[Africa Diligence] Le commerce international a pris du plomb dans l’aile avec la nouvelle politique de l’« Amérique d’abord » prônée par le président Trump. Face aux tergiversations américaines et occidentales, l’Afrique elle, entend briser ses frontières pour devenir un vaste marché non seulement continental mais également mondial.
Au moment où le mouvement multilatéral de libéralisation des échanges ploie sous les coups de boutoir américains, l’annonce par l’Union africaine, le 21 mars 2018, de la création d’une zone de libre-échange continentale (ZLEC) en Afrique paraît d’autant plus décalée que c’est là que se trouvent les plus grands perdants de la mondialisation.
Le paradoxe n’est qu’apparent puisque c’est le constat de l’échec de l’intégration dans l’économie mondiale à travers le commerce Nord-Sud, comme via les échanges avec les émergents, qui est le meilleur argument, avec la faible taille de la plupart des marchés nationaux, en faveur du développement de et par le commerce intra-africain.
Comme le souligne un récent rapport conjoint de l’OCDE et de l’Union africaine, l’intégration de l’Afrique dans le commerce mondial n’est pas un problème quantitatif, mais qualitatif. Le taux d’ouverture de l’économie (importations + exportations/PIB) est en Afrique d’environ 50%, un taux comparable à l’Asie et supérieur à celui de l’Amérique latine (44% en 2017). Mais la part des matières premières dans les exportations africaines était supérieure à 50% en 2016 et la part des produits finis, inférieure à 20%. À l’inverse la part des produits finis dans les importations était de plus 63% et la part des produits semi-finis d’à peine 25%. Enfin, pour compléter ce tableau, on notera que, selon le même rapport, le degré de complexité (ie la part de connaissance incluse, selon la méthode de Hausmann et Hidalgo) des importations africaines est très significativement inférieur à celui des importations en Asie ou en Amérique latine. En grossissant le trait, si l’Afrique a, depuis une décennie, réussi à stabiliser sa part dans le commerce mondial, à un niveau faible (2,2% en 2016 selon les statistiques de l’OMC), cela n’a pas altéré la structure de ces échanges: matières premières contre produits finis de qualité inférieure. Et la forte progression des échanges avec les émergents dont le poids dans le commerce africain est devenu équivalent à celui des partenaires traditionnels a plutôt conforté cette structure.
Dans ce contexte, le développement du commerce intra régional en Afrique constitue une voie plus aisée que celle de l’insertion dans les flux mondiaux pour stimuler les exportations de produits finis et créer des chaînes de valeur continentales et au-delà participer à l’industrialisation de l’Afrique qui est un des piliers de l’agenda 2063 de l’Union africaine. Les économies africaines et, notamment, leurs PME peuvent en effet bénéficier d’avantages comparatifs sur les marchés voisins, pour des raisons de proximité géographique et culturelle, mais aussi des modes de consommation. Toutefois, le potentiel de développement du commerce intra régional en Afrique reste incertain: sa part dans le commerce total (un peu en dessous de 20% selon la CNUCED, un chiffre sans doute significativement sous-évalué en raison de l’importance du commerce informel, très largement sous régional) est du même ordre de grandeur qu’en Amérique latine où les économies sont pourtant plus développées et plus diversifiées. De même, le part du commerce intra régional dans les échanges de biens intermédiaires, qui est un indicateur de l’importance des chaines de valeur régionales est très faible en Afrique (4%), contre 24% en Asie (16% si on exclut la Chine), mais du même ordre de grandeur qu’en Amérique latine.
Une zone de libre-échange continentale permettrait elle de réaliser ce potentiel? L’OCDE et l’Union africaine l’affirment en avançant que le libre change pourrait permettre une croissance additionnelle d’un tiers du commerce intra régional, d’autres estimations vont même jusqu’à avancer une croissance de 50% (Commission économique pour l’Afrique). Ces chiffres doivent être analysés avec prudence. Les unions douanières qui ont accompagné les unions monétaires depuis plus de 60 ans et qui se transforment progressivement en marchés uniques ont eu des résultats contrastés en UEMOA (ou la part du commerce intra zone est trois fois supérieure à la moyenne du continent) et en CEMAC où le commerce intra zone reste anecdotique. Dans le contexte africain, les barrières tarifaires (6,1% en moyenne pour le commerce intra-africain selon l’UA) ne constituent souvent qu’un obstacle secondaire au commerce, loin derrière l’insuffisance des infrastructures, le coût des transports, l’insécurité, les difficultés de financement et de paiement, la corruption et les dysfonctionnements des services douaniers.
L’expérience de la Communauté de l’Afrique de l’Est montre cependant qu’une zone de libre-échange appuyée sur une démarche volontariste d’intégration, favorisant notamment les interconnexions de communication peut avoir un effet très stimulant sur le commerce intra pourvu qu’il y ait un niveau minimum de diversification des économies qui y participent. Reste à savoir si cette volonté d’intégration économique existe au niveau du Continent. Que 44 pays sur les 54 membres de l’UA soient parvenus à adhérer à la ZLEC, après un processus relativement court de six ans, est certes un signe encourageant, malgré les hésitations de poids lourds du continent, notamment du Nigéria. Il est vrai que le commerce intra régional est aujourd’hui si peu développé que la perspective d’un abaissement des barrières tarifaires ne gêne pas beaucoup d’avantages acquis à l’inverse des accords de partenariats économique avec l’Union Européenne qui ont tant de mal à se mettre en place et à essaimer des zones de libre-échange sous-régionales. Un autre signe encourageant est le pragmatisme de cet accord (suppression des barrières tarifaires sur 90% des biens mais avec des clauses de sauvegarde, libéralisation progressive des services, mise en place d’une coopération pour la reconnaissance mutuelle des normes et des réglementations et ouverture d’une deuxième phase de négociations sur les droits de propriété intellectuelle, les politiques de concurrence et les investissements)
Pour autant, tant d’utopies panafricaines, dont par exemple le Fonds monétaire africain, créé en 2014, n’ont jamais dépassé le stade des bonnes intentions, qu’il faut attendre la mise en œuvre opérationnelle de la ZLEC pour voir si l’Afrique portera l’étendard du multilatéralisme commercial.
La Rédaction (avec Bruno Cabrillac)
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