative peine à conserver une indépendance intellectuelle et morale parce qu’issue de la bureaucratie administrative coloniale et postcoloniale. De fait, elle développe des institutions et entretient des pratiques inefficaces très peu soumises à l’exigence de performance individuelle et collective. De même cette administration, parce que trop centralisée et rigide, reste trop éloignée des paradigmes d’efficience professionnelle désormais communs à tous les systèmes marqués par l’ouverture des marchés et de la concurrence internationale.

Enfin la taille des marchés nationaux, enfermés dans des frontières à l’équerre issues de la colonisation, me semble très réduite pour la réalisation dans ces espaces d’investissements économiques à rentabilité forte à moyen terme, malgré l’existence d’une main d’œuvre bon marché et potentiellement qualifiée.

S’il fallait vous aider à contribuer au développement rapide de l’Afrique, quels leviers pourrait-on activer ?

Outre le recensement de toutes les expertises professionnelles dans divers domaines d’activités économiques et sociales, il faudrait outiller techniquement, financièrement et économiquement  les acteurs civils et médiatiques afin qu’ils assurent très rigoureusement leur rôle de veille et d’aiguillon des acteurs étatiques. Des entreprises médiatiques puissantes, à l’indépendance financière et économique solide, couvrant les secteurs économiques et de gouvernance publique de manière rigoureuse peuvent, en effet, être un levier essentiel pour limiter l’irresponsabilité généralisée des dirigeants publics et privés. Un tel effort doit consister à installer les acteurs médiatiques libres, pour la plupart beaucoup plus volontaires et bénévoles, là où ils auraient dû être des opérateurs économiques et sociaux forts, à échapper à la précarité économique qui les expose à toutes sortes de manipulation de l’élite gouvernante et financière. Je connais de nombreux acteurs sociaux qui sont prêts à s’engager davantage pour cet objectif de développement intégral de l’Afrique pour le bien-être de ses populations afin de créer une masse critique devant limiter la toute-puissance des cercles concentriques de la bureaucratie administrative. Il faut davantage développer des coalitions civiles, intellectuelles et médiatiques faisant la promotion des bonnes pratiques en matière de gouvernance politique et économique, à la fois  privée et publique mais surtout indépendantes des politiques établies. Des think thank africains, tournés sur l’Afrique avec des consultants africains indépendants, me semble nécessaire pour résister aux reflux actuellement observés du fait des déceptions de la coopération internationale traditionnelle.

Si vous étiez élu chef de l’État de votre pays dans les 24 heures, quelles seraient vos trois premières décisions ?

Humm ! Je n’avais jamais franchement réfléchi à cette hypothèse d’être président de la république de but en blanc. Et pourtant parce qu’elle m’est posée, votre question me permet tout simplement de dire quelles pourraient, de mon point de vue de citoyen et acteur civil et social attentif, être les mesures essentielles et prioritaires pour tout chef d’État ayant à cœur de faire entrer son pays dans l’ère de l’efficacité des politiques publiques.

De prime abord, il faudrait reformer véritablement le système public institutionnel sans avoir crainte qu’il ne se casse. Car, c’est précisément la tendance actuelle à maintenir une stabilité politique de façade – peu ou pas du tout – assise sur des institutions soumises aux contrôles et évaluations quotidiennes et périodiques rigoureuses, qui fermente les inefficacités ci-haut indiquées. Qu’est-ce que je veux dire ? Il faut engager et réaliser le plus rapidement possible – en tout cas dans la première année d’un mandat de 5 ans – la réforme de l’Administration Publique afin de la rendre performante et surtout au service de l’intérêt général et national. Cela induit de supprimer toutes les lois et réglementations qui permettent au chef de l’Exécutif de désigner sans aucune consultation/concertation publique ou institutionnelle, les responsables politiques et opérationnels de l’État que sont les ministres et leurs collaborateurs techniques ; les responsables des diverses agences gouvernementales ; les représentants de l’État auprès des pays étrangers et des organisations internationales et régionales. En conséquence, il sera naturellement institué les auditions devant les chambres/commissions parlementaires spécialisées des responsables pressentis. Ce mécanisme renforcerait la transparence  du processus de sélection des dirigeants de l’État de même que la redevabilité publique de ceux et celles qui sont sélectionnés.

