Karel Osiris Dogué : le juriste Béninois plaide pour une émergence intégrée de l’Afrique

[Africa Diligence] Premier Prix canadien de rédaction juridique de l’Association du Barreau Canadien en 2010, diplômé de la faculté de droit de l’Université de Montréal, au Canada, dont il est docteur en droit des affaires comparé, Karel Osiris Dogué est l’un des meilleurs spécialistes Africains de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA). Sa lecture de l’émergence africaine se veut intégrée.

Avant ses études doctorales à Montréal, le Béninois Karel Osiris Dogué a obtenu une Licence et une Maîtrise en droit des affaires de l’Université d’Abomey-Calavi au Bénin ; un diplôme d’Études Approfondies (DEA) en droit privé de l’Université de Lomé au Togo ; ainsi qu’un Certificat en droit de l’Union européenne de l’Université de Montpellier en France.

Jeune expert-juriste parfaitement bilingue, il met ses compétences professionnelles depuis quelques années au service de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA). Il est précisément actif à l’École Régionale Supérieure de la Magistrature (ERSUMA) de l’OHADA à Porto-Novo au Bénin. L’établissement forme principalement les magistrats, avocats, notaires, huissiers de justice, greffiers, commissaires-priseurs et autres acteurs du secteur juridique et judiciaire des 17 États membres de l’OHADA. Il est le chef des services en charge des études, de la recherche et de la formation de cette prestigieuse école.

Avant cette fonction, Karel Osiris Dogué a exercé pendant cinq ans dans le secteur juridique et des conseils à Montréal au Canada. Il était respectivement en charge des griefs et de l’application des conventions collectives et président d’une section de l’Alliance de la Fonction Publique du Canada qui représente plusieurs milliers de salariés et étudiants de l’Université de Montréal au Québec. Il a également travaillé en pratique privée comme juriste-collaborateur d’avocats dans une firme d’avocats et de traducteurs juridiques du Bénin et du Togo.

De 2008 à 2014 il a assuré l’exécutif et le Conseil d’administration du Club OHADA Canada, un organisme sans but lucratif canadien ayant en charge la promotion du droit des affaires OHADA au Canada ainsi que le soutien aux milieux d’affaires canadiens et nord-américains intervenant en Afrique. Boursier et chercheur auprès de nombreuses institutions africaines et internationales, Karel Osiris Dogué a été récipiendaire en 2010 du 1er Prix canadien de rédaction juridique de l’Association du Barreau Canadien. Enseignant-chercheur auprès d’universités béninoises et étrangères, il est l’auteur de nombreuses publications, monographies et articles scientifiques dans des revues de renom consacrées à l’actualité juridique et économique.

Soucieux de redonner à son prochain, le jeune leader qui a accepté de nous répondre est membre du Lions Club et également bénévole du Conseil d’Administration de Now/Maintenant, un organisme de charité canadien qui intervient au Bénin et au Cameroun pour soutenir l’accès à l’éducation et à la santé pour les couches défavorisées de la société africaine.

Africa Diligence : Croyez-vous en l’émergence économique du continent africain ?

Karel Osiris Dogué : Et comment que j’y crois ! Sinon je ne me serais pas aventuré à rentrer du Canada il y a plus de trois ans maintenant et ce, contre l’avis de bien de personnes de mon entourage. L’émergence économique constitue la seconde étape d’un processus à mon avis en trois cycles. En ce sens, toute partie prenante africaine, qu’elle soit citoyen africain ou non, opérateur à divers niveaux, dirigeant ou leader devrait retenir un triptyque fondamental à l’heure actuelle : intégration ou émergence juridique, intégration ou émergence économique, et développement au sens large.

Pour la première étape du triptyque – émergence juridique – il faut retenir qu’aujourd’hui, l’Afrique du droit des affaires OHADA (entendez Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires) est déjà un modèle réussi d’unification du droit des affaires de dix-sept États africains. L’Europe de l’Union européenne devrait d’ailleurs s’inspirer de l’exemple africain de l’OHADA, elle qui est toujours à la recherche effrénée d’une union juridique censée soutenir la monnaie unique européenne. Pour preuve, la Caraïbe avec sa quarantaine d’Etats, d’îles et de territoires l’a compris, elle qui s’est inspirée du modèle d’intégration juridique africain de l’OHADA pour lancer tout récemment l’OHADAC (entendez Organisation pour l’HArmonisation du Droit des Affaires dans la Caraïbe). Sur ce plan, l’Afrique a déjà émergé juridiquement et sert même de modèle car l’intégration juridique est une des conditions sine qua non d’une émergence économique.

Pour la seconde étape du triptyque, il faudrait que nous nous entendions sur le concept d’émergence économique. Si elle n’est que quantitative c’est-à-dire chiffrée, alors elle ne m’intéresse point. Mais si elle est à la fois quantitative et qualitative, alors non seulement j’y crois fermement mais il faut s’y engager résolument.

La troisième et dernière étape est selon moi celle du développement mais un développement quantitatif et qualitatif à la fois c’est à dire avec des effets durables et partagés ; développement qui n’est pas juste synonyme de croissance économique chiffrée. L’Afrique est, rassurez-vous, en émergence juridique avec l’OHADA, en marche vers l’émergence économique et son développement est inéluctable !

 S’il fallait vous aider à contribuer au développement rapide de l’Afrique, quels leviers pourrait-on activer ?

