Le Père Noël et le crime organisé transnational

[Africa Diligence] En cette période de fêtes, un débat récurrent agite les familles, celui de l’existence d’un Père Noël pouvant même devenir l’otage impuissant d’intégristes de la laïcité. Or dans le même genre, une figure plus redoutable suscite d’analogues débats existentiels : le crime organisé transnational et en son sein, les mafias.

Que la mondialisation ait sa face noire – fraudes, crime et violences armées – est désormais admis par la plupart des observateurs lucides. Cette mondialisation obscure se révèle d’abord par de grands trafics intercontinentaux qui, tous, affectent la vie de centaines de millions d’individus : esclavage moderne, stupéfiants, biens ou produits contrefaits, armes dites “légères”, etc.

Sur les cinq continents, l’information relate au quotidien ces grands trafics : bateaux de migrants clandestins naufragés, cargaisons de drogue saisies en mer ; tueries entre bandits pour tel trafic juteux ou lieu stratégique ; tragédies provoquées par de faux médicaments, etc.

Depuis Aristote, nous savons aussi qu’une force, au sens physique du terme, ne se voit jamais, mais seulement ses effets : des branches qui s’agitent sont vues par tous – mais pas le vent qui les secoue, etc. Ainsi, sauf à admettre la génération spontanée en prônant que la drogue et les clandestins traversent les océans par l’opération d’un Saint-Esprit et que les médicaments se falsifient par magie, ces incessants et lucratifs trafics s’expliquent forcément par des forces sous-jacentes.

Ensemble, ces forces constituent la criminalité organisée transnationale (ci-après, COT). Sans cette puissante et durable armada criminelle, sans ses milliards de dollars, sans la corruption, l’intimidation et la violence dont elle use, pas de “face noire de la mondialisation”, juste de petits bricolages illicites locaux ou régionaux – et une planète bien plus paisible.

Après s’être longtemps obnubilés sur le seul terrorisme, de grands pays et instances supranationales (Union européenne, Banque mondiale, OCDE, ONU, etc.) ont entrepris de combattre cette COT, ce qui est ardu :

– La COT est un ennemi flou, peu visible et mutant constamment,

– Les indéniables drames qu’elle provoque sont mal perçus par le public, qui peine à les lui attribuer : entre le lointain trafiquant d’héroïne et la jeune victime d’une surdose au pied de son immeuble, n’existe qu’un lien distendu et indirect.

– Constituant ensemble un informel “front du refus”, d’influents lobbies et administrations nient la gravité du problème – voire l’existence de la COT.
Cet insidieux négationnisme rassemble :

– Les doctrinaires libéraux de la “mondialisation heureuse”, puissants dans la finance et dans les médias, rejetant avec horreur l’idée que, souvent, la fameuse “main invisible” est moins celle du marché que de la mafia.

– Des sociolâtres dont cela contrarie l’idéologie, voulant que les criminels (mafieux inclus) soient d’abord des victimes du système capitaliste.

– Des institutions engluées dans la routine et le confort. Affronter des espions et des terroristes, c’est noble. Mais tout chambouler pour traquer ensuite un dangereux protoplasme criminel ? Non merci.

Pour tous ceux-ci, l’idée que les mafias soient vraiment redoutables est un paranoïaque bidonnage, propagé par des “marchands de peur”.

Inertie, idéologie, incrédulité : ces trois malfaisants “i” du déni de réalité handicapent les forces de l’ordre, notamment en Europe – sans oublier le temps perdu à mille fois argumenter, enfoncer des portes ouvertes, montrer la réalité du danger.

“Et pourtant, elle tourne”, aurait soupiré Galilée le 22 juin 1633. Face à cette moderne “Congrégation du Saint-Office” qu’est le “front du refus”, il faut encore et toujours démontrer que les mafias sont dangereuses aujourd’hui même – et à nos portes :

– Vintimille, décembre 2012. Démantèlement de l’appareil régional de la mafia calabraise (Ndrangheta). Parmi ses cadres, des entrepreneurs du bâtiment également implantés à Antibes. A la frontière française même, ces mafieux ont corrompu maints élus locaux et régionaux, des fonctionnaires et au moins un magistrat. Une puissance mafieuse telle, que lors des élections, c’est le capo qui arbitre entre les partis politiques.

– Milan, novembre 2012 : la prochaine exposition universelle se tiendra en 2015 dans la métropole italienne. D’où, d’énormes travaux d’infrastructure pour aménager le site prévu. Un important contrat (272 millions d’euros) est “gagné” par une entreprise sicilienne dont le patron est le notoire expert ès-travaux publics des familles mafieuses de l’est de l’île…

– Chicago, novembre 2012 : le contrat de nettoyage de l’aéroport O’Hare (presque 100 millions de dollars) est gagné par la société d’un cadre du “North side crew” de la fort ancienne famille mafieuse locale. Mort en prison en 1975, son père était un capo historique de cette famille.

– New York septembre 2012 : dans la décennie 2000, la mafia est (non sans mal) chassée du marché de Hunts Point, qui fournit 60 % des fruits et légumes de la ville. Elle revient : un grossiste récemment implanté à Hunts Point est “proche” d’un capo de la puissante famille Genovese.

Pire : vingt ans durant, la famille de Montréal, aux ordres du clan Rizzuto, a allègrement pillé tout le secteur de la construction du Québec. De 2 à 3 % du montant des contrats étaient reversés aux mafieux, qui corrompaient ensuite des partis politiques et élus, des fonctionnaires locaux et provinciaux, etc.

L’omerta ? Ah bon ? Entrepreneurs et bandits venaient du même village sicilien. Les mafieux québécois recevaient tous ces notables dans leur propre “club”. Placé sous surveillance de 2002 à 2006, un patron (sicilien d’origine) du BTP local s’y est ainsi rendu… 236 fois.

Cependant, nul n’a rien vu. Dans un silence de cathédrale, des milliards furent siphonnés deux décennies durant et blanchis loin de Montréal. Mais pourquoi se serait-on inquiété ? Puisque, la mafia n’existait pas…

Alain BAUER & Xavier RAUFER