L’Afrique prône le contrôle de sa transformation agricole

[Africa Diligence] L’Afrique connaît une douce révolution qui donne un réel espoir pour l’éradication de la pauvreté et de la famine. Cette transformation ne s’observe pas dans des secteurs tels que le pétrole et le gaz, les minerais ou le tourisme, mais dans l’agriculture, qui demeure l’épine dorsale de l’économie africaine.

 L’Afrique est en train de s’urbaniser rapidement, mais l’agriculture utilise encore les deux tiers de la main-d’œuvre. Il a été démontré que l’agriculture s’avère jusqu’à onze fois plus efficace en matière de réduction de la pauvreté que la croissance dans n’importe quel autre secteur. Si nous voulons éradiquer la pauvreté et la famine en Afrique d’ici à 2030, l’agriculture devrait être au cœur de la stratégie.

Un tournant décisif

L’agriculture et les petits exploitants agricoles africains sont trop souvent oubliés. C’est ainsi que l’Afrique, en dépit du travail assidu de ses agriculteurs, ne se développe pas suffisamment pour nourrir sa population. Un quart de la population africaine est sous-alimentée, ce qui constitue un obstacle majeur pour une meilleure santé et pour le développement. En outre, il y a un coût économique direct, avec 35 milliards de dollars (30 milliards d’euros) dépensés chaque année dans l’importation des produits alimentaires – une estimation qui est susceptible de tripler d’ici à 2025, à moins que l’Afrique relève son rendement agricole.

De surcroît, les échecs politiques et les conflits violents ont exposé des milliers de personnes au risque de famine. Au début de cette année, l’ONU a tiré la sonnette d’alarme en prévenant que 20 millions d’individus à travers le nord-est du Nigeria, la Somalie, le Soudan du Sud et le Yémen étaient confrontés au risque de famine, une crise humanitaire qui est presque entièrement due à l’homme. Heureusement, des signes de progrès sont en train de dissiper cette image sombre.

Premièrement, au cours de la décennie écoulée, l’agriculture a bénéficié d’une attention accrue des gouvernements et investisseurs. À titre d’exemple, durant le Forum africain sur la révolution verte (AGRF) – un forum que j’ai aidé dans son lancement il y a une décennie – 30 milliards de dollars ont été mobilisés pour des engagements politiques, financiers et stratégiques ; le plus grand engagement que le secteur agricole africain ait jamais connu. C’est un tournant décisif. Maintenant, nous nous efforçons de concrétiser ces engagements en résultats. Au cours du forum AGRF, début septembre à Abidjan, nous avons assisté à la signature de nombreux accords agro-industriels s’élevant à plus de 6 milliards de dollars.

Deuxièmement, les petits exploitants agricoles sont de plus en plus reconnus comme des petites entreprises. Les initiatives comme Farm to Market Alliance, qui aident les petits exploitants agricoles à garantir les achats à long terme pour leurs produits, ne cessent de se renforcer. Ceci leur procure l’assurance pour investir et étendre leurs activités en sachant qu’ils ont un marché au moment de la récolte.

Des cultures plus nutritives

Troisièmement, nous sommes en train de changer la façon de travailler ensemble. De nouveaux partenariats émergent, à l’instar du Partenariat pour une transformation agricole inclusive en Afrique (Piata) lancé récemment à l’AGRF et qui s’élève à des millions de dollars. Celui-ci vise à accroître les revenus et à améliorer la sécurité alimentaire des 30 millions de foyers de petits exploitants agricoles à travers l’Afrique d’ici à 2021. C’est la première fois que l’on voit certains des plus grands promoteurs du développement agricole mobiliser leurs ressources et leurs efforts pour les orienter vers un objectif commun. Ceci constitue une innovation dans la conduite des affaires.

Quatrièmement, avec le changement climatique qui menace la production alimentaire comme jamais auparavant, nous nous fixons comme priorité la mobilisation des efforts en vue d’aider les exploitants agricoles à s’adapter. En adoptant, par exemple, des solutions telles que les cultures résistantes à la sécheresse et tolérantes à la chaleur, des systèmes de pointe pour les informations météorologiques et des systèmes d’irrigation efficaces, les agriculteurs sont en mesure de faire face aux conditions climatiques changeantes.

Cinquièmement, nous mettons un peu plus l’accent sur la qualité de nos régimes alimentaires, plutôt que simplement nous focaliser sur la quantité. En Afrique subsaharienne, des millions de personnes souffrent d’une carence en nutriments requis pour un bon développement et une bonne santé. L’un des moyens que nous utilisons pour combattre la malnutrition consiste à rendre les cultures plus nutritives.

La patate douce à chair orangée, qui a des taux élevés en vitamine A, est un exemple de notre réussite. Lorsque les enfants ne consomment pas suffisamment de vitamine A, leur croissance est ralentie, leur système immunitaire est affaibli, et ils risquent de devenir aveugles. La moitié d’une tasse de patate douce de ces variétés suffit pour procurer aux enfants leur dose journalière de vitamines. Le résultat est non seulement une meilleure santé, mais également de meilleures économies ; les experts estiment que la dénutrition coûte aux économies africaines environ 11 % du PIB annuel.

Une Afrique sans faim, sans pauvreté

Ces indices de progrès font rarement les gros titres dans le monde. Cependant, ils contribuent lentement et sûrement à la transformation des économies et à l’amélioration des vies de millions des personnes à travers le continent. L’Afrique prend le contrôle de sa propre transformation agricole. C’est indispensable pour que le continent s’assure que les différents exploitants agricoles et les entreprises jouissent pleinement des avantages liés à l’expansion de son marché alimentaire, qui est projeté à hauteur de 1 000 milliards de dollars d’ici à 2030.

Enfin, ce progrès ne se poursuivra que si nous nous focalisons sur l’agriculture comme une voie vers la prospérité, que si nous assurons le suivi des progrès que nous réalisons et que nous nous assumons comme responsables. Heureusement, à la demande des chefs d’Etat africains, il y a une évaluation des progrès en cours, qui sera présentée au sommet de l’Union africaine prévu en janvier 2018. Je suis convaincu qu’elle rendra compte des progrès considérables réalisés au cours des quelques années antérieures ; mais nous ne faisons que commencer.

On récolte ce que l’on a semé. En aidant les petits exploitants agricoles africains, nous pouvons bâtir une Afrique sans faim. Nous pouvons bâtir une Afrique sans pauvreté. Nous pouvons bâtir une Afrique fière d’être économiquement forte et stable, et capable de se nourrir. Il s’agit d’une moisson abondante que, ensemble, nous pouvons et devons réaliser.

La Rédaction (avec Kofi Annan)