Economie | L’Afrique Noire est bien partie !

René Dumont, qui avait anticipé dans « L’Afrique noire est mal partie » les maux dont souffrirait le continent, en resterait coi. Face au dynamisme économique d’une diagonale s’étendant du Ghana au Mozambique, la Banque mondiale, pourtant toujours mesurée, annonce que “l’Afrique pourrait connaître un décollage économique comme la Chine il y a 30 ans ou l’Inde il y a 20 ans”.

Pourtant la vision européenne, focalisée sur les BRICS et mâtinée d’afro-pessimisme, garde en mémoire les errances du continent survenues après les indépendances des années 60 jusque dans les années 90. Malgré les rapports comme « L’Heure des lions » de McKinsey soulignant les 5 % de croissance annuels entre 2000 et 2009 et la prochaine accession de pays dans le groupe des émergents, le focus sur les poches de pauvreté, l’instabilité politique ou la démographie incontrôlée l’emporte encore. Une analyse plus fine et moins dogmatique démontre cependant que le fataliste “That’s Africa”, expression consacrée pour le “continent perdu”, est sur le point de tomber aux oubliettes de l’histoire. Et pour cause…

Quelque chose ne colle pas. Le visiteur du premier “mall” (centre commercial) d’Afrique de l’Ouest ouvert à Accra au Ghana, sur le modèle de ceux qui existent déjà à Nairobi au Kenya, restera perplexe. L’observateur du marché d’Onitsha au Nigeria – dans lequel se rendent quotidiennement jusqu’à 3 millions de personnes pour acheter du riz, des ordinateurs et des équipements de construction – aura des doutes.

L’activité économique et le parfum de frénésie consumériste ne correspondent en rien aux schémas occidentaux concernant l’Afrique. Par le passé, le continent s’est plus illustré par la mauvaise gouvernance, l’instabilité politique, la démographie incontrôlée, la fuite de capitaux ou l’absence totale d’échanges internationaux. Le potentiel est pourtant bien réel. Jim O’Neill, chef économiste chez Goldman Sachs, inventeur de l’acronyme “Bric”, estime que le Nigeria et ses 150 millions d’habitants actuels, “s’il ne fait pas de bêtises”, pourrait bien peser plus lourd que le Canada ou l’Italie en 2050. Presque demain. Alors même que les handicaps du continent sont encore légion et donnent du grain à moudre aux défaitistes.

Mosaïque confuse

Un regard biaisé tout d’abord dû au fait qu’il existe plusieurs Afriques. “L’Afrique de l’Ouest n’est pas aussi évoluée que l’Afrique de l’Est, qui est elle-même en retard sur l’Afrique australe ou le Maghreb”, distingue Hélène Quenot-Suarez, assistante de recherche à l’IFRI. En outre, les pays qui sortent de la guerre comme le Libéria, le Mozambique ou la Sierra Leone vont très vite parce qu’ils se reconstruisent.

Les investisseurs font bien la différence et classent à part les zones tempérées que sont l’Afrique du Sud et les pays méditerranéens, dont la croissance est plus faible mais plus solide”, précise Lionel Zinsou, président du fonds PAI Partners. Les 53 pays ne sont pas logés à la même enseigne et les trois quarts des investissements étrangers sont tournés vers 10 pays d’Afrique uniquement. Des disparités qui se retrouvent aussi à l’intérieur des frontières selon Hélène Quenot-Suarez : “l’Afrique vit un développement “en chapelet”, au travers du réseau de ses grandes villes millionnaires où vit 40 % de la population, quand les campagnes ne sont pas du tout intégrées. La productivité est supérieure dans les villes, les coûts de transports moins élevés et les marchés plus viables.”

De surcroît les liaisons restent difficiles entre les régions dynamiques. Parfaite illustration, le Niger comprend deux grandes villes, Niamey et Zinder, distantes de 1 000 kilomètres et reliées par une route en mauvais état. Les frontières tracées à la main lors de la colonisation ne facilitent pas non plus les collaborations. Les liens sont malaisés entre les régions actives, recouvrant des ethnies, cultures et religions différentes à l’intérieur des frontières. Au Bénin ou au Togo subsistent par exemple des blocages entre le Sud chrétien tourné vers la mer et le Nord musulman tourné vers la terre.

