Francophonie : le joker de Paris dans une Afrique courtisée

(Africa Diligence) L’Afrique subsaharienne connaît une croissance constante depuis le milieu des années 1990. Elle attise la convoitise des puissances internationales qui anticipent de nouvelles perspectives de développement alors que la France, hantée par le spectre de la Françafrique, rechigne encore à s’engager économiquement sur le continent. La langue française lui confère pourtant un atout considérable.

Alors que dans les années 1980, il n’était question que d’une Afrique subsaharienne moribonde ravagée par le sida, la vague de démocratisation couplée à de meilleures politiques économiques a fait que le PIB par habitant croît en moyenne de près de 3 % depuis 1995 avec une croissance de 5 % en 2012.

En outre, l’allègement de la dette a fait que les dirigeants politiques africains ont bénéficié d’une plus grande marge de manœuvre budgétaire et ont pu soutenir l’activité économique au lieu de devoir réduire les dépenses en raison de strictes contraintes d’emprunts.

Les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) ne sont évidemment pas encore atteints, loin de là, mais la pauvreté s’est atténuée plus rapidement et les avancées réalisées depuis une trentaine d’années sont considérables.

Le déclin en Afrique d’une France complexée

Charles de Gaulle avait mis sous tutelle les ex-colonies françaises en Afrique pour conserver à la France son statut de grande puissance. Enterrée formellement, mais entretenue finalement par les présidents qui ont suivi, de Valéry Giscard d’Estaing à François Mitterrand en passant par Nicolas Sarkozy, la bonne vieille françafrique ne voulait pas mourir.

Même sous François Hollande – qui avait pourtant manifesté sa volonté de stopper l’ingérence française et l’avait symboliquement signifié en remplaçant le ministère de la Coopération par le ministère du Développement – elle a été réactivée par la guerre au Mali. Ce spectre de la françafrique sur le plan diplomatique conditionne évidemment les relations économiques qui pourraient simplement être nouées d’État à État.

Parce que l’opinion perçoit très négativement les initiatives françaises en Afrique, les investisseurs français ont peur de voir rejaillir sur leurs activités cette mauvaise image et évitent de se lancer sur un marché qu’ils jugent trop risqué. De leur côté, les États africains se méfient de la France, car pendant longtemps ils ont eu affaire à des mandataires véreux.

Yamina Benguigui, ministre déléguée à la Francophonie plaide pour une sortie de l’idéologie françafrique : « Il faut se décomplexer sur cette histoire de Françafrique. Définitivement, la langue française s’est débarrassée des oripeaux du colonialisme ». D’autant que pendant que la France hésite, les nouvelles grandes puissances ont déjà commencé à investir l’économie africaine.

Des grandes puissances qui, elles, ne se gênent pas

Les Chinois et les Indiens sont déjà partis à la conquête de l’Afrique. Pékin ouvre régulièrement des Instituts Confucius sur le continent. Des bourses d’études sont distribuées aux étudiants africains tandis que le modèle de développement chinois est défendu auprès des Africains.

De son côté, New Delhi se sert de son réseau d’Organisations Non Gouvernementales (ONG) pour diffuser le savoir-faire indien en matière d’éducation des femmes, de micro-finance, d’énergies renouvelables ou d’inclusion des plus pauvres dans les circuits économiques.

Infiltrer la sphère des idées permet aussi d’accéder aux marchés. Les entrepreneurs indiens figurent ainsi parmi les premiers en nombre sur le continent, dans tous les domaines, de la production de riz basmati à l’industrie lourde, en passant par le mobile. Les Chinois investissent également massivement en Afrique afin de s’assurer la meilleure place dans le cadre de la compétition internationale à venir sur le continent.

La France a pourtant une carte à jouer : la Francophonie

« Ces pays seront bloqués dans l’espace francophone par la langue. Les Chinois ont monté des instituts Confucius qui ne marchent pas. On ne peut pas prendre que les marchés et ne pas prendre en compte les populations. La France a une carte à jouer, car elle pourra à la fois être compétitive et faire participer la population » analyse la ministre déléguée, qui croit en sa mission et a su imposer sa voix depuis son intronisation dans le milieu formaté des politiciens.

La langue française est un véritable atout « qui peut organiser la mobilité économique ». Pour la ministre déléguée, « le français progresse en Afrique, il est dans plusieurs pays langue nationale. Cela veut dire qu’il ne faut pas imaginer qu’en termes d’États, mais aussi en termes d’espace. Si telle entreprise française se développe en Côte d’Ivoire, elle peut aussi se développer en RDC par la langue ».

Ce n’est qu’en envisageant l’Afrique comme un état autonome avec qui faire des affaires, sans arrière-pensée, que la France sera vraiment libérée de son passé colonialiste. Tant que le malaise demeure, la France prouvera malgré elle qu’elle n’est pas au clair avec le continent africain.

Pierre DURIEZ, Conseil en risques pays