Général Olusegun OBASANJO : « Les dirigeants africains peuvent éradiquer la faim »

Dans cette tribune exceptionnelle publiée en prélude au sommet de l’Union Africaine des 28 et 29 janvier 2012 à Addis Abeba, l’ancien Président nigérian, le Général Olusegun OBASANJO, appelle les chefs d’Etats africains à mettre un terme aux crises alimentaires. Voici l’intégralité de son propos.

Général Olusegun OBASANJO:

Au risque de surprendre ceux qui connaissent mon parcours politique et international, je suis et demeure, au fond, un fermier. J’ai été élu président du Nigeria deux fois et je suis fier d’avoir été, depuis, médiateur dans les conflits en République démocratique du Congo et en Côte d’Ivoire, et d’avoir pu faire pression sur les dirigeants du monde afin qu’ils tiennent les promesses d’allègement de dette et d’augmentation de l’aide faites à l’Afrique. Mais peu d’accomplissements me procurent autant de fierté que l’exploitation agricole que j’ai démarrée en 1979 et où je passe maintenant la plupart de mon temps.

Cette exploitation s’étend sur plusieurs centaines d’hectares dans l’Etat d’Ogun, non loin de Lagos. J’y élève des poulets, des cochons, des autruches et du bétail. Je l’ai créée pour montrer à mes compatriotes, hommes et femmes, et aux jeunes en particulier, l’immense potentiel de l’agriculture et ce qu’il est possible d’accomplir avec la terre. C’est, je l’espère, une application concrète des politiques que j’ai menées au gouvernement pour renforcer la sécurité alimentaire et nutritionnelle, et promouvoir le rôle primordial de l’agriculture dans la lutte contre la faim, la réduction de la pauvreté et la création de richesse.

Oui, les pays de notre continent ont déjà connu de nombreux succès agricoles. Mais il reste bien du chemin à parcourir.

Au Nigeria, cinquième exportateur de pétrole dans le monde, des familles et des enfants continuent de souffrir de la faim dans de nombreuses régions. Des millions d’autres personnes souffrent de malnutrition sur le continent et dans le monde. La crise actuelle en Afrique de l’Est, où la famine touche plus de 13 millions de personnes, a tragiquement remis cette question essentielle au premier plan.

Cette tragédie humaine n’a pourtant pas lieu d’être. Notre continent possède les ressources nécessaires, et la science nous fournit tous les jours davantage de solutions pour prévenir les crises de la faim. Nous avons les moyens d’assurer non seulement une production alimentaire suffisante pour subvenir à nos besoins, mais aussi pour exporter, malgré les bouleversements météorologiques et climatiques.

Une opportunité historique s’offre à nous au sommet de l’Union africaine d’Addis Abeba, fin janvier. Les dirigeants du continent pourront agir afin d’empêcher que ne se reproduise la situation dramatique qu’a connue l’Afrique de l’Est.

Que doit-il donc se passer à Addis Abeba ? Les dirigeants africains doivent approuver la nouvelle Charte pour éradiquer la faim mise en place par un ensemble d’organisations humanitaires africaines et internationales. La Charte a déjà été signée par le premier ministre du Kenya, Raila Odinga, présente les mesures concrètes que les gouvernements doivent prendre pour que les crises alimentaires n’appartiennent plus qu’au passé. Les gouvernements de l’Union africaine doivent s’engager à tenir les engagements de cette charte.

Il nous faut tenir compte des alertes précoces de sècheresse et mettre en place des filets de sécurité pour les populations les plus pauvres. Mais nous avons également besoin de mesures pour protéger la population contre la hausse des prix alimentaires, qui a précipité de nombreuses personnes vers la faim. Soutenir la production locale, limiter les restrictions à l’exportation et puiser judicieusement et intelligemment dans les réserves alimentaires d’urgence font partie des solutions pour réduire la gravité de ces crises.

Plus particulièrement, nous devons soutenir, à Addis, des initiatives mises en place par l’Afrique comme le Programme de filet de sécurité productif. Ce programme, financé à la fois par l’Afrique et par ses partenaires internationaux, consiste à fournir des fonds et des denrées alimentaires à des millions d’agriculteurs pauvres en Ethiopie. Leur garantir des revenus plus réguliers et plus stables peut prévenir l’émergence soudaine des crises alimentaires. Ces derniers acceptent, en échange, de participer à des travaux publics comme la construction de routes, qui contribue à améliorer les débouchés agricoles de leurs communautés.

Un autre programme, mis en œuvre par Save the Children, en partenariat avec les autorités du Nord-est du Kenya, consiste à distribuer des bons aux communautés pastorales dans les zones régulièrement touchées par la sécheresse. Ces communautés peuvent utiliser ces bons pour acheter de la nourriture sur les marchés et dans les commerces locaux, permettant aux populations de jouer un plus grand rôle dans la gestion de ces crises. Il existe de nombreuses initiatives similaires que nous pouvons soutenir et développer.