Défis en apparence insurmontables

L’hétérogénéité du contient le rend difficilement compréhensible. L’œil occidental est aussi trompé par la multiplicité des défis en apparence insurmontables. En matière d’instabilité politique tout d’abord. Les souvenirs des guerres civiles soutenues par les deux camps de la guerre froide, le génocide rwandais, la famine somalienne ou le conflit à rallonge angolais restent marqués dans les mémoires. La démocratie a encore du mal à prendre racine, à l’exemple des élections tendues en république démocratique du Congo (RDC).

Des bastions de violences religieuses au Nigéria ou autocratiques au Zimbabwe sont encore vecteurs d’instabilité. L’épée de Damoclès d’une démographie incontrôlée menace aussi le continent. Avec des taux de natalité qui diminuent en Asie et en Amérique du Sud, la moitié de l’augmentation de population attendue pour les 40 prochaines années proviendra d’Afrique. Encore en transition démographique avec une mortalité en baisse et une natalité florissante, le continent passera de 1 à 2 milliards d’individus et profitera d’un nombre considérable de jeunes actifs.

Ce “dividende démographique”, qui a été un des piliers du décollage asiatique, ne sera positif que si les nouveaux venus pourront être nourris et éduqués. “Le Niger, qui va doubler sa population en très peu de temps, n’est pas encore autosuffisant alimentairement”, s’alarme Hélène Quenot-Suarez. Autre point noir, la culture business s’est développée en Afrique du Sud, Maroc, Egypte ou Kenya, “mais corruption et lois contre-productives sont encore d’actualité”, relève Hélène Quenot-Suarez.

Les taux d’emprunts prohibitifs dus à une inflation galopante n’aident en rien. De plus, “il manque encore bien souvent aux banquiers de ces pays une culture de l’accompagnement”, observe Barthélémy Faye, avocat associé chez Cleary Gottlieb. Enfin, l’héritage du passé reste un boulet au pied de l’Afrique en éveil, qui se cantonne à 2 % du commerce international. Le continent ne dirige que 13 % de ses exportations vers lui-même, contre 50 % pour l’Asie ou 70 % pour l’Europe.

Il est plus spécialisé dans le secteur primaire et tertiaire que dans le secondaire, “dans une division coloniale du travail où les pays exportent des matières brutes et importent des produits transformés”, déplore Lionel Zinsou. Les émeutes de la faim il y a 3 ans sont venues rappeler que de mauvaises conditions de marché ou des aléas climatiques pouvaient enrayer la mécanique. Enfin “l’Afrique a pendant longtemps contribué à financer le reste du monde. Des capitaux en sont sortis jusque dans les années 2000, par les remboursements de crédits, l’envoi de dividendes et l’argent de la corruption”, énumère le président de PAI Partners.

Jours nouveaux

Le tableau peu reluisant dessiné par les Occidentaux, qui se souviennent d’une croissance en trompe l’œil au lendemain des indépendances, ne semble donc pas relever uniquement du fantasme. “La moyenne africaine de l’IDH – indice composite qui prend en compte le niveau de vie, l’éducation ou la durée de vie – stagne à 0,4-0,5, contre 0,7 pour la moyenne mondiale. Le Tchad, l’Angola ou la Guinée Equatoriale n’ont pas de meilleurs scores malgré leur riche sous-sol”, regrette Isidore Feujo, expert-comptable.

Cependant le commerce entre l’Afrique et le reste du monde a augmenté de 200 % depuis 2000, l’inflation a plongé de 22 % dans les années 90 à 8 % dans la décennie passée, la dette extérieure a décliné d’un quart et les déficits budgétaires de deux tiers. L’afro-pessimisme catégorique devient caduc. L’Ethiopie frise les +7,5 % en 2011, sans pétrole à exporter. Elle a connu la famine et fait aujourd’hui partie des 10 plus gros producteurs mondiaux de bétail. Outre sa résilience à la crise, le continent surprend par la nature de sa croissance, qui semble cette fois soutenue par une demande intérieure.

Vent démocratique

La différence avec hier ? Dans les 30 ans qui ont suivi l’indépendance, pas un seul pays africain n’a pu changer de gouvernement ou de président de manière paisible par les urnes. Mais depuis que le Bénin a lancé la tendance en 1991, la transition pacifique a été établie plus de 30 fois. Une pacification des débats politiques qui semble bien la condition sine qua non à toute croissance durable puis développement. Les Africains sont plus sensibles à la politique, en atteste le vent démocratique soufflant dans les pays méditerranéens.