Juriste de formation, spécialisé en droit des affaires, j’avoue avoir forcément une vue parcellaire quant à une contribution urgente pour un développement rapide de l’Afrique mais je pense pour les fins de l’exercice, qu’il faille impérativement :

  • Formater les mentalités africaines comme on formate un disque dur ! Ce sera long mais la chose est possible avec une nouvelle génération de jeunes africain(e)s compétent(e)s et engagé(e)s qui devrait se retrouver et réseauter pour des actions concrètes. Pas de vœux pieux ni de discours creux sans impact! Un « think tank » de la jeune génération, tourné vers l’action. Ce formatage devrait aller de pair avec un renforcement des capacités institutionnelles des organes étatiques et paraétatiques. Ce renforcement institutionnel devra être multidimensionnel pour intégrer les impératifs de stabilité politique, d’économie solidaire couplée à la bonne gouvernance et de développement durable. Sans vouloir citer un Président contemporain, dont je partage (en partie) l’affirmation, l’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts seulement mais d’institutions fortes aussi. Les deux n’étant pas exclusifs et devant aller de pair à mon avis. En ce sens, je dirais plutôt, l’Afrique a besoin d’institutions renforcées avec des hommes nouveaux et compétents. Ce formatage individuel et institutionnel devrait nous y conduire.
  • Revenir à ce qui fait notre force et y investir en nous protégeant : nos ressources naturelles qui sont stratégiques et l’agriculture qui est notre seconde bouée de sauvetage. La guerre aux ressources naturelles (minières, pétrolières, gazières, énergétiques au sens large) a commencé depuis des décennies entre les puissances économiques et militaires du monde avec pour principal champ de batailles le continent africain. Malheureusement ce dernier continue de dormir : Africa Wake up et protège tes ressources naturelles ! L’accès aux terres arables africaines est une course folle que se font les multinationales et pays producteurs agricoles. Cet accès offert en tapis rouge par nos dirigeants africains est utopique et suicidaire. Il conditionne le devenir de plusieurs générations africaines liées à l’agriculture. Il faille le dire, le comprendre et agir sur ce levier aux niveaux national et continental.
  • Développer un cadre juridique attractif des investissements et des échanges intra et inter-africains. Une vision économique à finalité panafricaniste doit être le leitmotiv des actions des décideurs africains regroupés car c’est ensemble et avec une vision commune que nous serons plus forts et que l’émergence juridico-économique du continent sera effective.

Il y en a des actions fortes à entreprendre, des leviers à actionner et j’aurais aimé pouvoir en dire plus en matière de diplomatie africaine ; en matière d’économie solidaire comme modèle ; en matière de monnaie comme instrument d’asservissement ou d’émancipation.

Si vous vous retrouviez à la tête de votre pays, dans les 24 heures, quelles seraient vos trois premières décisions ?

En toute chose, il faudrait éviter toutes actions populistes ou à effet d’annonce qui font la spécialité de nos dirigeant(e)s, hommes et femmes politiques africain(e)s actuel(le)s. Il est difficile de pouvoir retenir prioritairement trois actions au sein de la kyrielle de mesures urgentes qui sont indispensables pour mon pays le Bénin. L’exercice recèle et révèle donc un péril évident mais risquons-nous y :

D’abord, identifier les trois secteurs clés de notre économie et prendre des textes prévoyant une participation étatique minimale et obligatoire (10%) dans toute entreprise étrangère y investissant. Cette action est des plus licites. Si elle est réglementée comme condition d’investissement dans les trois secteurs clé et viserait un droit de regard. Précisons que tous les États africains devraient s’entendre pour tous intégrer des législations similaires ce qui rendrait nul tout forum shopping d’une loi favorable par un investisseur étranger entre les États africains, le bénéfice d’une telle action nationale et continentale étant pour le continent.

Ensuite, accompagner les PME et les acteurs économiques de l’informel à travers notamment des mesures incitatives de simplification et d’allégement des contraintes juridiques, comptables, fiscales et managériales pour ces acteurs. Le Bénin s’est lancé déjà sur cette voie avec la réforme du Guichet unique de formalisation des entreprises ; l’encadrement du statut de l’entreprenant de l’OHADA qui vise l’informel mais il faut des mesures plus hardies. Ces mesures doivent aller de pair avec une réforme du secteur juridique et judiciaire intégrant la mise en place de tribunaux de commerce pour mieux accompagner promptement les milieux d’affaires ainsi que la réforme du Conseil Supérieur de la Magistrature qui n’est pas indépendant de l’exécutif.

Enfin, Moi Président, je reverrais l’organisation du secteur éducatif incluant les programmes de l’enseignement primaire, secondaire et supérieur, notamment par : le changement du contenu des programmes dits « nouveaux » et qui abrutissent nos enfants ; la création et l’opérationnalisation diligente d’un Institut national de l’entreprenariat et de la formation professionnelle ; l’inclusion des couches faibles et marginalisées telles les filles et les femmes dans un système d’alphabétisation.

Que pensez-vous de l’avènement du Centre Africain de Veille et d’Intelligence Économique ? 

Une information fiable et à faible coût est la clé de toute décision éclairée. Si on veut changer les choses en Afrique, il faut changer comment les données nous concernant sont collectées, traitées et diffusées ! Et c’est là l’intérêt d’un Centre Africain de Veille et d’Intelligence Économique. J’avais déjà twitté à la suite d’un post d’Africa Diligence à ce propos en 2014 qu’il fallait revoir la dénomination pour la rendre à mon humble avis plus inclusive. Ne devrait-on pas parler de Centre Africain de Veille et d’Intelligence Économique et Stratégique incluant sauf erreur de ma part d’autres axes importants pour l’Afrique notamment l’intelligence juridique, l’intelligence politique et diplomatique ?

Propos recueillis par la Rédaction

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