In Amenas va-t-il booster le Security Business en Afrique?

[Africa Diligence] La tuerie d’In Amenas, dans les sables algériens, ne risque pas de rassurer les entreprises occidentales qui ont des intérêts et du personnel dans la bande saharo-sahélienne. La sécurité y est devenue un enjeu primordial et un marché colossal pour le security business. A qui profite l’industrie de la terreur?

Président des sociétés Épée (intelligence stratégique) et ESEI (conseil en sûreté), ancien cadre de l’armée française et fin connaisseur du Sahel, Jacques Hogard le constate. « Les événements au Sahel et en Algérie créent immédiatement un regain d’intérêt de la part des sociétés étrangères travaillant dans la zone. Soit parce qu’elles n’ont pas encore de dispositif de sûreté et de protection digne de ce nom, soit parce qu’elles recherchent à la lumière de ces événements à en améliorer encore la qualité », souligne-t-il.

De nombreux secteurs sont concernés. CIS Catering, dont les collaborateurs étaient directement menacés à In Amenas, œuvre dans la restauration. L’énergie est en première ligne. Total a des activités en Algérie, au Mali et en Mauritanie. Areva exploite au Niger les mines d’uranium d’Akouta et d’Arlit, où plusieurs salariés ont été enlevés en septembre 2010. Quatre d’entre eux sont toujours gardés en otage par Aqmi (al-Qaida au Maghreb islamique). Le BTP, la banque, l’assurance sont également représentés. Ils emploient des « locaux », mais aussi des ressortissants français qui sont présents par dizaines de milliers dans la région (voir l’infographie ci-dessous sur le nombre de Français enregistrés auprès des services consulaires).

Selon Jacques Hogard, « les aspects sécuritaires sont pris très au sérieux depuis de longues années en Algérie, et depuis moins longtemps au Niger ou en Mauritanie. Il faut avouer que c’était moins le cas au Mali ou au Burkina Faso jusqu’à une époque très récente ».

Arlit, le point de bascule

De multiples raisons ont milité pour une prise de conscience du monde des affaires. Tout d’abord la gravité des actes terroristes dans la région. L’enlèvement des Français d’Arlit a sans doute été le point de bascule de cette prise de conscience. Le rapt, en janvier 2011, de deux jeunes Français dans le centre de Niamey, et leur mort pendant la fuite de leurs ravisseurs, a confirmé qu’il n’y avait plus de sanctuaire pour les Français au Sahel.

Le risque juridique a également un impact sur la politique des entreprises. Après l’attentat de 2002 à Karachi, au Pakistan, qui avait coûté la vie à 11 Français, la Direction des constructions navales (DCN), leur employeur, a dû faire face à des plaintes pour manquement à la sécurité.

Dans cette région de l’Afrique ciblée par la mouvance djihadiste, le souci désormais bien partagé de la sécurité a un coût pour les professionnels. « On est passé d’un rapport de un à quatre, voire de un à cinq, en deux ou trois ans », poursuit Jacques Hogard.

L’argent est évidemment le nerf de la guerre. Pour les intérêts occidentaux comme pour Aqmi et ses séides, qui ont les moyens de s’assurer des loyautés parmi les autochtones. « C’est un problème majeur. Le personnel local doit être recruté par des professionnels via des réseaux de confiance. Ils existent. Mais la vigilance et un bon suivi des personnes employées sont de toute manière de règle », insiste-t-il. Pour réduire le risque à la marge, il convient selon lui de « rémunérer correctement le personnel concerné, mais aussi de disposer de nombreuses sources d’information, elles-mêmes bien rémunérées, dans les populations locales. Les sommes en jeu sont faibles au regard de l’importance de l’enjeu ».

La stratégie des entreprises dans la région passe désormais par la surveillance permanente des sites industriels. Vulnérables par nature, les transports des personnes et du matériel font l’objet de toutes les attentions. L’aménagement de lieux de vie sécurisés, à l’écart des populations locales, est également monnaie courante. Les employés des compagnies pétrolières expatriés au Nigeria ont depuis longtemps intégré cette logique légitimement paranoïaque. « Par ailleurs, il est essentiel de bannir au quotidien tout esprit de routine et de confort dans la mise en œuvre de ces mesures. Ce n’est pas facile à l’usage, mais c’est extrêmement important : un gage puissant d’efficacité des mesures adoptées », note le patron d’Épée et d’ESEI.

Pas d’hommes en armes

Les limites de l’exercice sont dictées par la souveraineté des pays concernés. Au Maghreb comme au Sahel, les sociétés occidentales n’ont généralement pas le droit d’entretenir du personnel armé. Au contraire de l’Irak ou de l’Afghanistan, par exemple. En Algérie, le site gazier d’In Amenas était, comme les autres, sous la protection des forces algériennes. Soumis depuis plus de vingt ans au risque terroriste, Alger a instauré en 1993 des zones d’exclusion autour des champs pétroliers et gaziers. Dans le voisinage d’une Libye débarrassée de la férule de Kadhafi, ce n’est manifestement plus suffisant…

(Avec Yann SAINT-SERNIN et Jean-Denis RENARD)