Ils ont juré de plomber le coltan africain

Utilisé dans la fabrication de composantes électroniques, l’or gris figure parmi les ressources naturelles les plus critiques au monde, après l’eau et le pétrole. Si aujourd’hui les géants du high-tech boudent officiellement le coltan africain, ce n’est pas simplement parce que sa production est irrespectueuse des droits humains, et encore moins parce que sa commercialisation génère des conflits.

Par Guy Gweth

Le coltan, c’est quoi ?

Définition – Le coltan encore appelé « or gris » est un métal (composé de colombite et de tantalite) qui sert à produire du tantale (découvert en 1802 par le chimiste suédois Anders Ekeberg). Le pentoxyde de tantale (Ta2O5) est particulièrement recherché pour sa dureté et son extrême résistance à la chaleur et à la corrosion. Les études signalent cependant qu’il est relativement radioactif du fait de sa «faible teneur en uranium».

Usage – Le tantale sert à la fabrication des téléphones portables, des ordinateurs, des jeux vidéo ou des DVD, autant qu’à la fabrication des réacteurs nucléaires ou d’avion. Le pentoxyde de tantale, par exemple, est utilisé dans les condensateurs et les lentilles d’appareils photos ainsi que dans la fabrication des appareils chirurgicaux et dentaires. A lui seul, le secteur de l’électronique consomme près de 70% de la production mondiale de tantale.

Producteurs – D’après les chercheurs de l’U.S. Geological Survey, les principaux producteurs de coltan sont l’Australie, le Brésil, le Canada, la Chine et l’Afrique centrale. D’autres gisements potentiels ont été détectés récemment en Arabie Saoudite, en Colombie en Egypte, aux Etats-Unis, en Finlande et au Venezuela. A côté des grands exportateurs africains que sont l’Ouganda, le Rwanda, le Burundi, et le Zimbabwe, l’est de la République démocratique du Congo (RDC) détient, à lui seul, près de 75% des réserves mondiales.

Quels sont les enjeux ?

La demande – Au troisième trimestre 2000 déjà, une crise non anticipée du coltan (marquée par une sévère pénurie et une envolée des cours ayant atteint les 375 euros/kilo) avait empêché la production en quantité suffisante du jeu vidéo PlayStation 2 chez le japonais Sony. Puis la crise économique et financière est arrivée, obligeant les grands industriels du high-tech à réduire leurs commandes. Face à la chute des prix, certains intermédiaires ont dû fermer boutique en ayant soin de stocker d’importantes quantités de métal pour les jours meilleurs. Après la crise, la demande devrait repartir à la hausse. Et durablement.

Les stocks – Les réserves emmagasinées par les géants de la filière depuis 2006 commencent s’épuiser ; et ils espèrent bien tirer profit de leur repli stratégique. Au premier trimestre 2010, les analystes de Starck étaient plutôt optimistes: « les prix sont sous pression parce que les utilisateurs finaux réclament désormais des matériaux irréprochables sur le plan de l’éthique […]. On assiste actuellement à un glissement dans les achats, du Congo frappé par des conflits, vers d’autres fournisseurs, et ce glissement va aboutir à des prix plus élevés. »

L’offre Au dernier trimestre 2010, les prévisionnistes de la firme allemande tablaient sur une remontée prochaine des cours pour se refaire une santé. C’est le lieu de rappeler que s’ils ont juré de plomber le coltan africain c’est parce que les grandes firmes comme Commerce Resources Corp (sur lequel nous nous attarderont plus loin) ainsi que leurs alliés supportent très mal la stagnation des cours du tantale (due pour partie à une offre africaine bon marché) alors que les prix d’achat des commodities de même catégorie n’ont de cesse de croître.

A qui ça profite ?

Etats, milices & Cie – Cet aspect a déjà fait l’objet de tant d’études pertinentes qu’il est risqué d’y revenir sans en omettre une. C’est une évidence qu’une partie du commerce de coltan contribue à l’effort de guerre de certains Etats et renforce des régimes en apprentissage de démocratie ainsi que des groupes armés (en Afrique centrale) depuis de nombreuses années. N’est-ce pas le cas du pétrole et d’autres matières stratégiques ailleurs dans le monde?

