Repenser la notion de performance face à la crise

[Africa Diligence]  Quatre ans de crise financière, économique et sociale ont remis en cause une vision purement comptable de la performance des entreprises et de leurs salariés. Qu’est donc devenue la performance en 2013 ? Éléments de réponse.

France Télécom d’abord, qui, déstabilisée par une très violente crise sociale en 2009, a expérimenté une nouvelle approche pour réconcilier performances sociale et économique. « Au moment de la crise, les organisations se sont réunies autour de la table pour renégocier à la fois l’évolution des compétences, l’organisation et les conditions de travail », rappelle Delphine Ernotte-Cunci, directrice générale adjointe de France Télécom-Orange.

Au nom de la rentabilité financière

La seule notion de rentabilité financière ne pouvait plus suffire à mesurer la performance de l’entreprise puisqu’un « taylorisme » excessif, ainsi nommé par les salariés et mis en place au nom de la rentabilité financière, avait mené au drame et, par là même, inquiété les investisseurs. « Au moment de la crise, les investisseurs s’interrogeaient sur notre baromètre social « , se souvient Mme Ernotte-Cunci.

Les règles du jeu ont donc changé. La performance a, dès lors, été réfléchie dans une approche de plus long terme. « Pour construire avec les salariés l’avenir de France Télécom, cinq leviers ont été identifiés : l’emploi, l’organisation du travail, le management, la fonction ressources humaines et les conditions de travail », indique Mme Ernotte-Cunci.

L’organisation du travail a été transformée, donnant davantage de marge de manoeuvre à ceux qui sont au plus près des clients, et des équipes multidisciplinaires ont également été créées pour renforcer les liens entre les différents métiers et améliorer la performance par l’optimisation de l’intelligence collective. Et les résultats ont suivi : « En 2011, le nombre de clients dits « en vrille », dont le problème n’est jamais résolu car il concerne plusieurs métiers, a ainsi été divisé par dix », note Mme Ernotte-Cunci.

« La réelle performance de l’entreprise est sa pérennité »

Le cas de France Télécom n’est pas isolé. Car, même si la conjoncture économique impose aux entreprises une gestion de court terme, la crise a rappelé que « la réelle performance de l’entreprise est sa pérennité », souligne Antoine Raymond, cogérant d’A. Raymond, une entreprise familiale, fournisseur industriel de système de fixation rapide, qui compte un peu moins de 1 000 personnes en France et 5 000 dans le monde, et fêtera ses 150 ans en 2015. « C’est pourquoi nos entreprises de taille intermédiaire ont à la fois le souci de la création de valeur et du long terme. Un double objectif, qui passe par l’innovation et par la performance des salariés, laquelle dépend elle-même de leur bien-être et de leur confiance dans l’entreprise », dit-il.

Les enquêtes réalisées par l’observatoire européen des conditions de travail, Eurofound, auprès de plus de 27 000 entreprises en Europe, confirment que « la productivité ne repose pas seulement sur les nouvelles technologies et l’augmentation du capital, mais aussi sur l’organisation du travail, en général, et les pratiques de travail innovantes », souligne Jozef Niemiec, secrétaire général adjoint de la Confédération européenne des syndicats.

La performance est donc repensée au-delà des résultats, comme l’amélioration de la façon de faire. « Les entreprises s’intéressent davantage qu’auparavant à la manière de produire la création de valeur, à la réactivité et à la capacité à mobiliser l’intelligence de manière collective et durable », relève Martine Le Boulaire, directrice du développement d’Entreprise & Personnel.

Le conglomérat brésilien Votorantim, par exemple, a développé pour les manageurs une approche de la compétence collective, qui consiste à faire discuter et définir les indicateurs de performance par les salariés eux-mêmes.

La mesure de la performance réduite à l’addition des évaluations individuelles, quantitatives, n’appartient toutefois pas au passé. Elle a toujours cours dans de nombreuses organisations. Mais les quatre dernières années ont révélé que ce type de management était contre-productif car il génère dissolution des équipes et désengagement, explique Bénédicte Vidaillet, maître de conférences à l’université Lille-I, dans son tout dernier ouvrage, Evaluez-moi ! Evaluation au travail : les ressorts d’une fascination (Seuil, 280 pages, 18,50 euros). Cette approche réductrice de la performance apporte de fait rarement les résultats escomptés.

Anne RODIER