Au Ghana, au Sénégal et demain en Côte d’Ivoire, les élus, qui pensent aussi à la prochaine élection, recherchent l’équilibre budgétaire, entreprennent des politiques de développement d’infrastructures et de marché plus cohérentes. Amadou Toumani Touré modifie ainsi le code minier au Mali. C’est aussi une mesure phare du nouveau gouvernement d’Alpha Condé en Guinée, acteur mondial en matière de bauxite et de fer.

Les investisseurs devront participer aux infrastructures des régions entourant les sites. Les taxes sur les matières exportables aiguillent l’industrie. “Dans l’exportation du produit brut, la valeur ajoutée est faible. Il nous faut encourager la production d’alumine ou d’aluminium”, argumente-t-on au ministère de l’Industrie en Guinée. C’est ce nouvel état d’esprit de fermeté – et non d’hostilité – que les pouvoirs publics revendiquent, imposant plus de partenaires locaux aux multinationales. Lesquelles profitent néanmoins d’un meilleur cadre business. D’après la Banque mondiale, 36 des gouvernements africains l’ont amélioré en 2010.

« Les lois et réglementations s’améliorent petit à petit », clame Barthélémy Faye, qui fait partie d’un groupe d’experts retenus par la Banque mondiale pour réformer le droit des sociétés de la zone Ohada regroupant 16 Etats membres. Enfin, ce vent de paix favorise les rapprochements. “Les blocs économiques en Afrique ont progressé dans l’intégration. La communauté de l’Afrique de l’Est vient de lancer un marché commun. La communauté d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) multiplie les collaborations et l’union monétaire ouest africaine (UEMOA) améliore les échanges”, rappelle Lionel Zinsou. Effet immédiat, le commerce intra-africain a bondi de 6 à 13 % du volume total.

Eclosion d’une classe moyenne

Ces présidents élus sont aussi bénéfiques parce qu’ils font plus appel aux hauts profils. “Quand je négocie les contrats des miniers BHP Billiton, ArcelorMittal ou Vale, je constate qu’ils envoient moins d’expatriés et embauchent maintenant des locaux pourvus de MBA ou de masters”, soutient Barthélémy Faye. Certains diplômés rentrent maintenant au pays parce qu’il existe de véritables opportunités professionnelles. En outre apparaît sur place une véritable classe moyenne.

A Accra, Abidjan ou Dakar, le taux de natalité décroît. Les loyers en augmentation et la volonté d’investir dans l’éducation de leurs enfants poussent ces salariés, commerçants ou professions libérales (infirmiers…) à construire des foyers réduits. “Ils ne constituent pas une classe moyenne au regard des standards occidentaux, mais représentent un vaste marché. Au total, 300 millions d’Africains gagnent plus de 700 dollars par an. C’est peu, mais c’est assez pour acheter un mobile, couvrir des frais d’inscription à l’école, consommer africain”, soutient Hélène Quenot-Suarez. Selon la Banque mondiale, environ 60 millions d’Africains ont un revenu de 3 000 dollars par an, et ce nombre va croître à 100 millions en 2015, à peu près au niveau de l’Inde.

Nouvelle donne des matières premières

La hausse du prix des matières premières est maintenant beaucoup plus profitable au continent. Premièrement parce que leur raréfaction devient problématique pour les pays développés ; or l’Afrique possède 40 % de l’or, 60 % du cobalt, 90 % du platine et 30 % de tous les minerais de la planète. Deuxièmement parce que les acheteurs sont plus nombreux que par le passé. Il y a 20 ans les BRIC représentaient 1 % du commerce africain, contre 20 % aujourd’hui et sûrement 50 % en 2030.

Troisièmement le continent n’est plus aussi dépendant de cette source de revenus. Certes le Nigéria, l’Angola ou la Guinée Equatoriale réussissent grâce au pétrole ou la Zambie grâce au cuivre. Mais l’Afrique de l’Est, par exemple, connaît les taux de croissance les plus flatteurs alors qu’elle ne dispose pas de ces richesses. Sur la période 2000-2008, seulement un quart de la croissance est venue de la hausse des prix des matières premières.

L’agriculture aussi, très extensive, s’avère prometteuse. McKinsey estime que son chiffre d’affaires pourrait bondir de 280 milliards de dollars actuellement à 880 milliards en 2030, le continent recelant 60 % des terres arables non cultivées dans le monde. L’Afrique pourrait nourrir toutes ses bouches nouvelles à l’avenir, et même exporter à condition d’utiliser les innovations en matière d’engrais ou d’irrigation ; le Mali suit cette voie à l’Office du Niger, le plus ancien des périmètres irrigués de l’Afrique de l’Ouest et l’un des plus étendus, dans le delta intérieur du fleuve Niger.

