Les vrais adversaires de la puissance russe en Afrique

[Africa Diligence] Pour accompagner efficacement les investisseurs russes en Afrique, nos conseils en intelligence économique veillent et décryptent en permanence les perceptions de l’establishment politico-économique de Moscou. Dans les lignes qui suivent, Mikhail Gamandiy-Egorov de La Voix de la Russie, montre que pour les Russes l’Afrique n’est pas Gérard Dépardieu.

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On traitait le mois dernier de la question du grand retour de la Russie en Afrique. Et surtout : à quand ce retour ? La Fédération de Russie est une grande puissance, de retour véritablement depuis les années 2000 sur la scène internationale. C’est également aujourd’hui, l’une des principales puissances économiques mondiales, sans oublier que la Russie est membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU.

L’Afrique possède quant à elle d’énormes ressources et opportunités, pour lesquelles se battent très activement les pays occidentaux et la Chine. L’Afrique, en tant que continent, possède un potentiel énorme, notamment sur le plan économique, selon de nombreux spécialistes. On n’oubliera pas non plus de mentionner les sérieux intérêts géostratégiques qui s’y jouent. Ce n’est donc pas surprenant de voir la bataille à laquelle se livrent tous les intéressés : les anciennes métropoles coloniales européennes, les États-Unis et bien sur l’Empire chinois. L’Empire du Milieu est d’ailleurs depuis les dernières années le premier partenaire économique et commercial de l’Afrique.

La Russie dans tout cela ? Bien loin du lot… Si les échanges sino-africains dépassent les 100 milliards de dollars par an, ceux de la Russie avoisinent les 4 milliards à peine. Retard irrattrapable ? Le temps nous le dira. Si l’on croit les paroles de certains des diplomates russes opérant en Afrique, il s’agit d’un « combat inutile » puisque perdu d’avance, dû au retard trop important. Les diplomates mentionnent également le fait que la Chine « accorde des montants colossaux de crédit à des conditions très intéressantes pour les États africains », sans oublier que dans le cas de contrats importants, des cadeaux signifiants voient le jour (comme la construction gratuite d’écoles ou d’hôpitaux, en fin de réalisation de ces contrats). Pourtant, ce n’est pas la volonté qui manque, de part et d’autre.

Depuis l’éclatement de l’URSS et le délaissement quasi-total de ses intérêts sur le continent africain, la Russie réaffirmait au fil des années sa volonté de s’y imposer de nouveau. D’ailleurs, lors du dernier forum d’affaires russo-africain, qui s’est déroulé il y a un peu plus d’un an dans la capitale éthiopienne Addis-Abeba, auquel ont pris part un nombre important d’hommes d’affaires africains et russes, ainsi que plusieurs personnalités politiques venues de Russie et de bon nombre de pays africains, Mikhail Marguelov, le représentant spécial du président russe pour l’Afrique, y avait alors annoncé le « retour en force » de la Russie sur le continent.

De l’autre côté, plusieurs leaders africains ont déjà exprimé à maintes reprises leur volonté de voir la Russie en tant que véritable alternative aux acteurs dominants actuellement. D’un côté, ils sont lassés du néo-colonialisme des États occidentaux (sans oublier leur passé colonialiste). D’autre part, la dépendance de plus en plus grandissante vis-à-vis de Pékin inquiète sérieusement les élites africaines. Dans les couloirs du forum d’affaires d’Addis-Abeba, plusieurs participants représentant les entreprises africaines, ont exprimé clairement les raisons principales de leur volonté de voir le grand retour de la Russie : les Russes n’ont pas d’histoire coloniale en Afrique, et ne « sont pas comme les Chinois ». Bien que, souvent ces déclarations se font dans l’anonymat. Pourquoi ? Pour la simple raison que jusqu’à aujourd’hui, les Chinois restent les principaux clients de ces mêmes entreprises, de même que les plus importants investisseurs.

Avant de pouvoir concurrencer les Occidentaux et les Chinois, la Russie devrait déjà arriver au moins au niveau de l’Inde et du Brésil : deux pays également membres du BRICS (tout comme la Chine et la Russie), et qui sont eux aussi en meilleure posture en Afrique que la Russie, à l’heure actuel. Il est donc évident qu’après les volontés ouvertement déclarées du côté russe et africain de vouloir coopérer au plus haut niveau, des intérêts mutuellement bénéfiques, et des nombreux défis se jouant en ce moment sur le continent africain (interventions directes des européens et américains dans les affaires intérieures d’États africains, les projets de grande envergure lancés par la Chine, sans oublier le fameux projet militaire américain AFRICOM dont on parlera plus tard), la Russie a vraiment du pain sur la planche. Sans oublier le fait que le temps joue également contre elle, et le retard sur ses autres concurrents ne cessera d’augmenter si des paroles on ne passe pas très rapidement aux actes. La Chine, les États-Unis et l’Europe occidentale ont prouvé de par leurs actions l’importance et la priorité qu’ils donnent à l’Afrique et à la défense de leurs intérêts sur le continent. A la Russie d’en faire autant, voire beaucoup plus…

 Mikhail Gamandiy-Egorov