La science, la technologie et l’innovation peuvent nous faire gagner la bataille contre la faim. Les agriculteurs sont déjà prêts à faire tout ce qu’ils peuvent pour produire des cultures permettant de nourrir nos populations.

Nous devons maintenant, avec le soutien financier et l’expertise nécessaires, mettre ces progrès entre les mains des agriculteurs. C’est un défi pour tous les dirigeants et ministres de l’agriculture de la planète, surtout pour ceux de notre continent.

Le temps presse. Les prix alimentaires continuent d’augmenter et les effets du changement climatique gagnent en intensité, accroissant l’imprévisibilité des épisodes météorologiques extrêmes et la sévérité des sécheresses. En prenant les mesures nécessaires, les dirigeants africains peuvent montrer la voie au reste du monde.

Chaque fois que je marche dans un champ, je ne peux m’empêcher de penser que la solution se trouve bien sur nos terres, et entre nos mains.

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Le Général Olusegun OBASANJO a été Président de la République fédérale du Nigeria de 1999 à 2007. À la fin de son mandat, il a supervisé la première passation de pouvoir civile au Nigeria entre deux dirigeants démocratiquement élus.

Déjà nommé chef d’État du Nigeria en 1976 suite à l’assassinat du dirigeant militaire du Nigeria, il démissionne en 1979, date à laquelle il confie le pouvoir à un gouvernement civil démocratique, après avoir supervisé et mené à bien un programme de transition politique (le premier dans l’histoire du Nigeria) qui, en 1979, dote le Nigeria d’une Constitution présidentielle et de sa première administration civile depuis le coup d’État militaire de 1966. Sous son gouvernement, le Nigeria adhère pleinement au mouvement anti-apartheid et apporte un soutien inconditionnel aux mouvements de libération de l’Afrique du Sud, qui ont permis d’éradiquer l’apartheid en Afrique du Sud et d’établir l’indépendance de l’Angola, de la Namibie et du Zimbabwe.

Le Général OBASANJO a joué un rôle charnière dans la revitalisation et le repositionnement de l’Union africaine, avec notamment le Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique (NEPAD) et le Mécanisme Africain d’Évaluation par les Pairs (MAEP), conçu pour faire germer et diffuser les idéaux de démocratie et de bonne gouvernance. Il a œuvré avec constance à l’approfondissement et à l’élargissement de la coopération régionale au travers de la Communauté Economique Des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et de la Zone d’Alliance de Coprospérité incluant le Bénin, le Ghana, le Nigeria et le Togo. Il a exercé à plusieurs reprises les fonctions de Président du Groupe de 77, de Président de la Réunion des chefs de gouvernement des pays du Commonwealth et de Président du Comité des chefs d’État et de gouvernement africains pour la mise en œuvre du NEPAD.

Membre de l’Institut d’Études africaines de l’Université d’Ibadan, de la Commission de l’UNESCO pour la paix dans l’esprit des hommes (1981-1986), de la Commission indépendante chargée des questions de désarmement et de sécurité, du Comité de l’Organisation mondiale de la santé sur les effets des armes nucléaires, du Conseil exécutif du Comité d’action internationale des anciens chefs d’État et de gouvernement, membre et coprésident du Groupe d’éminentes personnalités du Commonwealth pour l’Afrique du Sud, fondateur et organisateur de l’ALF (African Leadership Forum, forum leadership en Afrique), membre de la Commission de surveillance de la Fondation Ford et conseiller spécial auprès de l’Institut international d’agriculture tropicale, Olusegun OBASANJO a passé une grande partie de sa vie à œuvrer pour le développement de l’Afrique.

Il a aussi pris part aux efforts de médiation internationale en Namibie, en Angola, en Afrique du Sud, au Mozambique et au Burundi. En 1988, à la demande des Chefs d’État et de gouvernement du Commonwealth, il mène une évaluation des besoins de sécurité des États frontaliers et exerce la fonction d’observateur officiel des élections en Angola (1992) et au Mozambique (1994). Ses efforts lui ont valu maintes reconnaissances, notamment le Prix africain du leadership sur la cessation permanente de la faim (Africa Prize for Leadership for Sustainable End to Hunger), le Prix des droits de l’homme de la Fondation Friedrich-Ebert et le Prix Indira Ghandi pour la paix.

Olusegun OBANSAJO est né le 5 mars 1937 à Abeokuta, dans l’État d’Ogun, au Sud-Ouest du Nigeria. Après avoir effectué sa scolarité au lycée Baptist Boys High School d’Abeokuta, il a travaillé comme professeur avant de s’engager dans l’armée nigérienne en 1958. Il est actuellement membre de l’Africa Progress Panel.