Les rendements peuvent être multipliés par 4 voire 5 dans le maïs, le sorgho, le mil… Nous sommes encore avant la révolution verte”, annonce Lionel Zinsou pour qui l’antienne des termes de l’échange qui se détériorent n’est plus d’actualité depuis la fin des années 90. “Acheter un tracteur Tata coûte 4 fois moins cher à acheter avec sa production de maïs qu’il y a 30 ans. Le tracteur Ford ou Caterpillar était alors inabordable.”

Afflux des investissements directs étrangers

Bonne nouvelle, les capitaux, carburants essentiels de la croissance, ne fuient plus ces régions. “L’initiative pays pauvres très endettés (PPTE) a effacé des ardoises comme celle du Togo ; des pays comme l’Algérie, le Nigeria ou l’Angola ont pu rembourser par eux-mêmes et l’envoi de fonds par la diaspora a crû au point de devenir supérieure à l’aide internationale”, énumère Lionel Zinsou. L’afflux provient surtout des investissements directs étrangers (IDE) qui ont explosé durant la dernière décennie.

Les investisseurs traditionnels tels que les français Total, Areva, ou Bolloré ont vu débarquer dans leurs prés carrés de redoutables concurrents. Les experts estiment que depuis la fin de l’apartheid, les investissements sud-africains apportent chaque année un point de croissance supplémentaire au continent. Les BRICS ne sont pas en reste. Au Niger et en RDC, China National Uranium concurrence frontalement Areva pour la maîtrise de l’uranium.

Ces nouveaux arrivants ont créé un choc psychologique, mais il faut encore attendre de 3 à 6 ans avant que quelque chose ne sorte de terre dans les projets miniers ou pétroliers”, tempère Barthélémy Faye. Il n’empêche que l’Afrique est bel et bien entrée dans les radars des investisseurs internationaux. L’Inde frappe moins l’imaginaire que la Chine ; pourtant ses liens sont plus étroits avec l’Afrique de l’Est.

Les bus, les locomotives, les engrais sont de plus en plus indiens”, constate Lionel Zinsou. De même les entreprises turques ou coréennes y multiplient les affaires. Malgré le boom des matières premières, la part totale des investissements concernant les activités extractives a diminué de 13 %. Le nombre de projets de chaînes comme Mark & Spencer, Wall Mart ou le sud-africain Shoprite a doublé sur les 3 dernières années.

L’émergence d’une classe moyenne attire investisseurs et industriels pressés de façonner de nouvelles habitudes de consommation et d’obtenir de juteux rendements”, s’enthousiasme Hélène Quenot-Suarez. Les fonds de Private Equity ont levé 1,5 milliard de dollars pour des projets sur le continent en 2010, et des spécialistes comme Helios ou Emerging Capital Partners (ECP) sont nés.

Groupes en devenir

Dans ce climat favorable, de nouveaux acteurs locaux capables d’étendre leurs activités au-delà des frontières, dont on déplorait l’absence il y a peu, apparaissent enfin. Boston Consulting Group a identifié dans un rapport de juin 2010 40 “African Challengers”. Ceux-ci affichent plus de 500 millions de dollars de chiffre d’affaires et dégagent une marge opérationnelle moyenne de 20 %, contre 15 % pour les 500 entreprises du SPX aux Etats-Unis.

Ils ne sont pas uniquement les pétroliers Sonatra d’Algérie ou Sonagol d’Angola. 10 évoluent dans les services financiers, 8 dans l’énergie et les matières premières, 6 dans les télécoms, les nouvelles technologies et les médias, 5 dans la logistique, 5 dans les biens de consommation. Comme leurs homologues des BRIC, ces groupes opèrent par fusions acquisitions et profitent à plein de la mondialisation.

Signe des temps, les premiers milliardaires “économiques” apparaissent, à l’exemple du Nigérian Aliko Dangote qui dirige un conglomérat dans le sucre, la construction et la logistique. Les investissements, les privatisations et l’augmentation de la productivité au travail, de +2,7 % par an depuis 2000, ont été de précieuses aides. De bon augure dans des secteurs comme les télécommunications qui comptent déjà 600 millions d’utilisateurs de mobiles – plus que les Etats-Unis ou l’Europe. 10 % ont accès à l’Internet mobile et un dixième des terres sont couvertes par un réseau Web, une proportion supérieure à celle de l’Inde.

