Économie numérique en Afrique: les francophones à la traine

(Africa Diligence) Le boom des nouvelles technologies en Afrique a permis l’émergence d’une économie numérique forte, portée par de nombreuses startups et entreprises du net. Le magazine américain Forbes a publié une liste des « 10 millionnaires du net africains à surveiller de près ».

En parcourant cette liste, on est frappé par un fait inhabituel, l’omniprésence des anglophones avec des représentants majoritairement originaires d’Afrique du Sud, du Nigeria et du Kenya. Ce qui fait dire à Jean-Patrick Ehouman Directeur d’AllDenY et Président de la Tech Lab Akendewa : « Qu’en ce moment il n’y a pas vraiment d’économie du web et de l’internet dans les pays francophones. En Côte d’Ivoire par exemple, à part Abidjan.net, il n’y a pas de grand succès commercial du web. Tout en sachant que abidjan.net est même bien loin derrière les ventures présentés par Forbes ».

Comment peut-on expliquer cette hégémonie anglophone ? Petit décryptage vu sous l’angle, culturel, éducatif, économique et linguistique de l’avance prise par ces pays dans la révolution technologique en Afrique.

Culture et éducation

Les pays de culture anglo-saxonne sont plus orientés vers les affaires et l’esprit d’entreprise ; leurs habitants ont moins envie de devenir fonctionnaires que les Africains de culture française. Serge Michailof, professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, abonde dans ce sens : « la formation des élites dans les pays anglophones, en particulier des élites administratives, y est pour quelque chose, puisqu’on y inculque la conviction que le business privé est essentiel pour le processus de développement». Ce qui est tout le contraire des pays francophones où on inculque plutôt les idéaux de l’État providentiel.

Économie

Sans aucun doute l’un des points faibles de l’Afrique francophone face à sa sœur anglophone, les pays francophones pèsent 19% du produit intérieur brut moyen de l’Afrique subsaharienne, quand les anglophones en représentent 47% (hors Afrique du Sud).

À titre d’illustration, la BRVM, qui regroupe pourtant les huit pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), compte 80 transactions par jour pour une valeur qui atteint à peine le million de dollars par jour (environ 765.000 euros). Par contre, côté anglophone, en nombre de transaction par jour, on en recense 150 à Accra et près de 3000 à Nairobi et 217 sociétés cotées à Lagos.

La langue

Doit-on supprimer le français au profit de l’anglais dans les pays africains francophones ? Le Rwanda a fait déjà le pas, en supprimant le français comme langue d’enseignement. Le Sénégal et le Gabon envisageraient le faire aussi. Cela devra, semble-t-il,  leur permettre d’être plus compétitif et pourrait accélérer le développement des pays africains francophones.

Comparatif linguistique des sites sur internet

Pour conclure, il est bon de noter que même sur Internet, lorsqu’on prend 634 millions de sites Web, 54% du contenu est en anglais et seulement 4% en français. Le français est assez marginal sur le web. Cette réalité se reflète ainsi donc en Afrique, ce qui forcément impacte la nouvelle économie numérique qui y prend de l’ampleur ces dernières années.

Le classement Forbes des millionnaires du net africain

Abasiama Idaresit (Nigéria) est le fondateur et directeur exécutif de Wild Fusion, une agence de marketing numérique. Créé en 2010, cette entreprise présente au Nigéria, au Ghana et au Kenya, a enregistré un chiffre d’affaires de 6 millions de dollars en 2012.

Adii Pienaar (Afrique du Sud) dirige Woothemes, une société spécialisée dans la production de thèmes et de plugins pour les plateformes WordPress et Tumblr. Woothemes affiche des revenus annuels supérieurs à 3 millions de dollars.

Ayisi Makatiani (Kenya) a créé Africa Online, l’un des premiers fournisseurs de services internet du continent, en 1994. Il dirige désormais Fanisi Venture Capital Fund, un fonds d’investissement doté de 50 millions de dollars qui finance des projets en Afrique de l’Est. Gary Levitt (Afrique du Sud) est le fondateur et actionnaire principal de Mad Mimi, un service de mailing créé en 2008. Avec près de 150 000 utilisateurs professionnels et 1 milliard de messages par mois envoyés, elle enregistre 6 millions de dollars de revenus annuels.

Herman Heunis (Namibie) est le fondateur de MXit, le plus important réseau social et le premier service de messagerie instantanée en Afrique. MXit, qui compte près de 10 millions d’utilisateurs réguliers, a été cédé en 2011 au fonds d’investissement sud-africain World Of Avatar pour plus de 50 millions de dollars.

Jason Njoku (Nigeria) est le fondateur d’iRokoTV, le plus important distributeur de films nigérians au monde. IrokoTV permet à ses abonner d’accéder en ligne aux nouveaux films nigérians et ghanéens pour un abonnement mensuel de 5 dollars. L’entreprise, qui compte plus de 500 000 abonnés, a pu lever près de 12 millions de dollars auprès d’investisseurs privés. Justin Clarke (Afrique du Sud) & Carey Eaton (Kenya) sont les cofondateurs et principaux actionnaires de One Africa Media (OAM). Évalué à 80 millions de dollars, OAM est le plus important fournisseur africain de petites annonces en ligne à travers plusieurs sites spécialisés. Njeri Rionge (Kenya) a fait fortune en co-fondant Wananchi Online, l’un des principaux fournisseurs de services internet et de téléphonie en ligne, en Afrique de l’Est. En 2011, l’entreprise a cédé 50% de ses parts au groupe américain Emerging Capital Partners (ECP) pour 26 millions de dollars.

Ronnie Apteker (Afrique du Sud) a fondé Internet Solutions, le premier fournisseur de service internet d’Afrique du Sud, en 1993. Après avoir revendu, quatre ans plus tard, son entreprise pour un montant de 65 millions de dollars, Ronnie Apteker, continue d’investir dans de nombreuses entreprises en ligne et a également participé à la production et à l’écriture d’une dizaine de films.

Pierre-Yves KOTY