Deuxio : il faudra prendre des mesures politiques pour envoyer le message fort selon lequel la corruption dans l’Administration et du système économique ne sera plus tolérée. D’une part, une loi spéciale sera prise pour demander aux dirigeants passés des administrations et agences gouvernementales de déclarer leurs avoirs et, au besoin amnistier ceux qui, ayant des biens disproportionnés par rapport à leurs revenus réels et traçables, s’engagent à en restituer le surplus à l’État. Seuls ceux qui ne s’y conformeront pas dans un délai de 3 mois seront poursuivis par la justice criminelle pour enrichissement illicite et/ou corruption. Parallèlement, des brigades robustes de contrôle de l’exécution des ressources issues du budget de l’État et des contrats publics seront érigées par la loi comme principal instrument de guerre quotidienne pour prévenir et lutter contre le fléau qui détruit l’initiative économique régulière dans nos pays. Ces brigades d’élites surmotivées seront composées des cadres supérieurs en finances publiques et de la police financière fortement encouragés par des salaires importants, notamment du même niveau que ceux de leurs collègues du privé, avec possibilité de commissions sur résultats.

Tercio : il faudra naturellement reformer le système électoral dans les deux premières années afin de rassurer les acteurs politiques de l’engagement du nouvel Exécutif à un process transparent et inclusif de participation à la vie politique du pays. Dans le même sillage, une réforme de la forme de l’État devra renforcer la gestion locale du système éducatif, sanitaire, de l’assainissement urbain et des infrastructures de communication et de télécommunications modernes. Dans le même temps, en se référant au modèle de loi élaborée par les experts des médias, des droits de l’homme et des universitaires réunis en 2012 par l’Union Africaine, une loi spécifique garantissant le libre accès aux informations publiques – Freedom of Information Act – sera soumise au parlement. Celle-ci, une fois adoptée et promulguée, va obliger tous les gestionnaires des services publics ou des concessions de service public à répondre, sous peine de sanction, à toute demande d’information par les médias, la société civile et les citoyens dans leur domaine d’activités. Une telle loi assurera à coup sûr une véritable transparence de la gestion des affaires publiques.

Une loi réprimant les actes de tribalisme et toutes sortes de discriminations dans les services publics sera élaborée et soumise à l’adoption parlementaire dans les premiers mois du mandat. Promulguée dès son adoption, elle devrait favoriser le sentiment d’égalité citoyenne et d’intégration nationale.

Il sera procédé dans les deux premières années du mandat à une évaluation indépendante de la mise en œuvre de la politique dite d’équilibre régional afin d’arrêter une politique plus juste et transparente de promotion des cadres et agents publics. Une telle réforme devrait aboutir à la limitation des secteurs concernés par cette pratique qui cristallise depuis des années des frustrations ainsi qu’une idée très clientéliste de l’État. De même un délai probatoire de 10 ans maximum devrait être arrêté pour sa mise en œuvre exclusivement en faveur des jeunes issus des familles vivant en dessous du seuil de la pauvreté tel qu’édicté par le PNUD.

Enfin, dans le domaine social, il sera créé, dès la première année, une assurance maladie pour les jeunes non actifs, les seniors inactifs, ainsi que pour certaines catégories limitées des personnes vulnérables. L’éducation primaire gratuite sera instituée grâce à une allocation budgétaire conséquente dans le primaire. Des bourses d’encouragement aux meilleurs élèves de fin du secondaire seront instituées pour les jeunes issus des familles ayant des ressources en dessous du seuil de la pauvreté. Cette assurance sera financée par des prélèvements de l’ordre de 1% sur les ressources issues de l’exploitation des ressources naturelles du sous-sol (gaz, pétrole, mines) et du sol (forêt).

Dans le domaine économique, une réforme fiscale et des réglementations du travail sera mise en place dans les 100 premiers jours pour favoriser l’investissement privé national et international, et créer des emplois massifs dans les secteurs productifs. Ainsi, une partie de la déshérence sociale qui fait le terreau de tous les extrémismes et prosélytismes religieux et autres populismes politiques serait  jugulée.

Une conférence des forces vives sera organisée dans les 3 premiers mois du mandat pour faire acter par le pays ces réformes essentielles vivant au relèvement moral, économique et social du pays.

Propos recueillis par la Rédaction

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