Un avantage technique qui permet d’apporter des informations sur les prix des récoltes et de réaliser des transferts d’argent. “Le “bank in a box” y prospère à cause du faible taux de bancarisation de 15 %, souligne Yves Eonnet, CEO de Tagattitude, éditeur de logiciels pour les banques sur mobile en Namibie, Côte d’Ivoire ou Botswana. L’Afrique est maintenant leader dans le mobile banking. 14 millions de transactions sont réalisées quotidiennement au Kenya.

C’est ici que se trouve la banque du futur, pas en Occident”, tranche Yves Eonnet. Ce qui n’empêche pas les banques en dur de se développer. D’après la vitesse de progression des agences et terminaux de paiements, le taux de bancarisation avoisinera les 75 % dans 10 ans. “Des champions régionaux sont en train de naître comme la banque nigériane UBA, présente dans 20 pays, la francophone Ecobank ou la marocaine Attijawirafa”, énonce Barthélémy Faye.

Autant de garanties à une croissance pérenne dans les 30 ans à venir pour Lionel Zinsou : “Il est prouvé qu’un point d’équipements supplémentaire en télécommunications génère 0,1% de croissance supplémentaire. Concernant la bancarisation, le coefficient est encore plus élevé.” Le chemin est encore long. “La stabilité politique de la Tunisie, de la Côte d’Ivoire, de l’Egypte et de la Libye, quatre des plus importantes économies africaines, sera déterminante”, annonce Vincent Le Guennou.

Une intégration plus achevée des zones économiques sera aussi cruciale. A cause des tarifs douaniers, les Africains payent encore 2 fois plus cher leur poudre à lessive que les Asiatiques. Mais l’Occident serait inspiré d’actualiser sa vision de l’Afrique. Les Etats-Unis révisent déjà leur jugement, “parce qu’ils doivent sécuriser leurs approvisionnements en pétrole – dont 20 % provient déjà du golfe de Guinée”, souligne Lionel Zinsou. L’Europe est à la traîne. Sa perception historique, mélange de compassion et de désintérêt, si ce n’est de dédain, s’est figée durant les années 80-90. Tant pis pour elle.

Tigres asiatiques et lions africains: comparaison n’est pas raison

En 1960, le produit intérieur brut de l’Afrique dépassait celui de l’Asie hors Japon. Les choses ont bien changé depuis lors. Les quatre dragons – Corée du Sud, Hong Kong, Singapour et Taïwan sont apparus sur la scène mondiale. Dès les années 90, ils étaient considérés comme des pays développés après avoir suivi le modèle industriel d’exportation développé par le Japon. Les tigres – Thaïlande, Malaisie, Indonésie, Philippines et Vietnam – les suivent dans cette voie.

Les “lions africains” – Afrique du Sud, Algérie, Botswana, Egypte, Maurice, Libye, Maroc et Tunisie -, peuvent-ils prendre le même chemin ? Les scenarii ne semblent pas comparables. Les Africains suivent leurs homologues asiatiques dans la révolution agraire, l’attraction des IDE étrangers, l’investissement dans l’éducation. Mais une des caractéristiques de l’éveil asiatique a été la forte participation de l’Etat quasi dirigiste dans les infrastructures, la santé et l’éducation.

Au contraire les pays africains, à la suite des politiques d’ajustements structurels des années 80, ont favorisé son désengagement. En outre ils ne bénéficient pas d’une locomotive comme le Japon par le passé et la Chine aujourd’hui en Asie. Last but not least, leur industrialisation et leur propension à exporter les produits transformés n’a encore rien à voir avec l’Extrême-Orient. L’Afrique ne représente que 2% du commerce international.

Les analystes de McKinsey – qui distinguent Afrique du Sud, Egypte, Maroc et Tunisie en tant que Lions – déplorent des coûts unitaires de main-d’œuvre supérieurs à ceux de la Chine ou de l’Inde. Ils tireront plutôt leur force exportatrice de leurs matières premières, que Tigres et Dragons ne détenaient pas. “En cela ils se rapprocheront plutôt des pays d’Amérique latine”, prévoit Lionel Zinsou, président de PAI Partners.

Julien Tarby