Minières et high-tech – Le business du coltan profite surtout à ceux qui savent s’en servir. Outre les sociétés minières sur lesquelles nous reviendrons ultérieurement, les grands bénéficiaires du coltan sont les industriels du high-tech. Pour répondre aux critiques qui les rendent responsables de la guerre civile en RDC, Apple, Celestica, Cisco et IBM regroupés au sein de la coalition citoyenne de l’industrie électronique (EICC) ont lancé le CFS (Conflict-Free Smelter) le 10.12.2010. L’objectif de ce programme est de faire attester par un organe indépendant que le tantale acheté par ces entreprises ne contribue pas au conflit en RDC.

Intermédiaires – Les firmes qui font le lien entre les sociétés minières et les utilisateurs de tantale en tirent des profits colossaux. Parmi les plus importants, on citera notamment l’allemande HC Starck, dont le siège est à Goslar en Basse-Saxe ; l’américaine Cabot, propriétaire d’une mine de tantale au Manitoba ; et l’australienne Talison, plus gros producteur de tantale au monde. D’après notre estimation au 31.12.2010, HC Starck, Cabot et le chinois Ninxia achètent, tous les trois, plus de 65% du tantale brut vendu sur le marché mondial.

Quelles sont les stratégies ?

Le réseau – Dans son opération de réseautage, Commerce Resources que nous annoncions plus haut s’est rapproché  d’Enough Project, un lobby américain très virulent à l’égard de la RDC et du Rwanda. Pour bien comprendre par quels moyens le sort du coltan africain a été scellé à Washington, il est important de remarquer, à ce stade, que l’un des co-fondateurs de Enough Project, John Prendergast, été conseiller spécial au Département d’Etat américain et directeur du bureau des Affaires africaines auprès du Conseil national de sécurité sous l’ère Clinton.

Le lobbying – La stratégie de lobbying déployée par Enough Project a consisté depuis le début à convaincre les congressmen étatsuniens par un argumentaire moral fondé sur les témoignages des ONG et des experts de l’ONU. John Prendergast avait, pour cela, préparé deux propositions de lois : the Congo Conflict Minerals Act et the Conflict Minerals Trade Act. Et ça a marché, puisqu’au soir du 15 juillet 2010 se trouvaient, dans les 2300 pages de la loi de réforme du secteur financier adoptée par le Congrès, les propositions de Prendergast condamnant les entreprises américaines qui achèteraient les « minerais du conflit ».

La guerre d’information – L’euphorie qui gagné les adversaires du coltan africain durant tout l’été 2010 est le résultat d’une intense campagne d’information ayant pour mot d’ordre principal la RSE. A travers les journaux, les conférences et les sites de réseaux sociaux tels que Facebook et Twitter, ils auront occupé l’espace médiatique, reprenant à leur compte des morceaux choisis dans les rapports d’ONG ; en faisant intervenir des experts acquis à leur cause à l’instar de David Sullivan (Enough Project) au Sommet des métaux rares d’avril 2010 à Los Angeles ; en produisant des notes et monographies à l’intention des parlementaires américains. Dans une publication de février 2009, Commerce Resources écrivait déjà à propos de l’Afrique: « l’exploitation minière dans cette partie du monde s’opère souvent de façon illégale et est associée à des violations extrêmes des droits de l’homme. Il est bien connu que les produits de la vente du coltan africain servent à soutenir la violence militaire et tribale.»  Ce discours masque parfaitement la guerre économique menée contre le métal africain.

Que faut-il en conclure ?

La coalition d’acteurs (producteurs, intermédiaires, investisseurs, lobbyistes et ONG) qui a juré de plomber le coltan africain a, c’est une évidence, gagné une première grande bataille : celle de la norme légale et morale. Il n’est cependant pas impossible, en employant les mêmes méthodes que les leurs, de montrer que cette victoire profite moins aux populations africaines qu’aux intérêts des membres de cette coalition.

D’après les investigations menées par le pôle Intelligence économique de Knowdys, c’est en noircissant le tableau du tantale dit «contaminé» et en se présentant comme seule alternative « socialement responsable » aux yeux des acquéreurs de « tantale propre » que Commerce Ressources, à titre d’exemple, espère financer ses projets phares d’Eldor et Blue River, et faire grimper son cours de bourse à Toronto et Francfort.

En attendant d’infaillibles outils de traçabilité, le coltan africain continue à profiter des faiblesses adverses malgré la multiplicité des intermédiaires, car même en transitant par l’Asie, l’Amérique latine ou l’Europe de l’est pour parvenir aux industriels, son prix demeure très compétitif au regard de la concurrence internationale.