Gabon : qu’est-ce qui freine les investisseurs étrangers ?

Alors que les rapports semestriels se suivent et se ressemblent – élogieux sur les résultats économiques de la politique d’émergence de Libreville – les banques étrangères et les fonds d’investissements sont beaucoup moins enthousiastes. Gabon: qu’est-ce qui freine les investisseurs étrangers ?

Dans un monde au bord de la crise de nerf financière, savoir que son économie n’est pas une cible prioritaire pour les vautours de l’investissement peut être rassurant. Le problème est que ce désintérêt reste fondé sur des études économiques et que les résultats publiés viennent contredire, parfois drastiquement, ce qui est affiché sur le site de la présidence…

La Rand Merchant Bank, filiale spécialisée dans les investissement du First Rand Group, mais aussi référence internationale sur les marchés africains, publie et détaille dans son rapport «Where to Invest in Africa» 2012, des résultats qui ne sont pas très glorieux pour le Gabon. Classé 29e sur 53 pays africains (139e rang mondial sur 184) pour son attractivité pour les investissements, avec 1 rang de perdu sur l’année 2011, le pays est loin de briller par ses résultats comme semblent le proclamer les services de presse de la présidence.

Les divers indices calculés par la Rand Merchant Bank sont assez crédibles pour qui vit et travaille au Gabon et les chiffres annoncés, s’ils ne contredisent pas ceux proclamés officiellement, sont mis en perspective avec les autres pays africains et semblent alors beaucoup moins glorieux. Ainsi, alors que le PIB du Gabon par habitant est de 10 653 $, ce qui place le pays à la 3e place sur 53, il dégringole à la 22e place pour le pouvoir d’achat et à la 45e place pour l’estimation de croissance de 2011 à 2016. Son score, d’après la Rand Merchant Bank, en environnement d’exploitation, le «climat des affaires» dans le langage de la communication présidentielle, n’est guère plus enviable avec une 40e place africaine, toujours sur la base de 53 pays considérés.

L’étude liste d’ailleurs les secteurs les plus problématiques pour le business au Gabon. En tête vient la disponibilité de l’électricité, puis les difficultés de transport, suivi de la corruption, du manque de formation des travailleurs, de la concurrence du secteur informel, de l’accès aux services financiers, des taxes administratives et de l’insécurité due aux crimes et vols.

Le rapport classe le Gabon pour la facilité à y faire des affaires au 156e rang mondial sur 183 pays et insiste sur les 32,7 % de la population se trouvant sous le seuil de pauvreté. Parmi les autres facteurs impactant le «climat des affaires», on remarque l’absence de statistiques sérieuses, les interférences politiques, le manque de probité de la justice et les risques de violence politique.

Un rapport sévère, donc, vis-à-vis du Gabon mais qui est confirmé par de nombreux autres organismes comme Invest AD (Abu Dhabi Investment Company) des Émirats Arabes Unis, qui dans son rapport «Economist Intelligence Unit Limited 2012» sur l’Afrique, place le Gabon à 6 % d’intentions d’investissements capables de rentabilité sur 3 ans. Certains rapports parlent d’une économie «quasiment administrée» au Gabon, ce qui pourrait passer pour un atout s’ils ne rajoutaient la mention «mal administrée» presque automatiquement. Dans le même ordre d’idée, le Gabon est très mal noté par «Freedom House» en termes de liberté politique, avec un indice de 6 (sur une échelle de 1 à 7, 1 étant le plus haut niveau de liberté), et de libertés individuelles avec un indice de 5/7.

Le taux de chômage au Gabon reste un grand mystère, le dernier chiffre crédible avancé par les organismes internationaux étant de 21 % en 2006. Un chiffre souvent donné, déjà, avec moult avertissements de prudence quant à sa fiabilité. Aucune statistique n’existant, ou en tout cas n’étant rendue publique, on peut remarquer que dans chaque famille au Gabon, on trouve un salarié, c’est à dire une personne travaillant dans le secteur formel, pour deux ou trois se «débrouillant» dans le secteur informel et autant sans travail. Le taux de chômage réel avoisinerait alors plutôt les 60 % de la population active.

Seuls 41 % des populations rurales ont accès à l’eau améliorée (garantie potable et contrôlée). L’espérance de vie à la naissance est de 63 ans.  Si la scolarisation en primaire est acceptable, dans la moyenne internationale, celle au secondaire et dans les études supérieures est encore catastrophique.

Autre facteur pénalisant pour l’économie gabonaise, sa structure qui reste celle d’une économie de rente, malgré les efforts réels du gouvernement pour l’en sortir. L’agriculture vivrière, considérée comme le secteur clé des 50 prochaines années pour les économies africaines, est inexistante et rien ne semble indiquer que la situation va s’améliorer. Les produits finis «made in Gabon» n’existent pas. Le taux d’inflation, qui était contenu entre 1,3 et 1,6% depuis une dizaine d’années et passé à 2,3% en 2011 et annoncé à 2,6% en 2012. Et encore, ce chiffre est peu significatif de la baisse réelle de pouvoir d’achat des couches les plus défavorisées de la population, les plus fortes hausses portant sur les produits alimentaires, les loyers et les fournitures de base d’un foyer.

Dans un contexte mondial de crise financière entretenue au plus grand profit des gros investisseurs, les résultats du Gabon ne sont pas catastrophiques et une simple volonté politique, qui existe peut-être d’ailleurs, permettrait de résoudre la plupart des grandes inégalités et dysfonctionnements de l’économie gabonaise. Classé en queue de peloton en 2009, le Gabon, s’il n’a pas obtenu de résultats spectaculaires, a tout de même progressé. Mais au vu des rapports sérieux, y compris les plus indulgents comme celui du World Economic Forum, les germes de l’Émergence annoncée ne sont pas encore au rendez-vous. Surtout, et c’est sans doute le plus grave, la désespérance sociale de la population semble ne pas être prise en compte. Sans procès d’intentions,  il est remarquable que la classe politique au pouvoir soit aussi aveugle à la paupérisation de son peuple, aux difficultés quotidiennes croissantes qui accablent les familles et à l’absence totale de visibilité, et donc d’espoir, sur une amélioration future des conditions de vie. Dans un pays aussi riche que le Gabon, il est légitime de se demander où passent les sommes importantes votées chaque année pour le budget de l’État, vers quels investissements profitables au plus démunis sont orientées les dépenses, qui profite des marchés créés par le développement des infrastructures. Peut-être que la réorientation d’une partie de ces budgets vers l’emploi, l’assistance aux personnes démunies, le développement de services publics de proximité permettraient de rendre un peu plus visible le résultat de tels décaissements. Car aujourd’hui, malgré les discours et les promesses, rien ne se fait dans le sens d’une amélioration des conditions de vie des Gabonais.

(Avec Luc Lemaire)

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